Quand
Karen Taieb, responsable des archives du Mémorial de la Shoah, décide de sortir de l'ombre et de l'oubli des documents conservés précieusement au sein du Mémorial ou de celui de Yad Vashem, cela donne ce livre saisissant et éprouvant.
Saisissant parce qu'il lève le voile sur un pan méconnu de la Rafle dite du Vél d'Hiv : les conditions d'internement à l'intérieur de cette enceinte sportive; éprouvant parce que les mots de ces lettres laissent entrapercevoir la douleur, le bruit, l'odeur, le manque de nourriture et d'eau, en somme toute l'horreur de cet enfer qui a duré cinq/six jours avant l'internement dans les camps du Loiret de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande et le départ pour une destination à l'époque inconnue sur laquelle aujourd'hui un nom a été mis : Auschwitz.
Sont ici présentées dix-huit lettres rédigées majoritairement dans l'enceinte du Vél d'Hiv et parvenues ou non à leur destinataire de façon clandestine, ainsi que quelques unes rédigées des camps d'internement du Loiret.
Toutes traduisent les conditions déplorables d'internement dans cette enceinte sportive absolument pas conçue pour recevoir des hommes, des femmes, des enfants, pendant plusieurs jours : "Déjà chaque femme et ses enfants est un monde de misère. Jamais on n'aurait pu imaginer pareille chose. Parqués là pire que des bêtes, sans aucun soin d'hygiène; deux cabinets toujours occupés par des milliers de personnes. Il faut attendre des heures son tour. Pour l'eau, c'est pareil.".
Plus de huit mille personnes ont été internées dans le Vél d'Hiv pendant plusieurs jours avant d'être acheminées temporairement dans les camps d'internement du Loiret.
La foule est compacte, il n'y a plus de place dans les gradins : "Pour l'instant on attend au Vél' d'Hiver où il y a toujours plus d'arrivages, des enfants, femmes, hommes, il y a de tout.", les enfants jouent sur la piste, il y a des malades à même le sol, il n'y a pas d'eau, pas de nourriture, les toilettes sont bouchées, la toiture du vélodrome est une verrière il fait donc très chaud dans l'enceinte, le bruit est permanent et l'odeur nauséabonde.
Mais la censure a fonctionné, rien n'entre ni ne sort du vélodrome.
Si la plupart de ces lettres témoignent de ces conditions déplorables, l'une fait état de la gentillesse d'un gendarme, un geste plutôt rare qu'il est important de souligner.
Si toutes s'accordent à décrire l'indescriptible, le ton employé n'est pas toujours le même : parfois il y a de l'abattement, de la peur, du courage, mais aussi de l'ironie face à la situation : "Nous sommes tous assis tout autour, sur les fauteuils comme au spectacle, mais ce sont nous les artistes.".
A l'intérieur du vélodrome c'est l'enfer, mais dans les camps d'internement de Pithiviers ou de Beaune-la-Rolande le temps est long et propice à la réflexion : "Je ne fais rien, aussi j'ai tout mon temps pou réfléchir et méditer sur tout le bonheur perdu (qui sait, à jamais peut-être ...).", cette phrase a été écrite par une jeune fille, Edith Schuchova, à l'attention de son meilleur ami, à qui elle précise un funeste : "Forget me not.".
Mais ce livre ne se contente pas de présenter les lettres, il fait également part du destin de toutes les personnes qui les ont rédigées et de leur famille, et présente les rares photographies de toutes ces personnes, permettant ainsi de mettre un visage sur les noms.
C'est aussi en cela qu'il est particulièrement poignant, c'est le destin tragique de plusieurs familles qui est ici raconté, la vie de personnes qui s'est brutalement interrompue et dont aucune n'est revenue de déportation, à l'exception d'Antonina Pechtner.
Ce chapitre m'a particulièrement marquée pour deux raisons, tout d'abord parce que dans sa missive rédigée au Vél d'Hiv Antonina Pechtner fait preuve d'une clairvoyance extraordinaire quant au sort qui l'attend : "Je ne veux pas que mon enfant meure quelque part en Pologne, je veux mourir sans lui.", mais aussi parce qu'elle est l'une des rares personnes arrêtées en juillet 1942 à être revenue de déportation.
D'une certaine manière, c'était presque choquant de le lire tant auparavant j'avais lu la sempiternelle phrase : "Aucun d'entre eux n'est revenu.", aussi parce que dans une certaine mesure je n'arrive pas à comprendre comment cela a pu être possible de réussir à survivre dans l'univers concentrationnaire d'Auschwitz.
Toutes ces lettres sont terrifiantes et criantes de vérité, elles permettent de saisir sur le vif des détails peu connus jusqu'à ce jour et sont malheureusement bien des fois la dernière trace de vie des personnes qui les ont rédigées.
Il faut remercier
Karen Taieb d'avoir rassemblé et publié ces lettres dans ce poignant recueil, un livre indispensable qui participe à la transmission de la mémoire du passé et des victimes de la Shoah, pour ne jamais oublier et surtout que cela ne se reproduise plus jamais.
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