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Critique de Zebra


Opération Masse Critique, Juin 2013.

« Changer Barcelone – Politiques publiques et gentrification dans le centre ancien (Ciutat Vella) » est un ouvrage d'Hovig Ter Minassian. Publié en 2013 aux Presses Universitaires du Mirail, plus précisément dans la collection « Villes et Territoires », cet ouvrage de 315 pages est le fruit d'un travail de thèse de doctorat réalisé, entre 2005 et 2009, avec le concours du laboratoire Cités, TERritoires, Environnement et Sociétés (CITERES – UMR 7324) du CNRS et de l'Université François-Rabelais de Tours.

Réélaborée pour être converti en livre, cette thèse est un pur produit de l'Ecole française de géographie : toute idée est énoncée méthodiquement (introduction, développement, conclusion) et avec la prudence qui sied, présentée avec ses hypothèses, son contenu, les arguments favorables et défavorables, des explications, des références (historiques, sociales, démographiques …) et des justifications ; le texte est structuré en chapitres, sections, paragraphes et sous-paragraphes, parsemé de citations (architectes, hommes politiques, sociologues …) en VO, illustré de 12 pages de cartes et de croquis bien faits et en couleurs ainsi que de quelques photos réalisées en noir et blanc par l'auteur : 26 pages de références bibliographiques sont à la fin du livre à la disposition des lecteurs qui voudraient approfondir la question des politiques publiques et de la gentrification dans le centre ancien de Barcelone.

Vous avez dit gentrification : de quoi s'agit-il au juste ? Il n'y a gentrification (page 151) que si les 5 critères suivants sont réunis : présence d'un quartier initialement dégradé et populaire (c'est la situation de départ), amélioration du parce de logements, amélioration généralisée du statut social, changements dans la population par substitution, et non par amélioration in situ du statut, et émergence d'un quartier relativement aisé : c'est le point final du processus de gentrification.

L'auteur observe, sur les 25 dernières années, la transformation et la mutation dont le centre ancien de Barcelone (4,2 km2) a fait l'objet. L'auteur constate l'arrivée progressive des classes moyennes, laquelle s'est traduite par l'éviction des classes populaires qui résidaient dans ce périmètre, la démolition de certains immeubles vétustes, la réhabilitation de quartiers insalubres, la reconversion d'ateliers ou d'usines désaffectées, la transformation de bâtiments anciens en musées, l'ouverture de nouveaux commerces en liaison avec l'explosion d'un tourisme « low cost », une immigration massive en liaison avec une industrialisation croissante, l'offre d'emplois de service, des mesures de protection du patrimoine historique, des tentatives d'éradication de la pauvreté et de la prostitution, la construction de crèches, d'écoles, d'hôpitaux et de logements sociaux, le développement d'espaces culturels et de voies de communication, l'aménagement d'espaces verts, la création d'un centre d'affaires et d'un port touristique à la périphérie du centre ancien …

Dans ce contexte d'évolution de la configuration spatiale et socio-démographique du centre ancien de Barcelone, l'auteur réalise que ces transformations présentent les caractéristiques suivantes : insuffisance des réflexions préalables, manque de place laissée à la concertation avec les parties prenantes, peu de cohérence dans la multitude de projets concurrents lancés pendant toute la période couverte par ces mutations, remise en cause de la spécificité du centre ancien, incapacité à déterminer le bon niveau d'incorporation de nouveautés technologiques, difficulté à définir le type d'ancrage (local ou international) de la transformation urbaine, aveuglement collectif de la classe politique obnubilé par la nécessité de se comparer en permanence avec Madrid et Paris, remise en cause de certains choix du fait de l'existence de coupes budgétaires …

L'auteur pose alors les questions suivantes : comment construire le futur d'une ville, sans ruptures, en prenant en compte les demandes de mémoire et les revendications identitaires ? peut-on construire ce futur en évitant la gentrification ? quel rôle doivent jouer les pouvoirs publics dans cet aménagement urbain ? y-a-t-il un modèle de mutation urbaine, modèle qui vaudrait et qui pourrait être répliqué à l'identique quelle que soit la ville ? que faire pour s'assurer que ce modèle reste cohérent et articule harmonieusement chacun de ces composants dans un contexte de tertiarisation croissante, de densité touristique et de privatisation des projets urbains ? comment légitimer et « vendre » ce modèle ? peut-il s'agir d'un modèle exportable malgré les spécificités de Barcelone ? s'il y a gentrification, doit-elle avancer partout au même rythme ? comment conjuguer modernité et marquage identitaire du centre ancien, lequel conserve une grande force symbolique du fait de l'existence d'un patrimoine culturel indéniable ? comment favoriser la concertation dans le recueil des exigences des nouveaux résidents tout en évitant la concentration des revendications catégorielles, revendications qui pourraient mettre à mal la classe politique, à commencer par le pouvoir municipal ? comment composer habilement et avec quelle marge de manoeuvre considérant la diversité des apporteurs de fonds (municipalité, région, État, communauté Européenne) et les droits spécifiques des communautés autonomes, lesquelles peuvent modifier certaines choses à leur guise ? jusqu'où peut-on aller en termes d'aménagement de l'espace urbain compte tenu du vieillissement de la population, de la montée du chômage, de la crise du logement et de la superposition de logiques contradictoires (économique, sociale, touristique, patrimoniale, symbolique, idéologique, mémorielle …) ? peut-on légitimer le changement de l'espace urbain en se référant à la nécessité d'une rupture politique, rupture qui pourrait aller à l'encontre de la réalisation d'une identité collective ?

L'auteur illustre le tout en rappelant ce qui s'est passé dans le centre ancien depuis les années 1980. Il met en évidence les éléments ayant permis cette gentrification du centre ancien, les effets et les conséquences de ce processus, puis il montre l'empreinte laissée par ce phénomène dans les médias et dans toutes les couches de la population locale, régionale, nationale et internationale. Il illustre son propos de faits concrets et vivants, en évitant toute polémique. Il tire un bilan provisoire de cette expérience en vraie grandeur, en indiquant toutefois que des études complémentaires seraient nécessaires pour en arriver à des éléments conclusifs. Bref, vous avez entre les mains un vrai travail d'universitaire qui ravira les lecteurs usuels de thèses de doctorat, les amoureux de Barcelone, les fans de géographie ainsi que tous ceux qui se passionnent pour l'évolution du paysage urbain. Je souhaite bien du courage aux autres …
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