L'objet de cet essai est de « traiter non, comme on le fait d'habitude, de la place de l'homme dans la société, mais, à l'inverse, de celle de la société dans l'homme » (p. 10), en d'autres termes, des implications de l'affirmation généralement admise que l'homme est un être social.
L'auteur part d'une étude de l'histoire de la philosophie dans laquelle il est souvent question d'une tension entre une nécessité actuelle de la dimension sociale de l'homme et une origine imaginée-imaginaire qui serait solitaire et pré-sociale. Contre une tradition remontant à l'Antiquité, revigorée par
Montaigne mais surtout caractéristique des contractualistes anglais, contre La Rochefoucauld qui est abondamment cité, mais grâce à une lecture plus complexe que cette que l'on fait habituellement de Rousseau, d'
Adam Smith et de
Kant, Todorov pose les jalons de sa théorie que l'homme ne peut se concevoir que dans sa sociabilité. La dernière partie de cet exposé historico-philosophique est entièrement consacrée à
Freud, héritier de Hegel, et donc à une psychanalyse qui, malgré la multiplicité de ses approches, s'avère plutôt conservatrice dans sa conception de l'« anthropologie intersubjective ».
Le chap. II prend comme point de départ également la théorie freudienne de la pulsion de mort, pour poser une tripartition - « trois paliers » - de l'humain : Être, vivre et exister. La démonstration de cette structure se fonde sur l'ontogenèse, c-à-d. l'évolution des individus depuis l'enfance, sans que les trois paliers n'aient une quelconque succession évolutive : par contre est introduite la notion fondamentale de l'ouvrage, à savoir la « reconnaissance ». Cette notion est approfondie considérablement dans le chap. III qui lui est entièrement consacré, notamment dans l'analyse de « palliatifs » qui se développent lorsqu'elle est lacuneuse ou imparfaite ; ce chap. se clôt sur l'élément dialectique de
la reconnaissance : le « tour de rôle ». (Je précise qu'une extraordinaire coïncidence imprévue m'a amené à m'occuper de la très élaborée théorie de la « (lutte pour
la) reconnaissance » en philosophie politique par
Axel Honneth : bien que les deux penseurs ne se citent pas, la lecture récente des deux me permet d'établir de nombreuses et très jouissives complémentarités ; par la clarté et la généralité des propos, ma préférence va sans équivoque à Todorov.)
Le chap. IV apporte un élément de complexification dans l'interaction entre le je et l'autrui par l'idée qu'il existe une « multiplicité interne » de chaque personne, une idée qui en vérité remonte elle aussi à l'Antiquité. Dans ce chap. sur les « théâtres intérieurs », l'auteur se vaut surtout de la littérature, en particulier de
Proust et de l'ouvrage autobiographique de
Karl Philipp Moritz intitulé Anton
Reiser ; mais naturellement la psychologie jungienne (avec ses concepts de « persona » et d'« imago ») y trouve aussi sa place. Enfin le chap. V pose assez brièvement une autre balise conceptuelle, à savoir la notion d'« accomplissement » : j'ai retenu et extensivement cité surtout l'exemple constitué par la lecture.
Plutôt que de parler d'un « Essai d'anthropologie générale », je songerais à un humanisme de la relation, un thème que Todorov a exploré de différentes manières dans plusieurs de ses ouvrages, et qui ne cesse d'être d'une extrême actualité.
Table [et appel de cit.]
I. Coup d'oeil sur l'histoire de la pensée :
- Les traditions asociales [cit. 1]
- La découverte et sa réduction [cit. 2]
- Survivances modernes [cit. 3]
II. Être, Vivre, Exister :
- Au-delà de la pulsion de mort [cit. 4]
- Les trois paliers
- L'origine des individus
III.
La reconnaissance et ses destinées :
- Modalités [cit. 5]
- Stratégies de défense sociale
- Obtenir la sanction
- Une reconnaissance de substitution
- Les renoncements [cit. 6]
- le tour de rôle
IV. Structure de la personne :
- Multiplicité interne
- Une rencontre à Montjouvain
- L'équipe minimale [cit. 7]
V. Coexistence et accomplissement :
-L'accomplissement de soi [cit. 8]
- Les sentiers étroits [cit. 9]