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Sarbacane (01/09/2016)
4.23/5   199 notes
Résumé :
Adaptation BD du roman italien de Antonio Tabucchi "Sostiene Pereira. Una testimonianza", publié en 1994, et traduit en français l'année suivante sous le titre ''Pereira prétend''.

Lisbonne, Portugal, en pleine dictature salazariste, fin juillet 1938. Dans une ville enveloppée d’un « suaire de chaleur», un journaliste vieillissant, le doutor Pereira, veuf, obèse, cardiaque et tourmenté, rédige chaque jour depuis plus de trente ans la page cul- turelle... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (41) Voir plus Ajouter une critique
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Bon catholique, Doutor Pereira est journaliste et travaille à la rubrique culture du Lisboa. Un jour, dans le tramway, il tombe, dans un journal ouvert, sur un article d'un certain Francesco Monteiro Rossi. Un article parlant de la mort. Finissant son trajet à pied, il voit, au loin, plusieurs policiers s'en prendre à un homme. Il ne réagit pourtant pas et continue son chemin. Alors qu'il travaille sur une traduction d'un texte De Balzac, il se décide à appeler Rossi et l'informe qu'il aimerait le rencontrer. le rendez-vous est pris pour le soir-même, dans un bal populaire donné par la jeunesse salazariste au cours duquel Rossi chante une romance. Autour d'un verre, Pereira apprend que le jeune homme a triché pour rédiger son mémoire sur la mort. Cela n'empêche pourtant pas Pereira de lui proposer d'écrire des nécrologies anticipées d'écrivains célèbres. Un travail que le jeune homme accepte car il a besoin d'argent. À ses côtés, Pereira va peu à peu changer de regard sur le monde qui l'entoure...


Adapté du roman éponyme d'Antonio Tabucchi, cet album nous emmène au coeur de Lisbonne, à la fin des années 30. Une ville alors sous l'emprise du dictateur Antonio de Oliveira Salazar. Doutor Pereira, journaliste ventripotent, mène une vie très rangée, calme, voire un peu triste et terne depuis le décès de sa femme avec qui il converse via son portrait encadré. Sa rencontre avec Rossi, un jeune philosophe  révolutionnaire un peu fougueux, va complètement le métamorphoser, changer sa vision du monde et de la vie. Pierre-Henry Gomont décrit avec précision les états d'âme de Pereira, notamment sa solitude et sa mélancolie. L'on voit, en effet, le journaliste parler seul ou avec sa femme décédée, discuter avec ses autres "personnalités" représentées par des petits hommes. L'on assiste, petit à petit, à ses changements: son ouverture aux autres, sa vision politique et citoyenne. Graphiquement, Pierre-Henry Gomont nous offre véritablement un voyage au coeur des ruelles ensoleillées et étouffantes de Lisbonne. Une magnifique palette de couleurs, du rouge colère au jaune soleil ; un trait parfois juste esquissé, parfois maîtrisé.
Un beau portrait touchant d'un homme sensible et d'un pays en devenir.
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Le « Doutor » Pereira est journaliste et traducteur d'auteurs français. Il s'occupe des pages culturelles dans un journal catholique : le Lisboa. Nous sommes à la fin des années des années trente et le Portugal subit la dictature de Salazar qui contrôle évidemment la presse. Dans le tram, dans le journal Espirito abandonné sur un siège, Pereira lit un article sur le rapport de la vie avec la mort, article qui le bouleverse d'autant plus qu'il traite des doutes qui l'habitent. Il décide de contacter l'auteur, Francesco Monteiro Rossi, et de le rencontrer. Rendez-vous est pris. Pereira se rend à une fête de la jeunesse salazariste où chante Rossi qui se révèle être un tout jeune homme. Malgré la brutale franchise du garçon qui ne mâche pas ses mots, Pereira lui propose de travailler pour son journal : il écrira des nécrologies anticipées d'auteurs célèbres pour 50 escudos le feuillet. le jeune homme a besoin d'argent et il accepte. Arrive alors, Marta, une très jolie jeune femme amie de Rossi, qui ne fait pas mystère de son opposition au régime et qui ne craint pas d'affirmer sa détestation des fascistes et son mépris pour certains écrivains catholiques…
***
Je n'ai pas lu le roman éponyme de Antonio Tabucchi, mais ce roman graphique français adapté du roman d'un Italien et se déroulant au Portugal ne pouvait que m'attirer ! J'ai tout de suite apprécié le trait de Pierre-Henry Gomont. La déambulation dans les rue de Lisbonne est un vrai plaisir. Pour sa part, le personnage principal de Pereira prétend se révèle infiniment touchant. Cet obèse qui se gave de sucre ne se remet pas de la mort de sa femme. Il continue à lui parler et mange en face de son portrait. Souvent, sa vie intérieure est représentée dans de petites bulles contenant des silhouettes en aplats de couleurs : la tentation du suicide, ses craintes de la réaction de son patron, les conversations avec sa femme, ses hésitations, les reproches qu'il se fait, etc. le jeune couple récemment rencontré va l'amener à modifier sa façon de penser, ou plutôt à admettre ce qu'il savait déjà sans vouloir l'admettre. Il va développer une véritable conscience politique et vaincre ses craintes comme sa répugnance à s'engager. Sa culpabilité larvée prend corps, l'emplit et le pousse à agir, timidement d'abord. La fin est tout simplement bouleversante. Une oeuvre magnifique ! Je vais attendre un peu avant de lire le roman : je veux rester un temps sur cette forte émotion.
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Ma lecture récente de « Slava », une histoire de la Russie « après la chute » belle découverte dont pour l'instant il faut attendre la suite, m'a donné envie de découvrir d'autres réalisations de Pierre Henry Gomont, volume disponible dans ma médiathèque.
Ouah !
Quelle belle adaptation d'un roman éponyme que j'ai envie de découvrir maintenant.
Le Portugal dans les années 1930, un pays pas encore européen, un pays où règne la censure, la dictature et les meurtres qui vont avec au nom de la patrie.
L'Allemagne est en proie avec la montée du fascisme, l'Espagne est en proie avec la guerre civile, la France s'interroge sur les positions qu'elle doit prendre vis à vis de ses voisins.
Pereira lui ne fait pas de politique, il vit dans son passé, pour se replonger dans ses souvenirs … il est indifférent à ceux qui l'entoure … il est seul … seul avec la littérature … il attend que ça s'arrête.
Un roman graphique qui nous montre que vivre …
C'est choisir son camp …
C'est choisir parmi notre propre confédération des âmes (1), l'âme qui doit diriger notre vie …
C'est aussi découvrir un texte considéré comme révolutionnaire, un des contes du lundi d'Alphonse Daudet, « la dernière classe » (2) …
C'est se demander faut il … Écrire avec la tête ? … ou écrire avec le coeur ?

(1)
La Confédération des âmes est un principe philosophique élaboré par Théodule Ribot et Pierre Janet : deux philosophes faisant partie d'un mouvement de pensée : les médecins philosophes.
La théorie prétend que chaque homme n'a non pas une seule âme, comme le prétendent les religions monothéistes, mais une multiplicité. Ces différentes âmes sont régies par une âme "reine", appelée âme hégémonique.
La théorie s'appuie sur le fait que nous avons tous une infinité de désirs et de réactions par rapport au monde, et qu'il serait illusoire et trop simple de croire que l'âme soit unique.
Ces âmes multiples seraient en combat permanent, et ce tiraillement permettrait de stabiliser nos réactions et nos désirs. Chaque homme doit trouver une âme hégémonique adéquate.

(2)
LA DERNIÈRE CLASSE
(récit d'un petit alsacien)
Ce matin-là, j'étais très en retard pour aller à l'école, et j'avais grand-peur d'être grondé, d'autant que M. Hamel nous avait dit qu'il nous interrogerait sur les participes, et je n'en savais pas le premier mot. Un moment l'idée me vint de manquer la classe et de prendre ma course à travers champs.
Le temps était si chaud, si clair !
On entendait les merles siffler à la lisière du bois, et dans le pré Rippert, derrière la scierie, les Prussiens qui faisaient l'exercice. Tout cela me tentait bien plus que la règle des participes ; mais j'eus la force de résister, et je courus bien vite vers l'école.
En passant devant la mairie, je vis qu'il y avait du monde arrêté près du petit grillage aux affiches. Depuis deux ans, c'est de là que nous sont venues toutes les mauvaises nouvelles, les batailles perdues, les réquisitions, les ordres de la commandature ; et je pensai sans m'arrêter :
« Qu'est-ce qu'il y a encore ? »
Alors, comme je traversais la place en courant, le forgeron Wachter, qui était là avec son apprenti en train de lire l'affiche, me cria :
« Ne te dépêche pas tant, petit ; tu y arriveras toujours assez tôt à ton école ! »
Je crus qu'il se moquait de moi, et j'entrai tout essoufflé dans la petite cour de M. Hamel.
D'ordinaire, au commencement de la classe, il se faisait un grand tapage qu'on entendait jusque dans la rue : les pupitres ouverts, fermés, les leçons qu'on répétait très haut, tous ensemble, en se bouchant les oreilles pour mieux apprendre, et la grosse règle du maître qui tapait sur les tables :
« Un peu de silence ! »
Je comptais sur tout ce train pour gagner mon banc sans être vu ; mais, justement, ce jour-là, tout était tranquille, comme un matin de dimanche. Par la fenêtre ouverte, je voyais mes camarades déjà rangés à leurs places, et M. Hamel, qui passait et repassait avec la terrible règle en fer sous le bras. Il fallut ouvrir la porte et entrer au milieu de ce grand calme. Vous pensez, si j'étais rouge et si j'avais peur !
Eh bien, non ! M Hamel me regarda sans colère et me dit très doucement :
« Va vite à ta place, mon petit Franz ; nous allions commencer sans toi. »
J'enjambai le banc et je m'assis tout de suite à mon pupitre. Alors seulement, un peu remis de ma frayeur, je remarquai que notre maître avait sa belle redingote verte, son jabot plissé fin et la calotte de soie noire brodée qu'il ne mettait que les jours d'inspection ou de distribution de prix. du reste, toute la classe avait quelque chose d'extraordinaire et de solennel. Mais ce qui me surprit le plus, ce fut de voir au fond de la salle, sur les bancs qui restaient vides d'habitude, des gens du village assis et silencieux comme nous : le vieux Hauser avec son tricorne, l'ancien maire, l'ancien facteur, et puis d'autres personnes encore. Tout ce monde-là paraissait triste ; et Hauser avait apporté un vieil abécédaire mangé aux bords, qu'il tenait grand ouvert sur ses genoux, avec ses grosses lunettes posées en travers des pages.
Pendant que je m'étonnais de tout cela, M. Hamel était monté dans sa chaire, et de la même voix douce et grave dont il m'avait reçu, il nous dit :
« Mes enfants, c'est la dernière fois que je vous fais la classe. L'ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l'allemand dans les écoles de l'Alsace et de la Lorraine… le nouveau maître arrive demain. Aujourd'hui, c'est votre dernière leçon de français. Je vous prie d'être bien attentifs. »
Ces quelques paroles me bouleversèrent. Ah ! les misérables, voilà ce qu'ils avaient affiché à la mairie.
Ma dernière leçon de français !…
Et moi qui savais à peine écrire ! Je n'apprendrais donc jamais ! Il faudrait donc en rester là ! Comme je m'en voulais maintenant du temps perdu, des classes manquées à courir les nids ou à faire des glissades sur la Saar ! Mes livres que tout à l'heure encore je trouvais si ennuyeux, si lourds à porter, ma grammaire, mon histoire sainte, me semblaient à présent de vieux amis qui me feraient beaucoup de peine à quitter. C'est comme M. Hamel. L'idée qu'il allait partir, que je ne le verrais plus, me faisait oublier les punitions, les coups de règle.
Pauvre homme !
C'est en l'honneur de cette dernière classe qu'il avait mis ses beaux habits du dimanche, et, maintenant, je comprenais pourquoi ces vieux du village étaient venus s'asseoir au bout de la salle. Cela semblait dire qu'ils regrettaient de ne pas y être venus plus souvent, à cette école. C'était aussi comme une façon de remercier notre maître de ses quarante ans de bons services, et de rendre leurs devoirs à la patrie qui s'en allait…
J'en étais là de mes réflexions, quand j'entendis appeler mon nom. C'était mon tour de réciter. Que n'aurais-je pas donné pour pouvoir dire tout au long cette fameuse règle des participes, bien haut, bien clair, sans une faute ! mais je m'embrouillai aux premiers mots, et je restai debout à me balancer dans mon banc, le coeur gros, sans oser lever la tête. J'entendais M. Hamel qui me parlait :
« Je ne te gronderai pas, mon petit Franz, tu dois être assez puni… Voilà ce que c'est. Tous les jours on se dit : Bah ! j'ai bien le temps. J'apprendrai demain. Et puis tu vois ce qui arrive… Ah ! ç'a été le grand malheur de notre Alsace de toujours remettre son instruction à demain. Maintenant ces gens-là sont en droit de nous dire : Comment ! Vous prétendiez être Français, et vous ne savez ni parler ni écrire votre langue !… Dans tout ça, mon pauvre Franz, ce n'est pas encore toi le plus coupable. Nous avons tous notre bonne part de reproches à nous faire.
« Vos parents n'ont pas assez tenu à vous voir instruits. Ils aimaient mieux vous envoyer travailler à la terre ou aux filatures pour avoir quelques sous de plus. Moi-même, n'ai-je rien à me reprocher ? Est-ce que je ne vous ai pas souvent fait arroser mon jardin au lieu de travailler ? Et quand je voulais aller pêcher des truites, est-ce que je me gênais pour vous donner congé ?… »
Alors, d'une chose à l'autre, M. Hamel se mit à nous parler de la langue française, disant que c'était la plus belle langue du monde, la plus claire, la plus solide : qu'il fallait la garder entre nous et ne jamais l'oublier, parce que, quand un peuple tombe esclave, tant qu'il tient bien sa langue, c'est comme s'il tenait la clef de sa prison[1]… Puis il prit une grammaire et nous lut notre leçon. J'étais étonné de voir comme je comprenais. Tout ce qu'il disait me semblait facile, facile. Je crois aussi que je n'avais jamais si bien écouté, et que lui, non plus, n'avait jamais mis autant de patience à ses explications. On aurait dit qu'avant de s'en aller le pauvre homme voulait nous donner tout son savoir, nous le faire entrer dans la tête d'un seul coup.
La leçon finie, on passa à l'écriture. Pour ce jour-là, M. Hamel nous avait préparé des exemples tout neufs, sur lesquels était écrit en belle ronde : France, Alsace, France, Alsace. Cela faisait comme des petits drapeaux qui flottaient tout autour de la classe, pendus à la tringle de nos pupitres. Il fallait voir comme chacun s'appliquait, et quel silence ! On n'entendait rien que le grincement des plumes sur le papier. Un moment des hannetons entrèrent ; mais personne n'y fit attention, pas même les tout petits qui s'appliquaient à tracer leurs bâtons, avec un coeur, une conscience, comme si cela encore était du français… Sur la toiture de l'école, des pigeons roucoulaient tout bas, et je me disais en les écoutant :
« Est-ce qu'on ne va pas les obliger à chanter en allemand, eux aussi ? »
De temps en temps, quand je levais les yeux de dessus ma page, je voyais M. Hamel immobile dans sa chaire et fixant les objets autour de lui, comme s'il avait voulu emporter dans son regard toute sa petite maison d'école… Pensez ! depuis quarante ans, il était là, à la même place, avec sa cour en face de lui et sa classe toute pareille. Seulement les bancs, les pupitres s'étaient polis, frottés par l'usage ; les noyers de la cour avaient grandi, et le houblon qu'il avait planté lui-même enguirlandait maintenant les fenêtres jusqu'au toit. Quel crève-coeur ça devait être pour ce pauvre homme de quitter toutes ces choses, et d'entendre sa soeur qui allait, venait, dans la chambre au-dessus, en train de fermer leurs malles ! car ils devaient partir le lendemain, s'en aller du pays pour toujours.
Tout de même, il eut le courage de nous faire la classe jusqu'au bout. Après l'écriture, nous eûmes la leçon d'histoire ; ensuite les petits chantèrent tous ensemble le ba be bi bo bu. Là-bas, au fond de la salle, le vieux Hauser avait mis ses lunettes, et, tenant son abécédaire à deux mains, il épelait les lettres avec eux. On voyait qu'il s'appliquait, lui aussi ; sa voix tremblait d'émotion, et c'était si drôle de l'entendre, que nous avions tous envie de rire et de pleurer. Ah ! je m'en souviendrai de cette dernière classe…
Tout à coup l'horloge de l'église sonna midi, puis l'Angelus. Au même moment, les trompettes des Prussiens qui revenaient de l'exercice éclatèrent sous nos fenêtres… M. Hamel se leva tout pâle, dans sa chaire. Jamais il ne m'avait paru si grand.
« Mes amis, dit-il, mes amis, je… je… »
Mais quelque chose l'étouffait. Il ne pouvait pas achever sa phrase.
Alors il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie et, en appuyant de toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu'il put :

« VIVE LA FRANCE ! »

Puis il resta là, la tête appuyée au mur, et, sans parler, avec sa main, il nous faisait signe :
« C'est fini… allez-vous-en. »
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Excellente adaptation graphique du roman éponyme d'Antonio Tabucchi. Les vieux murs et le ciel atlantique de Lisbonne, comme dans un carnet de voyage, c'est ce qui saute d'abord aux yeux quand on ouvre l'album. Mais l'air salazariste qu'on respire dans ces pages est celui de l'ordre sécuritaire qui prévaut en 1938 et qui sert de toile de fond au roman. L'histoire est celle d'un journaliste veuf et solitaire, Pereira, que la confrontation à la dictature amène peu à peu à reconsidérer de fond en comble son rapport à la vie et aux autres, après sa rencontre avec le jeune Monteiro Rossi, proche des républicains espagnols en guerre de l'autre côté de la frontière, qu'il embauche comme collaborateur au "Lisboa".

Décor de ruelles étroites d'où s'échappent les ombres patibulaires et les personnages directement descendus du roman : portes cochères, patio mauresque de restaurant, façade de café historique (A Brasileira) ou intérieur d'église incandescent, entre-lac des caténaires du tram. Lisbonne apparaît belle et indifférente à L'Histoire, baroque, tournée vers le large, prise sur le vif par Pierre-Henry Gomont. Une greffe originale et réussie avec le texte de Tabucchi. J'ai été sensible au parti pris hybride du graphisme : croquis pour la ville et trait fortement stylisé des personnages. La ville prête à merveille ses hauts et ses bas, sa touffeur ocre rouge sur fond bleu et ses brises océaniques qui ébouriffent pas mal le dessin quelquefois (voir le séjour de Pereira à Parede), à l'atmosphère de l'album.

Le rythme et le déroulement de la narration restent fidèles à l'esprit de l'oeuvre de Tabucchi (l'ironie et la touche onirique sont bien là) avec quelques infimes aménagements et retranchements par rapport au texte original qui n'affectent pas la lecture. le style adopté pour les personnages peut surprendre, parfois juste esquissés. Figure épaisse et massive de Pereira avec une prolifération de bulles quelquefois, environné d'une cohorte de petites créatures fantasmagoriques issue, j'imagine, de la « confédération de ses « moi » multiples » ; lignes plus graciles et fluides pour Monteiro Rossi (avec presque une allure de « Petit Prince ») et son amie Marta, engagés pour la cause républicaine espagnole ; mine ascétique du confident extra-lucide l'excellent père Antonio ou, plus scrutatrice du Dr Cardoso, sondeur d'âmes ironique derrière sa paire de lunettes en forme de phares de camion. Une composition inventive formellement qui joue avec des contrastes colorés superbes réservant aussi au lecteur de longs moments contemplatifs et le silence de nombreuses cases muettes.








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Années 30 au Portugal, Salazar est arrivé au pouvoir, l'Espagne voisine sombre dans la guerre. Pereira est un journaliste, chargé de la page culturelle dans un quotidien, et aussi traducteur d'auteurs français, Balzac, Daudet, il se tient loin de l'actualité, des évènements, il aurait plutôt tendance à se morfondre sur lui-même. Pereira est un veuf déprimé, mais dans sa quête du morbide il va au contraire redécouvrir la vie par le biais d'un jeune couple aventureux, militants anti-fascistes. L'auteur n'attaque pas le sujet politique de front, c'est ce qui fait toute la subtilité et la justesse de son propos. Pereira est juste un esthète, innocent et perdu dans la réalité du moment, déconnecté de la vie.
J'ai aimé ce personnage déboussolé, qui va se découvrir une conscience politique malgré lui. C'est un récit tout en finesse, sans tapage militant, c'est un hommage à la vie, chargé de poésie, servi par un graphisme presque bucolique et léger. le dessin est brut, comme de simples prises de notes aux couleurs vives, ensoleillées du Portugal. La fin est bouleversante et inquiétante. Un très belle lecture…
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Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
- Ce n'est pas mieux ici [qu'en Espagne]... La police brutalise le peuple et on ne respecte pas l'opinion publique...
- "L'opinion publique"... L'opinion publique, c'est un truc inventé par ces Jean-Foutre d'américains ! Ici, c'est le Sud. Et dans le Sud, on obéit à celui qui crie le plus fort !
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(NDLR : à la piscine Pereira et le Docteur Cardoso)

- Vous permettez que je m'installe à côté de vous ?
- Avec plaisir
- Notre discussion s'est interrompue au milieu, hier soir.
- Peut-être.
- Je suis allé acheter le Lisboa ce matin.
- J'ai vu que la page culturelle faisait bonne place aux auteurs français du XIXème. Je connais bien la France, j'y ai effectué mes études...J'ai tout particulièrement apprécié la traduction qui a été faite d'Honorine.
- C'est moi qui m'en suis chargé...
- Mais vous ne l'avez pas signée...Avez-vous aimé faire cette traduction ?
- Oui, beaucoup. C'est un texte qui me parle, sa thématique...La question du repentir.
- Avez-vous fait quelque chose que vous regrettez ?
- Non, c'est assez bizarre.
- J'ai essayé d'en parler à un prêtre... C'est un sentiment diffus. Comme une nostalgie du repentir.
- C'est une drôle de formulation. Expliquez moi.
- Voilà, c'est une sensation étrange qui se trouve comme en périphérie de moi-même. D'un côté je suis heureux d'avoir eu cette vie, d'avoir été journaliste et épousé une femme malade...Mais d'un autre côté, c'est comme si j'éprouvais le besoin de me repentir de cela. Je ne sais pas si c'est clair.
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La philosophie se targue de parler de l'essentiel, et ne s'occupe peut-être que de frivolités... La littérature, c'est l'inverse.
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- "Après l'excommunication du clergé basque Claudel a écrit une ode aux martyrs espagnols... Il accuse les anarchistes d'être responsables du massacre des prêtres à Guernica... Qu'est-ce que tu en conclus de ça, hein ?"

- "Comme ça, là... Je... Je ne sais pas..."

- "Si tu as du mal à te prononcer, je vais te donner un coup de main, moi !... Ce Claudel est un fils de pute. Un point c'est tout." (p. 106)
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-Tu choisiras un extrait de Camoes, un passage patriote pour célébrer la journée de la race.
- La journée de la race, quelle race?
- Enfin... la race portugaise pardi !
- Excusez moi monsieur le directeur mais à l'origine nous étions lusitaniens . . . Puis nous avons eu les romains et les celtes . . . puis enfin les arabes . . . Quelle race sommes nous censés célébrer exactement ?
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