Encore une petite pièce insoupçonnée et insoupçonnable d'
Italo Svevo et qui présente de l'intérêt. J'avais toujours cru que cet auteur était venu à l'écriture sur le tard, en dilettante, et qu'on lui devait essentiellement un seul roman,
La Conscience de Zeno.
Or, il n'en est rien, car certes son oeuvre la plus célèbre arrive dans les années 1920 alors qu'il a passé la soixantaine, mais il écrivait depuis bien longtemps, et pas seulement des romans. D'ailleurs, quand on y réfléchit, quel auteur pourrait subitement se révéler à soixante ans s'il n'a pas été auteur depuis toujours ? le mythe d'Hokusai, en littérature, j'y crois peu.
Voici donc une petite pièce en deux actes d'un jeune homme italien d'origine allemande, qui choisit comme nom de plume
Italo Svevo, littéralement, " Italien souabe " et qui nous livre dès 1886 une réflexion pénétrante sur l'eugénisme et sur la science appliquée aux affaires humaines.
C'est une critique très vive des théories génétiques et héréditaires, ne l'oublions pas, — dès 1886 ! —, c'est-à-dire à une époque où elles étaient à peine naissantes et encore séduisantes pour le plus grand nombre. Connaissant l'identité juive de
Svevo, on ne peut qu'applaudir ce formidable talent de visionnaire et d'anticipation face à des méthodes sélectives de l'humain qui prendront leur plein essor sous le Nazisme allemand.
L'auteur nous offre également matière à réflexions sur la science elle-même et sur ceux qui la font et qui s'y adonnent. Selon lui, il y a autant de " croyance " dans la science et autant d'irrationalité que dans n'importe quelle foi ou conviction politique. Qu'avons-nous à craindre quand la science devient une religion et qu'elle nous dicte nos choix sociaux ?
Ici, le décor est minimaliste : une jeune fille à marier, un jeune homme intéressé par la précédente, un tuteur, une mère et une éminence scientifique. le jeune homme, vous l'avez reconnu, c'est évidemment Alberto, un représentant de la noblesse (à cette époque, cela voulait encore dire un peu quelque chose, socialement parlant).
Alberto a rencontré Anna et en est de suite devenu dingue. Il est par ailleurs scientifique en dilettante et particulièrement au fait des théories de l'hérédité. Il a déjà éconduit une demoiselle parce qu'il avait appris que sa mère avait eu un amant autrefois. Il fait donc sa petite enquête réglementaire sur les antécédents familiaux d'Anna.
Il s'avère que par chance, celle-ci est la pupille de Lorenzo, un bon ami à lui. Il peut donc sans crainte s'en référer à lui pour savoir à quoi s'en tenir à propos d'Anna et de son aptitude à faire une épouse convenable selon ses critères scientifiques.
Je ne souhaite pas vous en dire plus mais je tiens à préciser que je décèle beaucoup de malice et de profondeur dans cette pièce, a priori, anodine. Comment l'on peut faire des entorses à ses convictions lorsque nos intérêts semblent contradictoires, comment l'on peut interpréter telle ou telle information selon le cadre conceptuel dans lequel on essaie de les faire entrer absolument, même si elles n'y rentreront jamais, même à coups de maillet, etc., etc. Tout ce qui est et reste plus que jamais d'actualité dans notre façon de percevoir le monde.
En somme, une petite pièce qui commence mollement mais qui monte en intensité et en intérêt au fur et à mesure et qui nous propose une fin intéressante. Bref, encore une bonne surprise signée
Italo Svevo. Mais ceci n'est que ma théorie, c'est-à-dire, pas grand-chose.