Un beau soir de septembre, le narrateur se décide à une promenade méditative et poétique au sanctuaire de Minase, lieux où s'élevait jadis un ancien palais impérial. La beauté chaleureuse de ces lieux porteurs d'un passé majestueux, évoque au marcheur solitaire des réminiscences d'oeuvres traditionnelles, de poèmes anciens, de haïkus consacrés, ainsi que le désir de contempler la lune sur les rives toutes proches du fleuve Yodo.
Sa solitude est pourtant troublée par l'apparition d'un homme, surgi de derrière les roseaux tel un esprit des eaux.
Celui-ci, après lui avoir offert quelques verres de saké, entreprend de lui faire le récit des amours contrariés de son père avec la belle et distinguée O-Yû. A l'époque, la tradition nippone ne permettant pas à O-Yû, jeune veuve avec un enfant, de se remarier,
le père du conteur s'était résolu à épouser O-Shizu, la soeur cadette d'O-Yû, afin de rester proche de celle qu'il avait épousée dans le secret de son coeur. Une curieuse relation triangulaire, fondée sur la chasteté, s'était alors établie entre O-Yû et le couple, chacun sacrifiant sa vie par amour et par respect pour les deux autres.
A la fin de cette étrange confession, la silhouette de l'inconnu se fond dans le clair de lune, laissant planer comme l'ombre d'un doute sur la réalité de cette rencontre…
Dans ce court roman inspiré d'un vieux conte japonais, Tanizaki prend tout son temps pour camper son décor.
Posément, graduellement, l'auteur japonais crée une atmosphère tout en délicatesse, établit une ambiance douce, éthérée, qui vous happe et vous enivre comme ces coupelles de saké offrant une légère ivresse, un trouble nimbé de bien-être.
Par un lent, long et beau préambule, paisible promenade au bord d'un fleuve un soir de pleine lune, le lecteur sera peu à peu conduit au coeur du récit.
Le promeneur solitaire accompagné d'un lecteur serein, se laissent tout d'abord envahir par la beauté calme des lieux, baignés de douce mélancolie, sorte d'attente contemplative nimbée de poésie nippone, de haïkus, d'histoires traditionnelles.
Puis, avec cette magie que confèrent les bords brumeux d'un fleuve seulement éclairé par l'astre lunaire, l'apparition du deuxième personnage, surgi d'entre les roseaux, ouvre la voie à un autre récit tout aussi délicat et raffiné, l'histoire d'un amour impossible.
Dans la narration de ce récit, l'auteur japonais révèle l'étendue de son érudition des us et coutumes de la tradition nippone et des arts traditionnels (instruments de musique, poésie, oeuvres anciennes).
Apparaît alors un monde où le raffinement et l'élégance le disputent aux devoirs et contraintes imposés par des codes sociaux extrêmement restrictifs.
Le grand auteur japonais, au demeurant souvent bridé par la censure dans d'autres ouvrages, compose ici un tableau d'une exquise subtilité, traduisant à la fois la soumission et le respect aux règles ancestrales, et le rapport triangulaire ambigu et sensuel des personnages.
Ainsi, dans un style imagé, auréolé d'une poésie claire et mélodieuse, il réussit à évoquer les thèmes qui lui sont chers – les passions amoureuses, les relations triangulaires, la beauté, la sensualité - sans toutefois heurter les bonnes consciences.
A la recherche d'un esthétisme gracieux, élégant et raffiné, l'auteur de « La clef », « Eloge de l'ombre » ou « le tatouage », compose «
le coupeur de roseaux » à la manière dont les artistes japonais réalisent leurs estampes à l'époque Edo, avec cette portée philosophique que l'écrivain japonais du XVIIème siècle Asaï Ryôi mentionne ainsi : « vivre uniquement le moment présent, se livrer tout entier à la contemplation de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier et de la feuille d'érable […], dériver comme une calebasse sur la rivière, c'est ce qui s'appelle ukiyo. »
Les descriptions finement nuancées de la nature, des paysages, des costumes, le mouvement suspendu d'un geste féminin, le sentiment d'évanescence et d'éphémère qui se dégagent des êtres et des choses, sont peints au plus fin pinceau et, sous la plume de l'auteur, se dévoilent détail après détail au gré d'une écriture soignée, souple et soyeuse. Si bien que, tout comme les artistes pratiquant l'Ukiyo (ou l'art de l'estampe), l'on pourrait aisément qualifier de « peintre d'un monde flottant » le grand écrivain japonais
Junichirô Tanizaki (1886 – 1965).