En entamant
Les Collines d'Eucalyptus, je m'attendais à m'immerger longuement (près de 900 pages quand même) dans des eaux de raffinement, parfumées aux essences naturelles, dans le bruissement de milliers de branches ondulant sous une douce brise. le titre était tentant, ma curiosité vive puisque je faisais mes premiers pas dans la littérature vietnamienne.
Voilà que je me retrouve en prison, dans un univers forcément confiné, dans les hurlements des gardes, les murs en béton et les odeurs nauséabondes. Bon, ben tant pis, je vais regarder par la fenêtre, la nature doit être fort belle sur ces hauteurs. Nouvelle désillusion, un petit carré de lumière à 30 cm du sol ne montre que du rocher bien gris, bien rugueux, prolongement en miroir de la paroi intérieure.
Au secours ! Où sont les vertes collines du titre ? Qui est ce Thanh, prisonnier chétif, qui purge une peine de vingt-cinq ans dans cet enfer de violence et de famine ? Qui est cette Lan que l'on fusille à quelques mètres de sa cellule ?
C'est ainsi que peu à peu l'histoire va se dérouler. Thanh est le fils unique de parents professeurs, aimé et choyé dans un milieu privilégié. Adolescent, il ressent des pulsions homosexuelles et une première tentative le marque cruellement. Apprentissage des différences, des codes sociétaux, des commérages de village, des traditions ancestrales immuables.
Thanh pratique la vie. Il se lie avec Phu Vuong, fils de l'ogre-poète du village, enfant maltraité devenu ado manipulateur, oisif et intéressé. Ne voulant pas soumettre ses parents à l'opprobre public à la découverte de ses penchants, Thanh choisit de fuir à Dalat, au Vietnam du Sud, avec son jeune amant. Il se débrouille pour trouver de petits boulots tandis que Phu Vuong, désoeuvré et paresseux, devient de plus en plus odieux. Séparation, nouvelle rencontre, nouveau boulot, tissage de relations sociales. Insouciance et émerveillement ont définitivement quitté la place.
Thanh reverra Phu Vuong à Saïgon, le tuera et se retrouvera au bagne.
Duong Thu Huong est revenue du communisme dont elle a vécu les dérives. Exilée en France, ses livres sont interdits au Vietnam. Elle fait particulièrement bien ressortir les tentacules des strates communistes à travers la hiérarchie des gardiens de prison.
Elle peint un portrait de son pays, fin des années 80, avec finesse et, apparemment, sans concession. le long vagabondage de son héros jusqu'à Saïgon lui donne l'occasion de digresser sur les facettes psychologiques de ses personnages, ce qui enlève parfois un intérêt pour l'histoire.
Néanmoins, les sensations, les bruits, les odeurs sont aussi présents que la solitude, l'acceptation et la rédemption.
Première lecture intéressante qui traduit parfaitement les impasses d'un peuple de tradition, brimé, envahi, meurtri par une très longue guerre et qui cherche néanmoins à s'ouvrir sur l'Occident.