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Piotr Kaminski (Traducteur)
EAN : 9782213598536
132 pages
Fayard (11/12/1996)
4.24/5   31 notes
Résumé :
Recueil d'une soixantaine de poèmes, extraits de différents recueils publiés de 1957 à 1996.
Que lire après De la mort sans exagérerVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
“Et voici mon visage tordu.
Visage qui n'a pas su qu'il pouvait être beau.”

Cet ouvrage est une brève anthologie de l'oeuvre poétique de la Prix Nobel de Littérature polonaise Wislawa Szymborska.
L'écrivaine au sourire joueur, la blague au coin de la lèvre, au regard toujours respectueux et curieux, la cigarette entre les doigts aux ongles parfaitement vernis, nous entraine dans un monde pas si éloigné du nôtre. le réel l'intéresse et sa poésie agit comme un révélateur chimique et coloré des mouvements de l'âme et du corps social.

Quelle belle invitation au voyage, pour reprendre le mot de Baudelaire (et aussi d'Arte !). Une invitation ouverte, informelle, accueillante sur les rives d'une poésie qui n'a pas peur de nommer les choses, incisive et amène.

“pardonne-moi, langue, d'emprunter des mots pathétiques - et de faire l'impossible pour qu'ils paraissent légers.”

Ses observations sont d'une grande lucidité, et elle n'a pas besoin d'appuyer grossièrement sur ses mots, ses tournures, très simplement agencés, pour que l'on comprenne : elle est engagée sans l'écrire. Engagée dans la réflexion philosophique certes, mais sous un angle pratique, avec des exemples empruntés humblement aux évènements ou quotidien de son temps, dans la société qui l'entoure et qui parle d'autant plus à ses lecteurs qu'elle est au milieu d'eux.

“Passe-moi ton abime
je t'y ferai un lit
et tu me seras reconnaissant (e)
pour ses quatre pattes de chat.”

Mais sa poésie ne se contente pas de nous renseigner, de nous ouvrir les yeux et le coeur avec une habile sagacité ; quelque part elle nous rassure aussi. Sa poésie est quelque chose sur laquelle on peut se reposer, avant de repartir dans le tumulte de nos existences intérieures comme extérieures, qui se révèle plus solide qu'au premier coup d'oeil.

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Éditrice, traductrice*, critique littéraire, Wislawa Szymborska était tout cela mais elle est surtout reconnue pour son oeuvre poétique couronnée par le Prix Nobel de Littérature en 1996. Disparue en février 2012, elle est aujourd'hui encore une figure très populaire dans son pays d'origine, la Pologne.

De la mort sans exagérer " est un recueil qui regroupe des poèmes composés entre 1957 et 1993. Les textes les plus anciens laissent peu entrevoir ce que deviendra plus tard le style de Wislawa Szymborska. Ils révèlent une recherche plus esthétique, plus introvertie. Au fil des pages (au fil des années), l'écriture va se faire plus libre. La poétesse use d'un langage plus simple, plus détaché, un langage presque parlé. Sans aucun lyrisme, sans la moindre exaltation, le style de Szymborska trouve sa voie, qui rend compte des choses simples, des moments particuliers de la vie, sans rien en expliquer, sans jamais rien en justifier.

Ce qui est très significatif dans l'écriture de Szymborska, ce que l'on retiendra de sa poésie, c'est sa faculté à s'émouvoir, à s'émerveiller, teintée d'un je ne sais quoi d'amer, de désenchanté. Wislawa Szymborska n'aime rien tant que prendre le monde à revers avec sa gravité et lui donner un sens nouveau plein de sagacité, de douce ironie. Chez elle, le trivial devient le prétexte à une réflexion profonde, qui va entre doute et certitude.

Ainsi ce long poème intitulé " Un chat dans un appartement vide ". Un sujet naïf pour dire tout en nuance la fragilité de l'existence. le lecteur accompagne du regard un chat qui, insouciant, ignorant tout de la situation dans laquelle il se trouve , évolue seul dans un appartement vide :

" Mourir. Il ne faut pas faire cela à un chat.
Que peut-il faire dans un appartement vide ?
Grimper aux murs ?
Se frotter contre les meubles ?
Apparemment rien n'a changé
et pourtant rien n'est pareil.
Rien n'a été déplacé
et pourtant rien n'est en place.
Et le soir, pas de lampe allumée.
Un bruit de pas dans l'escalier
mais ce n'est pas le bon.
Une main met le poisson dans l'assiette
mais ce n'est pas la bonne.
Quelque chose ne commence pas
à l'heure habituelle,
quelque chose ne se passe pas
comme cela devrait.
Quelqu'un était là depuis toujours
et soudain n'est plus
s'obstinant à rester disparu.

On a fureté dans les armoires
fouillé les étagères
on s'est faufilé sous le tapis pour vérifier.
On a même bravé l'interdit en allant au bureau
et en mettant les papiers en désordre
Que faire maintenant ?
Dormir et attendre.
Attendre qu'il revienne
s'il ose.
Et lui faire savoir qu'on ne fait pas ça à un chat.
On avancera vers lui
l'air détaché, un peu hautain
en faisant semblant de ne pas le voir.
On marchera très lentement
la patte boudeuse
et surtout, pas un bond, pas un ronron,
du moins au début. "


Une écriture marquée par une réflexion philosophique et morale, teintée aussi d'humour, de lucidité et de douceur, elle se révèle des plus attachantes. « De la mort sans exagérer » est un des meilleurs moyens de (re)découvrir une oeuvre singulière qui n'a pas fini de susciter ma curiosité.


(*) Wislawa Szymborska a traduit des oeuvres de poésie classique française et notamment celles d'Agrippa d'Aubigné et de Théophile de Viau.
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D'abord un mot sur la traduction de Piotr Kaminski : est-elle fidèle, je ne sais pas, mais elle est très, très belle. C'est celle d'un poète.
Il y a dans ce recueil des poèmes que l'on ne comprend pas. On relit, on s'interroge... on tourne la page... Il y a aussi les poèmes que l'on croit comprendre tout de suite (le sort des femmes; la pitié pour les animaux; l'horreur des guerres et du terrorisme) parce que l'écriture de Wislawa Szymborska est d'une grande limpidité.
(Tu parles.)
Exemple :
"Je dégage mon bras de sa tête endormie
bras mort, martyrisé par un essaim d'épingles."
Oh, c'est joli ça (se dit-on), quelle image parlante, ah ah, "essaim d'épingles" comme c'est joliment trouvé. (D'une grande limpidité vous dis-je.)
Et les deux vers suivants :
"Et sur chacune des têtes, prêts au recensement
les anges déchus s'étaient posés."
...
Euh... des têtes ? Des têtes d'épingles ? Pourquoi "les anges déchus"? Et ce recensement, que vient-il faire là ?
Selon vos propres souvenirs de bras ankylosé, ces quatre vers peuvent vous parler de mille façons, laquelle est la bonne ? (Le poème s'intitule "Je suis trop près...")
Il apparait souvent que Wislawa Szymborska s'interroge elle-même, et qu'elle nous questionne avec malice : premier degré ? Deuxième degré ? Davantage ?
Mais le monde qui se déploie sous sa plume, elle nous le donne avec une immense générosité :
"Ô, combien perméables sont les frontières humaines !
Voyez tous ces nuages qui passent, impunément (...)
Ne serait-il qu'un moineau, et voilà que déjà
sa queue est limitrophe, et son bec indigène!"
(Extrait de "Psaume" : mon préféré de tous les poèmes du monde je crois bien.)
J'ai adoré la poésie de Wislawa Szymborska.
On dirait une élève de Prévert (mon bien-aimé Prévert) qui aurait dépassé, mais alors là de loin, le maître. Il y la beauté, il y a le questionnement, il y a l'humour.

Et cet art de la chute !
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La poésie de Szymborska est un parfait oxymore, toute en gravité légère ou en grave légèreté. Philosophique, concise ou pléthorique, elle excelle dans l'art de faire changer notre angle de vue sur les choses. Elle cultive l'humour et l'autodérision. Je déplore juste que sa traduction française s'abîme parfois dans l'explication du texte au lieu de laisser la passerelle poétique telle que l'auteure l'avait imaginée, arriver (ou pas, tant pis) vers le lecteur.
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De la mort sans exagérer, titre du livre et d'un poème, réunit des textes de plusieurs recueils parus entre 1957 et 1993 et aborde le thème de l'Existence. La poète polonaise, prix Nobel 1996, questionne le monde en passant par une sorte d'absurde, d'humour et de réalisme assez indéfinissable.
On se demande ce qu'il y a à l'intérieur de la pierre tout autant que ce qu'est la haine, la mort, la poésie, le ciel... et c'est très vivant. Certains textes sont plus limpides que d'autres et l'on sent que le polonais ne doit pas être facile à traduire mais cette philosophie poétique est "aimablement ouverte au lecteur" (comme dit dans l'avant-propos). La distance amusée couplée au sentiment profond, dans une écriture agréable et inventive : j'ai fait une belle découverte avec cette lecture.
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Citations et extraits (52) Voir plus Ajouter une citation
Conversation avec la pierre

Je frappe à la porte de la pierre
- C'est moi, laisse-moi entrer.
Je veux pénétrer dans ton intérieur,
y jeter un coup d'œil,
te respirer à fond.

- Va-t'en, dit la pierre
Je suis fermée à double tour.
Même brisée en mille morceaux
nous serons encore fermés.
Même broyés en poussière
nous ne laisserons entrer personne.

Je frappe à la porte de la pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
Je viens par pure curiosité.
La vie en est l'unique occasion.
Je tiens à me promener dans ton palais,
avant de visiter la feuille et la goutte d'eau.
Je n'ai pas beaucoup de temps pour tout cela.
Ma mortalité devrait t'émouvoir.

- Je suis de pierre, dit la pierre.
Je suis bien obligée de garder mon sérieux.
Va-t'en, je n'ai pas de zygomatiques.

Je frappe à la porte de la pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
On me dit qu'il y a en toi des salles grandes et vides,
jamais vues, aux beautés qui s'épanouissent en vain,
sourdes, où aucun pas ne retentit jamais.
Avoue maintenant que tu n'en sais pas davantage.

- Des salles grandes et vides, dit la pierre,
je veux bien, mais de place il n'y en a guère.
Belles, peut-être, mais hors d'atteinte
de tes six misérables sens.
Tu peux me connaître, mais m'éprouver jamais.
Toute mon apparence te regarde en face,
mais ce qui est intérieur te tourne à jamais le dos.

Je frappe à la porte de la pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
Je ne cherche pas en toi un refuge pour l'éternité.
Je ne suis pas malheureuse.
Je ne suis pas sans abri.
Le monde qui est le mien mérite qu'on y retourne.
Je te promets d'entrer et sortir les mains vides,
et pour preuve de ma présence véritable en ton sein
je n'avancerai que des paroles
auxquelles personne n'ajoutera foi.

- Tu n'entreras pas - dit la pierre.
Il te manque le sens du partage.
Aucun sens ne remplace le sens du partage.
Même la vue affûtée jusqu'à l'éblouissement
ne te serait d'aucun secours sans le partage.
Tu n'entres pas, tu n'as que le désir de ce sens,
que son germe, son image.

Je frappe à la porte de la pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
Je ne puis attendre deux mille siècles
pour pénétrer sous ton toit.

- Si tu ne me crois pas, dit la pierre,
va voir la feuille, elle t'en dira de même.
Ou la goutte d'eau qui le confirmera.
Tu peux même t'adresser à un cheveu de ta tête
Je sens monter en moi un grand éclat de rire,
un rire immense, que je ne sais pas rire.

Je frappe à la porte de la pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
- Je n'ai pas de porte, dit la pierre.


pp. 27-29
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FIN DE SIÈCLE

Il devait être mieux que les précédents, notre XXe siècle.
Il n'aura plus le temps de le prouver,
ses années sont comptées,
son pas chancelant,
courte sa respiration.

Trop de choses se sont passées
qui n'auraient pas dû,
et ce qui devait advenir,
n'est pas advenu.

Ce devait être la promesse du printemps
et du bonheur, entre autres.

La peur devait quitter les montagnes et les vallées,
la vérité, plus vite que le mensonge
devait atteindre le but.

Quelques malheurs ne devaient
plus arriver du tout,
comme par exemple la guerre,
et la faim, et cætera.

On devait vraiment respecter
la vulnérabilité des vulnérables
la foi, et ainsi de suite.

Qui voulait se réjouir de ce monde
se retrouve face à un défi
impossible à relever.

La stupidité n'est pas drôle.
La sagesse n'est pas gaie.
L'espoir
n'est plus cette jeune fille
et caetera, hélas.

Dieu devait enfin croire en l'homme
un homme bon et fort
mais bon et fort
ça fait toujours deux hommes.

Comment vivre, me demande dans une lettre
quelqu'un que je voulais justement
interroger sur le même sujet.

À nouveau, et comme toujours,
comme il s'ensuit de ce qui précède,
il n'est pas de questions plus urgentes
que les questions naïves.
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VUE D'EN HAUT

Sur un petit sentier gît un hanneton mort.
Ses trois paires de pattes soigneusement pliées.
Au lieu du mortel gachis - ordre et netteté.
L'horreur de cette vision reste modérée,
et sa portée locale, du chiendent à la menthe.
La tristesse ne se partage guère. Le ciel est bleu.

Pour notre tranquillité, les animaux ne meurent pas,
mais crèvent d'une mort que l'on dit moins profonde,
en y perdant-nous voulons le croire - moins de sens et de monde,
quittant, comme il nous semble, une scène moins tragique.
Leurs âmes humbles et soumises ne hantent pas nos nuits, gardent toutes leurs distances, restent à leur place.

Ainsi donc, le hanneton, gisant mort sur le sable,
brille au soleil dans son état nullement déplorable.
Il suffit de penser à lui d'un seul regard:
non, rien de capital ne lui est arrivé.
Ce qui est capital ne s'accorde qu'à nous.
A notre vie, à notre mort uniquement, notre mort qui, à tout instant, impose sa priorité.
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"Curriculum Vitae

Que faut-il?
Il faut écrire une requête
et joindre son curriculum vitae.

Quelle que soit la longueur de la vie,
le C.V. se doit d’être court.

On est prié d’être succinct et de trier les faits.
Transformer les paysages en adresses.
Et souvenirs confus en dates sûres et certaines.

De toutes les amours, suffit le conjugal.
Et parmi les enfants, ceux qui sont nés vraiment.

Seuls ceux qui te connaissent, pas ceux que tu connais.
Voyages, si à l’étranger.
Appartenance à quoi, sans pourquoi.
Distinctions, sans à quel titre.

Écris comme si tu ne t’étais jamais
adressé la parole,
et t’évitais plutôt.

Tu peux omettre chiens, chats, oiseaux,
souvenirs de pacotille, amis et rêves.

Prix plutôt que valeur,
Titre plutôt que teneur.
Pointure de chaussures plutôt que où il va,
celui pour qui tu passes.
Joindre une photo avec une oreille bien visible.
C’est sa forme qui compte, non pas ce qu’elle entend.
Et qu’entend-elle au juste?
Le ronflement des machines à broyer du papier."
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QUATRE HEURES DU MATIN

Heure de la nuit au jour
Heure du flanc droit au gauche
Heure pour avant la trentaine.

Heure balayée sous le chant des coqs.
Heure où la terre semble nous chasser.
Heure où nous glace le souffle des étoiles éteintes.
Heure de qu'est-ce qui-restera-bien-de-nous.

Heure vide,
sourde, aride.
Fond du fond de toutes les autres heures.

Personne n'est vraiment bien à quatre heures du matin.
Si les fourmis sont bien à quatre heures du matin
Bravo les fourmis.
Mais que viennent vite cinq heures
Si tant est que nous devons survivre.
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