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Olga Tokarczuk (Autre)
EAN : 9782369145714
288 pages
Libretto (01/10/2020)
3.85/5   894 notes
Résumé :
Janina Doucheyko vit seule dans un petit hameau au cœur des Sudètes. Ingénieur à la retraite, elle se passionne pour la nature, l'astrologie et l'œuvre de William Blake. Un matin, elle retrouve un de ses voisins mort dans sa cuisine, étouffé par un petit os. C'est le début d'une longue série de crimes mystérieux sur les lieux desquels on retrouve des traces animales. La police enquête. Les victimes avaient toutes pour la chasse une passion dévorante. Quand Janina Do... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (221) Voir plus Ajouter une critique
3,85

sur 894 notes
Enchanteresse Olga Tokarczuk. J'ai adoré ce sublime et fascinant roman assez inclassable mêlant savamment ésotérisme, mysticisme, écologie et réalisme magique sous fond de polar. L'autrice interroge avec une grande poésie notre rapport systémique à l'univers, à l'humanité, la nature et surtout aux animaux. le roman s'ouvre sur le réveil brutal en pleine nuit, par un voisin affolé, de Janina Doucheyko enseignante et ancienne ingénieure vivant dans une contrée isolée de Pologne près de la Tchéquie. Il vient de faire une macabre découverte. Elle le suit dans la nuit glacée jusqu'à la maison de « Grand Pied » un braconnier misanthrope dont le cadavre gît dans la cuisine. D'autres morts suspectes vont suivre et intriguer la police. Dénominateur commun : toutes les victimes sont des hommes passionnés de chasse. Fait troublant sur les lieux du crime et sur certains corps on retrouve des traces animales. Une théorie germe alors dans l'esprit de Janina, dictée par son intuition : cette vieille marginale un peu « toquée », lunaire, extravagante mais aussi attachante, extralucide à ses heures, pense que tous ces crimes ont été perpétrés par des animaux pour se venger de leurs tortionnaires. Entre deux traductions des poèmes de W. Blake cette végétarienne férue d'astrologie étudie l'influence des planètes, les éphémérides et le thème astral des victimes cherchant la cause de leur mort dans la conjonction des étoiles persuadée que nos destins sont inscrits quelque part dans l'immensité des espaces interstellaires et corrélés à la configuration des planètes. Considérée comme une folle aux propos délirants par la police ses lettres de contestation contre la maltraitance des animaux sauvages et ses dépositions sur sa théorie demeurent lettre morte. Pessimiste elle voit le monde « à travers une vitre fumée ». Elle vit en symbiose avec les animaux si bien que chacune de leur mort est un deuil insupportable et chaque acte contre eux réveille en elle une colère presque divine. Elle recueille leurs restes, les rassemble et les enterre dans un cimetière près de chez elle ou les conserve dans des boites avec l'espoir qu'un jour ils pourront renaître grâce au clonage.
Connectée aux forces telluriques et célestes elle ressent le monde comme une « toile gigantesque » formant un tout où chaque être vivant est interdépendant et sous influence cosmique. Cet être authentique et hypersensible à la vie intérieure très riche nous embarque dans son étrange quotidien accompagnée de ses amis à la frontière du réel tous ses sens aux aguets dans un décor de congères sculptées par le vent glacial. Malmenée par des maux étranges et inexpliqués qui la saisissent à l'improviste elle poursuit malgré tout son enquête parallèle jusqu'au dévoilement de l'étonnante vérité. Ce plaidoyer vibrant pour la cause animale ponctué de réflexions métaphysiques servi par une écriture intense est un roman d'atmosphère nimbé de mystère, profond et envoûtant à lire absolument. Une pure merveille.
Je dois cette lecture à la superbe chronique de HordeduContrevent merci à elle
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On ne va pas se mentir, je n'avais jamais entendu parler de Olga Tokarczuk jusqu'à l'obtention de son récent prix Nobel. Je me suis donc rendue chez mon libraire qui m'a conseillée d'entrer dans son univers par son roman le plus accessible, Sur les ossements de morts, donc.

Ce que je retiens avant tout de cette lecture vraiment surprenante, c'est d'abord son incroyable et personnage principal : Janina Doucheyko, ingénieure à la retraite, vivant esseulée dans un hameau de la région des Sudètes, au fin fond de la Pologne, à la frontière tchèque. Tout le monde la prend pour une vieille cinglée. Faut dire qu'elle est bourrue, facilement paranoïaque et complètement toquée d'astrologie, obsédée par l'idée que le thème astrologique d'une personne pourrait révéler la date de la mort. Et pour découvrir quelles planètes jouent le rôle des Moires, elle récolte, compulse des milliers de dates de naissance et de décès.

Surtout, elle propose une lecture très personnelle des étranges crimes qui frappent le hameau. Des braconniers, des chasseurs meurent mystérieusement, elle y voit un juste châtiment pour punir des êtres abjects, une vengeance de la part des biches qui se transformeraient en tueuses subtiles. Magnifique idée qui apporte une touche presque fantastique à ce faux polar, amplifiée par les descriptions poétiques d'une nature rude et par les apparitions des fantômes de la mère et de la grand-mère de Janina.

Le récit est très intelligemment menée, chaque détail compte, et l'écriture ciselée de Olga Tokarczuk plonge le lecteur dans une ambiance très singulière qui pousse à la réflexion. S'il y a bien un dénouement qui permet de résoudre brillamment l'enquête, la trame policière n'est en fait qu'une toile de fond prétexte à un portrait corrosif de la société polonaise des marges, et de façon plus universelle, à une fable sur notre rapport à la nature et aux animaux. On est clairement dans de la littérature engagée, mais sans lourdeur ou manichéisme, et surtout avec un sacré sens de l'humour, noir, forcément, comme en témoigne les toutes premières lignes :

« Je suis à présent à un âge et dans un état de santé tels que je devrais penser à me laver soigneusement les pieds avant d'aller me coucher, au cas où l'ambulance viendrait me chercher en pleine nuit. »

Une vraie découverte comme je les aime en littérature, déroutante et intelligente.
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Quelle femme mais quelle femme cette Janina Doucheyko, personnage principal incroyable et haut en couleurs de ce livre "Sur les ossements des morts", femme à laquelle je me suis tant attachée. Je la quitte avec regret. J'ai aimé partager sa solitude dans sa maison isolée et rudimentaire dans la région des sudètes, j'ai aimé marcher à ses côtés dans cet hiver rude, j'ai parfois explosé de rire tant ses pensées sont pétillantes, étonnantes, sincères, voire philosophiques, j'ai parfois été émue aux larmes face à sa sensibilité et son amour pour les animaux qu'elle défend contre vents et marées. Une femme féministe à sa manière, sensible, drôle, engagée. Libre. Malgré son corps vieillissant, douloureux.

"J'ai parfois l'impression d'être tout entière composée de symptômes de la maladie – un fantôme fait de douleurs. Quand je n'arrive pas à m'apaiser, je m'imagine que mon ventre est doté d'une fermeture Éclair, depuis le cou jusqu'au périnée, et que je l'ouvre lentement du haut vers le bas. Je retire ensuite mes bras, mes jambes, je sors ma tête. Je quitte ainsi mon propre corps qui tombe à mes pieds comme un vieux vêtement. Je suis plus menue, plus délicate, presque diaphane. J'ai un corps de méduse, blanc, laiteux, phosphorescent. Cette petite fantaisie est encore en mesure de m'apporter du soulagement. Oui, elle me rend libre."

Bon libre certes, mais tout le monde la prend pour une folle, il faut avouer qu'elle est un peu bourrue, bien embêtante par moment car très insistante notamment auprès des autorités, elle dit ce qu'elle pense, ose exprimer sa colère, et est obsédée par l'astrologie et son influence sur la vie des gens. Elle collectionne ainsi les dates de naissance et de décès pour établir des schémas, trouver des explications. Elle est persuadée que le thème astrologique d'une personne permet de déterminer la cause de son décès à venir et même la date du décès. Elle insiste, explique à qui veut bien l'entendre, à la police surtout sa théorie à propos des morts mystérieux découverts dans le hameau, mais c'est peine perdue : « Quand on arrive à un certain âge, il faut accepter le fait que les gens se montrent constamment irrités par vous. Dans le passé, j'ignorais l'existence et la signification de certains gestes, comme acquiescer rapidement, fuir du regard, répéter « oui, oui » machinalement, telle une horloge. Ou bien encore vérifier sa montre ou se frotter le nez. Maintenant, je comprends bien ce petit manège qui, au fond, exprime une phrase toute simple : « Fiche-moi la paix, la vieille. » Il m'arrive parfois de me demander quel traitement on réserverait à un beau jeune homme qui dirait la même chose que moi. Ou à une jolie brunette bien roulée. » Personne ne veut croire sa théorie selon laquelle ces hommes ont été tués par les animaux qui se vengent d'eux, tous étant des tueurs d'animaux, chasseurs ou braconniers. Une juste vengeance. Des animaux qui se vengeraient…Une cinglée…

Pendant que ces hommes la prennent pour une folle, son regard est acéré, ses pensées sans pitié envers la gente masculine ou les ecclésiastiques (ce fameux curé Frou-frou), voyez plutôt : « Il se leva d'un geste décidé, et je vis alors son ventre proéminent que la ceinture en cuir de son uniforme avait du mal à contenir. Honteux, prêt à se cacher n'importe où, ce ventre glissait vers un endroit aussi inconfortable que délaissé, c'est-à-dire vers les parties génitales. » J'adore, j'adore ses réparties, son humour noir, c'est un régal…mon livre finit dans un piteux état, tout corné, tant ce livre est rempli de telles formules à la fois brillantes et qui invitent très souvent à la réflexion. L'écriture de Olga Tokarscuk est ciselée, fluide, pétillante à l'image de son personnage.


Janina est devenue presque une amie à la fin du livre et je ne devrais pas la nommer Janina, elle déteste son prénom, je devrais l'appeler disons La Rusée, elle en serait ravie, j'en suis certaine : « Quel manque d'invention, tous ces noms et prénoms officiels ! On ne s'en souvient jamais, tant ils sont banals, détachés de la personne qu'ils sont censés représenter et qu'ils ne représentent en rien. de plus, chaque génération obéit à ses modes, ce qui fait que soudain tout le monde s'appelle Margot ou Gabriel, ou encore – Dieu vous en préserve ! – Janina. C'est pourquoi j'essaie de ne plus employer les noms et les prénoms des gens, mais plutôt des qualificatifs, des épithètes, qui me viennent spontanément à l'esprit lorsque je vois une personne pour la première fois. Je reste persuadée que c'est la façon la plus adéquate d'utiliser une langue, au lieu d'agiter simplement un tas de mots dépourvus de sens. ». J'irais bien la retrouver en Tchéquie là où elle est désormais, la Rusée. Elle me ferait un de ces thés noirs, bien noirs, dont elle a le secret.

C'est le deuxième livre que je lis d'Olga Tokarczuk et je suis de nouveau émerveillée mais d'une toute autre façon…si les figures féminines de « Dieu, le temps, les anges et les hommes » m'avaient amenée dans un univers onirique et médiéval, un univers de conte de fées, cette fois cette figure féminine m'a touchée par sa proximité et son engagement, cette façon de dénoncer tout en nuance et sans lourdeur…et surtout n'est-ce pas la meilleure façon d'aborder la vieillesse que cette liberté, liberté de ton, liberté de mouvement, liberté de pensée ?…Je crois bien que je rêve de devenir une Janina Doucheyko, d'avoir sa force et son courage, sa beauté mue par une telle bonté, de connaitre ce rapport à la nature et aux animaux. Quelle merveilleuse fable, quel beau plaidoyer poétique …

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Se pourrait-il que les animaux se vengent des hommes qui les chassent ?

C'est en tout cas ce qu'il se passe alentour de ce petit village polonais des Sudètes, en bordure de la Tchéquie, où les morts se succèdent avec exubérance.

C'est là que vit Madame Doucheyko, la narratrice végétarienne, ingénieure des ponts retraitée, puis professeure d'anglais et de travaux manuels à l'école du village.

Madame Doucheyko déteste son prénom, comme ceux des autres qu'elle affuble de sobriquets (Grand Pied, Bonne Nouvelle, Glaviot, Froufrou, Manteau noir). Elle est férue d'astrologie et fait de savants calculs pour prédire la date et les circonstances de la mort. Il lui arrive aussi de voir sa mère et sa grand-mère, défuntes depuis des lustres, errer dans la cave. On pourrait croire qu'il s'agit de délires et de théories (nombreuses) d'une vieille dame qui communique (déjà) avec l'au-delà.

PAS DU TOUT. Elle a les pieds bien ancrés et d'ailleurs, les pieds, c'est très important. Il convient qu'ils soient toujours propres au cas où elle serait emmenée d'urgence à l'hôpital.

Passionnée par le poète inspiré, William Blake, elle tente de traduire son oeuvre avec un de ses anciens élèves. Et puis, au plus dur des mois d'hiver, elle fait l'inspection quotidienne des maisons que les habitants du village délaissent jusqu'au printemps, et elle déambule inlassablement dans la nature environnante.

Rien de bien alarmant dans cette vie rude. Jusqu'à la mort de ses chiens qui demeurent introuvables. Son chagrin est à la hauteur de son amour pour les animaux, énorme. Lorsqu'un de ses voisins, braconnier aussi bourru qu'elle, meurt étouffé par un os de biche, elle émet l'hypothèse qu'il pourrait s'agir d'une vengeance des animaux. Elle évoque les nombreux procès animaliers qui se sont succédé à travers les siècles (drôlissimes et authentiques) dont le plus célèbre (1521) concerne des rats faisant des ravages dans la population, qui obtinrent un non-lieu grâce à un avocat commis d'office. Seule la moquerie répond aux évocations rigoureuses et aux déductions de la brave dame.

Quelques mois plus tard, c'est au tour du commandant de police de se retrouver cul par-dessus tête dans un vieux puits, avec pour seules traces celles de sabots de biches. Peu après, c'est le tour d'un éleveur de renards blancs, retrouvé pourri, puis celle du curé, membre actif du Cercle de chasseurs local, ainsi que celle de son président aux affaires louches. Pour chacun, des traces d'animaux et les explications logiques mais improbables de Madame Doucheyko, qui n'arrivent pas à convaincre les policiers.

Excellent roman, que dis-je, polar, mené tambour battant d'une écriture enlevée, précise et pleine d'humour. le polar ne fait pourtant pas partie de ma bibliothèque mais la critique récente et intrigante d'Orzech m'a décidée à lire ce livre. Bien m'en a pris et je remercie cette Babéliote qui m'a fait découvrir un genre quasi inconnu pour moi. J'ai passé d'excellents moments.

C'est aussi la découverte d'Olga Tokarczuk que je vais m'empresser de poursuivre. Erudite, inattendue, observatrice du moindre détail, cette auteure contemporaine possède certainement l'art du récit. Car, il n'est pas seulement question de morts bizarres et non élucidées mais aussi de la vie dans un petit village, avec ses cueilleurs de champignons, ses ouvriers forestiers « tous moustachus », sa nature foisonnante et merveilleuse, les directives étranges de la Commission européenne sur la protection et la conservation des espèces locales, le bal annuel, les petits trafics entre amis, et aussi les écueils nombreux rencontrés dans les essais de traduction des poésies de William Blake. Ce livre est source multiple d'intérêts et de questionnements.

A recommander chaleureusement.

Le nom de l'auteure est difficile à retenir mais gagne à être connu et diffusé le plus possible.


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"Je suis à présent à un âge et dans un état de santé tel que je devrais penser à me laver soigneusement les pieds avant d'aller me coucher, au cas où une ambulance viendrait me chercher en pleine nuit." C'est par cette confidence pleine de bon sens que s'ouvre ce roman insolite, Sur les ossements des morts, écrit par Olga Tokarczuk, auteure polonaise, dont c'est le premier ouvrage que je lis d'elle.
Janina Doucheyko, la narratrice, est végétarienne. Jadis, ingénieure elle construisait des ponts à travers le monde entier.
Désormais elle est en retraite, son corps se fatigue, elle s'est retirée dans ce hameau perdu au bord d'une forêt immense qui est son havre de paix. En hiver, elle rend quelques services auprès de certains voisins absents jusqu'au printemps, elle surveille leurs maisons en leur absence.
Ici nous sommes au fin fond de la Pologne, dans cette région perdue des Sudètes, près de la frontière avec la République tchèque. Le téléphone portable passe difficilement et à quelques mètres près, le réseau peut basculer sur l'opérateur tchèque, ce qui crée parfois de désagréables surprises dans les factures.
Dans cette région froide et rude de l'hiver, totalement isolée, c'est l'amour de la nature, des chênes et des tourbières qui anime le cœur de Janina Doucheyko, celui des animaux aussi qui peuplent cette forêt primaire toute proche.
La narratrice donne aussi quelques cours d'anglais et de travaux manuels dans une école du village toute proche.
Janina Doucheyko a deux passions : l'astrologie et la poésie de William Blake qu'elle cherche à traduire avec l'aide d'un ancien élève. Des vers du poète britannique d'ailleurs ouvrent chacun des chapitres du roman.
C'est une vie sereine, loin du bruit du monde. Tout semble paisible jusqu'au jour où ses deux chiennes disparaissent.
Puis un de ses voisins est découvert mort chez lui, mystérieusement étouffé par un os de biche. Dès lors les morts vont s'enchaîner.
Il y a des traces d'animaux sur les scènes de crime. Non seulement des traces d'animaux, mais Janina Doucheyko est convaincue par certains indices que des animaux étaient présents non loin des lieux, à chaque fois. Un groupe de biches, un chevreuil, des lièvres, des renards... Un grand nombre de sabots sur la neige, tout près de là...
Et si les animaux avaient un rapport avec ces morts suspectes et brutales ?
La police locale piétine. D'ailleurs, ces victimes ont-elles été assassinées ? La police n'y croit guère par moments.
Janina Doucheyko tente alors de mettre sa passion d'astrologue au service de l'enquête. Elle croit ici à la conjonction des planètes. Dressant le thème astral des victimes, elle voit bien qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.
Ainsi, ce roman apparaît à première vue ressembler de très près à un polar. Mais cette histoire est bien autre chose et il serait trop simple de la qualifier ainsi. Et peut-être décevant en définitive, car tous les codes classiques du roman policier ne sont pas forcément ici au rendez-vous...
Il y a en effet quelque chose de tout autre dans ce récit, quelque chose de poétique.
Il y a quelque chose de malicieux aussi. Janina Doucheyko, la narratrice a la réputation d'être un peu originale, excentrique même. Elle pose son regard ironique et lucide sur le monde et ses contemporains. Elle est délicieusement espiègle et désobéissante, mais c'est pour mieux se jouer des mesquineries et de la vacuité de l'ordre établi.
Le roman est prétexte à nous faire goutter l'atmosphère insolite, au travers des yeux de la narratrice, ses états d'âme lorsqu'elle pense au désir, à la mort... Nous côtoyons aussi des personnages pittoresques ou grotesques que la narratrice affuble de sobriquets. Ici viennent se mêler à ce récit étrange quelques touches d'humour. Ainsi j'ai adoré le père Froufrou et ses grandes prêches cynégétiques ! Il y a aussi l'évocation de ces comptes-rendus judiciaires sortis tout droit de l'histoire, lorsque la justice des hommes, ne craignant pas le ridicule, poursuivait parfois avec cruauté des animaux. On apprend ainsi qu'au Moyen-âge un essaim d'abeilles fut condamné à l'ex-communion pour avoir perturbé la quiétude d'un notable. Ici elles s'en sortirent plutôt bien... Ou qu'une poule en 1471 à Bâle fut accusée d'avoir pondu des œufs aux couleurs anormalement vives ! Celle-là fut brûlée vive...
Est-ce un signe, une vengeance des animaux à cause de ce foutu dérèglement climatique ?
Des chasseurs se prennent les pieds dans les propres pièges qu'ils posent.
La police commet des erreurs, tâtonne dans la neige, efface peut-être des traces. Au fond on dirait que l'enquête policière passe presque au second plan.
La forêt est bien présente au coeur du roman, sombre et mystérieuse comme si elle recélait la clef de l'énigme à elle seule. Par moments, au bord de ses ramures indécises, on frôle le fantastique.
Le rythme est prenant, le dénouement est inattendu.
Et si les animaux détenaient ici le rôle principal ?
Le récit tient aussi de l'engagement écologique, sorte de plaidoyer poétique et romanesque pour la cause animale.
C'est pour moi une bien belle découverte.
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critiques presse (1)
Lexpress
21 septembre 2012
Peinture d'un "monde où un corps est transformé en chaussures", Sur les ossements des morts passe avec malice de l'intrigue criminelle et zoologique au pamphlet politique sans concession.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (243) Voir plus Ajouter une citation
L’âge venant, beaucoup d’hommes souffrent d’une sorte de déficit, que j’appelle « autisme testostéronien ». Il se manifeste par une atrophie progressive de l’intelligence dite sociale et de la capacité à communiquer, et cela handicape également l’expression de la pensée. Atteint de ce mal, l’homme devient taciturne et semble plongé dans sa rêverie. Il éprouve un attrait particulier pour toutes sortes d’appareils et de mécanismes. Il s’intéresse à la Seconde Guerre mondiale et aux biographies de gens célèbres, politiciens et criminels en tête. Son aptitude à lire un roman disparaît peu à peu, étant entendu que l’autisme dû à la testostérone perturbe la perception psychologique des personnages.
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Lorsqu'on regarde certaines personnes, notre gorge se noue et nos yeux se voilent de larmes d'émotion. Ces personnes-là donnent l'impression d'avoir su préserver en elles le souvenir de notre ancienne innocence comme si elles relevaient d'un égarement de la nature et qu'elles avaient, dans une certaine mesure, échappé à la Chute. Peut-être sont-elles des messagers, à l'instar de ces serviteurs qui, retrouvant leur prince égaré, incapable de se rappeler qui il est, lui montrent une robe d'apparat qu'il portait dans son pays et lui font ainsi comprendre qu'il est temps de reprendre le chemin de la maison (p. 136).
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Les participants à la réunion reprirent leurs débats chaotiques. Quelqu'un ressortit l'affaire qui avait occupé les esprits l'an passé, celle de la bête féroce qui sévissait dans les villages de la campagne cracovienne. Organiser un bal dans cette caserne, à proximité de la plus grande forêt de la région, était-ce bien raisonnable ?
- Rappelez-vous, l'année dernière, la télévision a retransmis la traque que la police avait organisée, dans un village près de Cracovie, pour capturer l'animal mystérieux. L'un des habitants avait pu filmer par hasard le fauve en fuite, probablement un jeune lion, racontait un jeune homme tout excité.
Il me rappelait quelqu'un que j'avais dû voir dans la maison de Grand Pied.
- Voyons, tu dois confondre. Un lion ? Ici ? fit l'homme en kaki ?
- Ce n'était pas un lion, mais un jeune tigre, rectifia Madame Follebaguette. (Je l'avais appelée ainsi parce qu'elle était grande et nerveuse et qu'elle confectionnait des vêtements fantaisie pour les femmes du coin ; bref, c'était un nom qui lui allait bien.) J'ai vu des photos à la télévision.
- Il a raison ! Laisse-le finir ! Cela s'est vraiment passé comme il dit ! s'offusquèrent plusieurs femmes.
- La police l'a cherché pendant deux jours, ce lion ou ce tigre, enfin, cette bête, avec des renforts en hélicoptères et une brigade antiterroriste. Vous vous souvenez ? Tout ça a coûté un demi-million, et ils n'ont pas réussi à l'attraper.
- Il est peut-être venu chez nous.
- Il paraît qu'il tuait d'un coup de patte.
- Il peut vous arracher la tête avec ses crocs.
- Le Chupacabra, dis-je.
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J'ai une théorie. C'est en fait une grave erreur que notre cervelet n'ait pas été correctement connecté à notre cerveau. Il s'agit là sans doute du plus grand bug survenu dans notre programmation. Quelqu'un nous a mal conçus. C'est pourquoi on aurait dû nous remplacer par un autre modèle. Si notre cervelet avait été connecté au cerveau, nous aurions joui de la pleine connaissance de notre anatomie, des processus survenant à l'intérieur de notre corps.

p. 98-99
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Lorsque, en faisant mes rondes, je traversais des lisières et des champs en friche, j’aimais imaginer à quoi ressemblerait cette terre dans des millions d’années. Y aurait-il les mêmes plantes ? Et la couleur du ciel ? Aurait-elle varié ? Les plaques tectoniques bougeraient-elles un jour assez pour faire surgir ici une chaîne de hautes montagnes ? Ou bien une mer ferait-elle son apparition, et il n’y aurait plus aucune raison alors, au milieu du lent bruissement des vagues, d’utiliser encore le mot « endroit » ? Une seule chose est sûre, toutes ces maisons n’existeront plus, aussi mes efforts sont-ils infimes, ils peuvent tenir sur une tête d’épingle, tout comme ma vie. Et ça, il ne faut jamais l’oublier.
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Vidéo de Olga Tokarczuk
Avec Catherine Cusset, Lydie Salvayre, Grégory le Floch & Jakuta Alikavazovic Animé par Olivia Gesbert, rédactrice en chef de la NRF
Quatre critiques de la Nouvelle Revue Française, la prestigieuse revue littéraire de Gallimard, discutent ensemble de livres récemment parus. Libres de les avoir aimés ou pas aimés, ces écrivains, que vous connaissez à travers leurs livres, se retrouvent sur la scène de la Maison de la Poésie pour partager avec vous une expérience de lecteurs, leurs enthousiasmes ou leurs réserves, mais aussi un point de vue sur la littérature d'aujourd'hui. Comment un livre rencontre-t-il son époque ? Dans quelle histoire littéraire s'inscrit-il ? Cette lecture les a-t-elle transformés ? Ont-ils été touchés, convaincus par le style et les partis pris esthétiques de l'auteur ? Et vous ?
Au cours de cette soirée il devrait être question de Triste tigre de Neige Sinno (P.O.L.) ; American Mother de Colum McCann (Belfond), le murmure de Christian Bobin (Gallimard) ; le banquet des Empouses de Olga Tokarczuk (Noir sur Blanc).
À lire – Catherine Cusset, La définition du bonheur, Gallimard, 2021. Lydie Salvayre, Depuis toujours nous aimons les dimanches, le Seuil, 2024. Grégory le Floch, Éloge de la plage, Payot et Rivages, 2023. Jakuta Alikavazovic, Comme un ciel en nous, Coll. « Ma nuit au musée », Stock 2021.
Lumière par Valérie Allouche Son par Adrien Vicherat Direction technique par Guillaume Parra Captation par Claire Jarlan
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