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EAN : 9782070447534
112 pages
Gallimard (27/04/2012)
3.82/5   46 notes
Résumé :
Alexis de Tocqueville entreprit à l'été 1831 ce voyage aux confins de la civilisation américaine. L'émerveillement et la crainte d'une nature encore vierge, et cette implacable urbanisation qui se met en marche vers l'ouest, lui inspirent un récit d'une contemporanéité saisissante. Entre Indiens et pionniers, forêts sauvages et rivières profondes, Quinze jours dans le désert fait revivre le mythe de la frontière.
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Imagine-t-on Tocqueville en personnage de western, parcourant l'Ouest américain avec un fusil dans les fontes de sa selle ? Pour ma part, je n'y avais jamais songé avant d'avoir eu vent de ce livre. du grand voyage que fit Tocqueville aux États-Unis, on retient en effet l'oeuvre monumentale que constitue de la démocratie en Amérique, et on oublie plus facilement ce bref récit de vacances aventureuses, au-delà d'une petite bourgade qui n'est alors vue que comme un avant-poste fragile au seuil d'une terre inexplorée : Detroit.

L'ambition de Tocqueville, ici, n'est pas encore d'étudier la jeune société américaine, mais plutôt de la fuir. Tournant le dos à ces villes qui semblent surgir de terre, il ambitionne d'atteindre le dernier point de la « civilisation », et de pouvoir enfin s'avancer à la rencontre du monde « sauvage ».
Si ce texte n'a pas la même dimension que les oeuvres majeures de l'écrivain, il n'en est pas moins passionnant et témoigne de l'originalité irréductible de sa pensée. Tocqueville a déjà compris que la conquête du territoire par les immigrants Européens est un mouvement de fond qu'aucune vicissitude historique ne saura plus remettre en question. Son projet est justement de découvrir, avant qu'il ne soit trop tard, ce qui semble inéluctablement promis à la disparition.

Vouée à disparaître, tout d'abord, la civilisation amérindienne, que Tocqueville ne qualifie d'ailleurs jamais ainsi. Les Indiens demeurent à ses yeux des sauvages, et en cela l'auteur reste de son temps : si l'Indien se trouve si à l'aise dans une Nature dont la compréhension échappe à l'Européen, ce n'est pas parce qu'il a appris à bien la connaître mais tout simplement parce qu'il en fait partie intégrante. L'Indien étant rejeté dans la Nature par ce sophisme, on se sent alors fondé à le qualifier de sauvage. Éternelle incompréhension du sédentaire face au chasseur-cueilleur.
Ceci étant dit, il faut quand même convenir que le point de vue de l'écrivain se démarque radicalement de celui des pionniers qu'il côtoie : dans ce récit, c'est bien la civilisation des Blancs qui cause la perte des Indiens, lesquels ne sont jamais présentés comme une menace mais bien davantage comme des victimes. Même s'il ne réussit pas à se défaire des mots et des schémas de pensée de son époque, Tocqueville s'efforce de cerner l'énigme que ces hommes représentent pour lui. Qu'il n'y parvienne pas est assez secondaire : on sent du moins la sincérité de son désarroi devant ce que les Blancs conquérants infligent à ces peuples.

L'autre sujet du récit est précisément cette Nature sauvage qui s'étend au-delà du front pionnier. Elle fascine tellement l'auteur qu'il en a fait la motivation principale de son voyage, et qu'il est prêt pour cela à payer de sa personne et prendre quelques risques. Tout en faisant avancer son livre au rythme de son cheval, Tocqueville ébauche ici une réflexion passionnante sur le rapport de l'homme à la nature. Il cherche à saisir la mentalité des pionniers, à comprendre leur obsession pour la domination du milieu naturel, et il déplore en même temps qu'un monde de splendeur soit voué à disparaître par l'avancée inexorable de la Frontière. Dans ces pages comme toujours admirablement écrites, on peut ainsi distinguer une sorte de trait d'union entre la mélancolie romantique devant la Nature et un discours plus réflexif où pointe déjà la question de la préservation du monde sauvage face au développement humain. Et ce discours, Tocqueville l'esquisse alors que Henry David Thoreau n'est encore qu'un gamin, et que John Muir n'est même pas né. On ne retire en somme de ce texte qu'un seul regret : celui de sa brièveté.
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[INCIPIT]
« Une des choses qui piquaient le plus vivement notre curiosité en venant en Amérique, c'était de parcourir les extrêmes limites de la civilisation européenne et même, si le temps nous le permettait, de visiter quelques-unes de ces tribus indiennes qui ont mieux aimé fuir dans les solitudes les plus sauvages que de se plier à ce que les Blancs appellent les délices de la vie sociale. »

Diplômé en droit, Alexis de Tocqueville a vingt-six ans quand il part en mission officielle en Amérique avec son ami Gustave de Beaumont pour étudier le système pénitentiaire américain. de retour en France il publiera « du système pénitentiaire aux Etats-Unis et de son application en France », et surtout quelques années plus tard « de la démocratie en Amérique ».

« Quinze jours dans le désert » est un court texte, moins d'une centaine de pages, dans lequel il relate le voyage qu'il entreprit entre le 19 et le 31 juillet 1831 afin de rejoindre Saginaw dans le Michigan, alors la limite atteinte par les européens dans leur soif de colonisation. Il sera publié en 1861 par Gustave de Beaumont après la mort d'Alexis de Tocqueville.

On est bien dans un récit de voyage et non dans un essai. Alexis de Tocqueville décrit les lieux, les personnes qu'il rencontre et partage ses impressions non sans une certaine pointe d'humour et de dérision. Son récit y gagne en sincérité, sentiment renforcé par la candeur et l'émerveillement de cet homme qui va à la découverte du Nouveau Monde.

« Traverser des forêts presque impénétrables, passer des rivières profondes, braver les marais pestilentiels, dormir exposé à l'humidité des bois, voilà des efforts que l'Américain conçoit sans peine s'il s'agit de gagner un écu : car c'est là le point. Mais qu'on fasse de pareilles choses par curiosité, c'est ce qui n'arrive pas jusqu'à son intelligence. »

Le texte ayant été écrit en 1831 il reste donc empreint de quelques formulations datées quant à la considération des peuples.
Il n'en reste pas moins qu'à la différence de la majorité de ses contemporains et en particulier des colons, Alexis de Tocqueville porte un regard bien plus bienveillant et compassionnel sur les amérindiens qu'il rencontre. Même s'il a parfois une certaine méfiance à leur égard, il n'hésite pas à revoir son jugement et à revenir sur son impression initiale.
Il n'est en revanche pas tendre avec les colons américains, principale cible de ses piques, qu'il trouve cupides, rustres et sans morale.

« Au milieu de cette société si policée, si prude, si pédante de moralité et de vertu, on rencontre une insensibilité complète, une sorte d'égoïsme, froid et implacable lorsqu'il s'agit des indigènes de l'Amérique. »

Déjà conscient du désastre qui s'annonce pour les peuples autochtones avec l'accaparement de leurs terres par les européens, la perte de leur mode de vie et les ravages de l'alcool, Alexis de Tocqueville ne peut que présager la fin prochaine d'un monde.
Ce terrible constat, il le fait aussi pour cette nature sauvage, démesurée, « où règnent encore une paix profonde et un silence non interrompu », vouée elle aussi à disparaitre sous l'avancée inexorable de la « civilisation ».

Saisissant de pertinence et d'anticipation.

« Ce sont des faits aussi certains que s'ils étaient accomplis. Dans peu d'années ces forêts impénétrables seront tombées. le bruit de la civilisation et de l'industrie rompra le silence de la Saginaw. Son écho se taira… »
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En 1831, Alexis de Tocqueville, alors jeune magistrat au tribunal de Versailles, est envoyé aux Etats-Unis avec son collègue et ami Gustave de Beaumont pour étudier le système pénitentiaire américain. Il en reviendra avec la matière de ses célèbres écrits politiques, mais aussi avec ce petit texte rédigé entre deux escales, au retour d'une escapade sauvage dans la région des Grands Lacs, qui ne sera publié qu'après sa mort.
En quête de désert, de nature encore inviolée, les deux hommes quittent New York pour Buffalo, d'où un vapeur les conduit jusqu'à Detroit - une petite ville de deux à trois mille âmes que les jésuites ont fondée au milieu des bois en 1710 et qui contient encore un très grand nombre de familles françaises. Et là, les choses se compliquent, car l'esprit pionnier est assez radicalement étranger à l'esprit voyageur : affronter la nature sauvage pour la conquérir, s'y enrichir, tant qu'on voudra, mais l'explorer pour elle-même, par pure curiosité, voilà qui défie l'entendement ! Tocqueville et Beaumont vont devoir s'inventer des prétextes pour qu'on leur indique enfin où aller. La suite du périple se fait à cheval, à travers bois, de plus en plus loin de la civilisation, jusqu'à Saginaw Bay qui, quelques 150 km au nord de Detroit, représente alors l'extrême limite du peuplement européen.

Le voyageur ici est aussi sociologue, philosophe. La description fascinée des grands espaces encore vierges se double d'une réflexion sur l'ambiguïté de la civilisation en marche, se complète d'une étude rapide mais précise des peuples rencontrés, de leur habitat, de leur mode de vie, de leur caractère. On entre ici dans les typologies chères à l'époque, qui peuvent sembler un brin réductrices au lecteur moderne, mais cela reste très intéressant de voir comment ces hommes isolés de tout, voués à se partager une même terre, restent étroitement contraints par leurs origines. le colon français n'est pas le même que le colon américain, les préjugés d'éducation et de naîssance ont la même puissance ici que dans le reste du monde et six religions déjà divisent cette société naissante... sous le regard silencieux des Indiens, grands perdants de l'affaire, admirables encore au fin fond des forêts mais déjà gangrenés par la civilisation et l'alcool, dont Tocqueville ne peut que déplorer la lente disparition.

Une lecture courte mais riche, et de lecture très agréable. Un bon moyen, qui plus est, de découvrir Tocqueville par la petite porte, à défaut de s'attaquer à ses écrits politiques.
Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
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Le désert dont il est question n'est pas celui que vous croyez... Alexis de Tocqueville, le fameux auteur de "De la démocratie en Amérique", ce passage obligé de tout potache de Science-Po, nous raconte ici, dans un récit qui ne sera édité qu'après sa mort, un court voyage qu'il fit en 1831 dans la région des Grands Lacs aux Etats-Unis, à la toute extrémité de l'avancée colonisatrice. le désert on il parle n'est pas un étouffant paysage de sable, mais bien un désert humain, celui de la Frontière, celui des grandes forêts américaines du Nord, avant le passage de la civilisation blanche, ce rouleau compresseur qui détruira les arbres et les Indiens.

J'ai adoré l'humanité et la prescience qui émanent de ce court livre de 150 pages, dans le quel un homme du XIX siècle semble déjà "habiter" en un surprenant exercice de projection, les Etats-Unis d'aujourd'hui. Alors non Tocqueville ne fait pas un exercice à la Jules Verne, il se contente de raconter en termes simples mais remplis d'émotions le périple qui lui fera rencontrer des paysages vierges , une Nature toute puissante et des gens simples et opiniâtres qui y forgent leur existence.

J'ai trouvé aussi remarquable ce respect de l'auteur pour les choses et les gens qu'il décrit. Il nous fait un superbe portrait de la forêt primitive, cet enchevêtrement de grands arbres morts, tels des carcasses de dinosaures, qui barre la route des pionniers et dans lequel se creusent petit à petit les premières clairières qui annoncent sa fin. Même traitement admiratif (et parfois amusé et parfois erroné), pour ces Américains qui l'accueillent dans leur cabine de rondins, pour ces indiens qui le guident, pour ces Européens qui ont abandonné les oripeaux futiles de leur mode de vie pour embrasser les nécessités de leur nouvel univers. Ce livre décrit le courage autant que la cupidité, la misère autant que la grandeur et le fait avec une magnanimité qui étonne.
Lisez donc ce court compte rendu de voyage, qui lorgne du côté de l'ethnographie sans en être vraiment bien sûr, qui annoncerait presque le discours écologique moderne, et qui exprime les ambiguïtés du regard européen sur les "sauvages" du Nouveau monde, dont il note la déchéance lorsqu'ils sont perdus dans la marée blanche qui monte et la dignité quand ils sont dans leur environnement. Vers la fin du livre, arrivé à destination après la traversée de cette immense forêt qui l'impressionne tant, Tocqueville nous sort un très beau discours sur la Nature en péril et la grande civilisation américaine en construction. C'est superbe.
Je vous recommande cette lecture intense qui vous transporte réellement dans un autre monde , guys et guyzettes!
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Alexis de Tocqueville chez les Indiens d'Amérique ! Ou comment, en 1831, un jeune et distingué aristocrate normand n'hésite pas aller toujours plus à l'Ouest explorer une nature encore vierge, encore indemne de l'appétit des colons américains. Un livre attachant qui révèle un Tocqueville curieux, sensible et même avec un certain humour, et bien entendu d'une grande intelligence des situations. Je n'ai pas lu l'ouvrage de M. Onfray ("Tocqueville et les Apaches") mais a priori, "Quinze jours dans le désert" me semble largement amoindrir la thèse d'Onfray qui voit dans Tocqueville un épouvantable individu applaudissant des deux mains la colonisation aux Etats-Unis. Au-delà de la manie malsaine et inutile de juger à l'emporte pièce avec nos convictions d'aujourd'hui les pensées et comportements des hommes des siècles précédents, "Quinze jours dans le désert" montre un homme, tout en ayant comme tout un chacun les préjugés de son siècle et de sa classe, parfaitement lucide, fin psychologue et d'une intelligence supérieure.
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critiques presse (2)
Lexpress
14 août 2012
Vingt ans avant Whitman et Thoreau, Tocqueville chante dans ces Quinze jours dans le désert la beauté lyrique d'un univers qu'il sait éphémère, la solitude d'un "océan de feuillages" primitif et encore inviolé.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Bibliobs
09 juillet 2011
Croyez-en cet aristocrate en visite chez les pionniers du Nouveau Monde: nous serons tous, un jour où l'autre, des Iroquois voués à la disparition.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (3) Ajouter une citation
L'homme s'accoutume à tout. A la mort sur les champs de bataille, à la mort dans les hôpitaux, à tuer et à souffrir. Il se fait à tous les spectacles : un peuple antique, le premier et le légitime maître du continent américain, fond chaque jour comme la neige aux rayons du soleil et disparaît à vue d’œil de la surface de la terre. Dans les mêmes lieux et à sa place une autre race grandit avec une rapidité plus grande encore. Par elle les forêts tombent, les marais se dessèchent ; des lacs semblables à des mers, des fleuves immenses s'opposent en vain à sa marche triomphante. Chaque année les déserts deviennent des villages, des villages deviennent des villes. Témoin journalier de ces merveilles, l'Américain ne voit dans tout cela rien qui l'étonne. Cette incroyable destruction, cet accroissement plus surprenant encore lui paraît la marche habituelle des événements. Il s'y accoutume comme à l'ordre immuable de la nature.
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Combien de fois au cours de nos voyages, n'avons nous rencontré d’honnêtes citadins qui nous disaient le soir tranquillement assis au coin de leur foyer : " Chaque jour, le nombre des indiens va décroissant. Ce n'est pourtant pas que nous leur fassions souvent la guerre, mais l'eau de vie que nous leur vendons à bas prix enlève tous les ans plus que nous pourraient faire nos armes. Ce monde ci nous appartient ajoutaient-ils ; Dieu, en refusant à ses premiers habitants la faculté de les civiliser les a destinés par avance à une destruction inévitable. Les véritables propriétaires de ce continent sont ceux qui savent tirer parti de ses richesses."
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C'est cette idée de destruction, cette arrière-pensée d'un changement prochain et inévitable qui donne suivant nous aux solitudes de l'Amérique un caractère si original et une si touchante beauté. On les voit avec un plaisir mélancolique, on se hâte en quelque sorte de les admirer. L'idée de cette grandeur naturelle et sauvage qui va finir se mêle aux superbes images que la marche de la civilisation fait naître. On se sent fier d'être homme et l'on éprouve en même temps je ne sais quel amer regret du pouvoir que Dieu nous a accordé sur la nature. L'âme est agitée par des idées, des sentiments contradictoires, mais toutes les impressions qu'elle reçoit sont grandes et laissent une trace profonde.
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