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Critique de colimasson


Est-ce l'histoire d'un homme ou est-ce l'histoire d'un monde ? En tant qu'homme, Karoo s'est toujours senti isolé. Il tire son sentiment d'existence de cette solitude monadique qui l'empêche de communiquer avec les autres. Voilà sa force, mais voilà aussi son désespoir, voilà pourquoi Karoo oscille sans cesse entre badinerie et ironie.


Alors qu'il aimait se payer des cuites régulières, Karoo réalise un jour que plus aucune substance ne parvient à le tirer hors de lui-même. Les verres de whisky peuvent bien s'aligner, sa lucidité reste d'une précision alarmante. Toutefois, Karoo continue à simuler l'ivresse pour satisfaire les attentes de ses congénères. Alcoolique il fut, alcoolique il restera, tel est le blason qu'il doit continuer à porter car le monde est un grand plateau de cinéma sur lequel chacun doit jouer son rôle du début jusqu'à la fin de son entrée sur scène. La métaphore est bien connue mais Steve Tesich la décline sur des modes variés qui offrent une souplesse de visualisation rare. Trois niveaux s'imbriquent : sur la scène de la vie, Karoo retape des scénarios de cinéma pour produire des soupes commerciales, jusqu'au jour où il tombe sur une vidéo dans laquelle il reconnaît Leila, la mère de son fils adoptif Billy. Non seulement Karoo décide de rechercher cette actrice pour l'inclure dans sa vie au premier niveau, mais aussi afin de transformer cette mauvaise scène du père fuyant qui renie son fils en scène du père aimant. Karoo concrétise ses ambitions mais avance toujours avec hésitation, conscient de la précarité de ses réalisations. Il suffirait d'une grimace pour que l'ensemble du jeu s'effondre. Concentré sur le rôle qu'il doit jouer, il se ferme sur la plupart des informations qui proviennent de l'extérieur. Karoo ne parvient jamais à sortir de lui-même et plus il voudrait aimer, moins il y parvient, parce que les objets de son élection sont trop inconsistants et s'évanouissent plus vite qu'une figure de cinéma.


Karoo est à la fois médiocre et brillant. Brillant, parce que l'évidence eschatologique lui brûle les yeux, l'infinie complexité de l'univers recréant le chaos cosmique dans sa façon d'appréhender les événements anodins d'une existence. Rongé par cette affirmation que « la vie […] n'est pas dépourvue de sens » mais qu' « elle est au contraire tellement pleine de sens que ce sens doit constamment être annihilé au nom de la cohésion et de la compréhension », Karoo essaie d'épurer le flux d'informations qui lui parvient, et c'est à cet endroit qu'il se montre médiocre. Pourquoi s'évertue-t-il à épurer en ne gardant que les aspects négatifs qui lui parviennent ? Pourquoi ne parvient-il pas à se transcender d'une manière qui soit satisfaisante pour lui, et donc pour les autres ? Karoo est peut-être un homme imbu de lui-même, à moins que ses congénères ne soient véritablement pas à la hauteur de ses conceptions. Son histoire se hissera bientôt jusqu'à la conversion religieuse, non pas tant que Karoo se sente soudainement proche de certains dogmes établis précis, mais parce qu'il rejoint l'illumination archétypique des prophètes, en tant que celle-ci exprime, dans son sens profond, la vie secrète et inconsciente de chacun, mais dont seuls quelques élus peuvent être conscients.


Karoo ne pouvait pas aimer seulement une femme, ou un fils, ou un ami ni même une profession ou un idéal de vie. Karoo trop médiocre pour le monde, ou le monde trop médiocre pour Karoo ? L'itinéraire reproduit les frasques d'un Zarathoustra nietzschéen : il faut aller très loin pour revenir apaisé. C'est peut-être, aussi, le sens primordial du message christique.

Lien : http://colimasson.over-blog...
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