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Critique de Nastasia-B


Ce livre regroupe trois nouvelles ayant une même racine pivot : la mort. Mais chacune avec des architectures et des circonvolutions qui lui sont propres et quelque peu différentes. Au passage, l'auteur nous donne une leçon d'écriture de nouvelle qui prouve, si besoin était, qu'en plus d'être un immense romancier, c'était également un nouvelliste hors pair.

Par exemple, ne vous êtes-vous jamais retrouvés totalement transis par le froid, le vent, la neige, l'épuisement et le manque d'équipement, dans une situation scabreuse, dont on ne peut prévoir la durée ? Eh bien Lev Tolstoï possède cet art unique de nous faire ressentir cette expérience comme si l'on y était dans Maître Et Serviteur.

Voici une nouvelle d'une écriture et d'une composition parfaite : on a un frisson à chaque paragraphe et l'on termine les pages avec l'onglée. On a des engelures rien qu'à imaginer ce pauvre cheval lancé dans le blizzard ; on hurle de froid en imaginant les membres douloureux de l'infortuné Nikita, le serviteur dévoué du cupide, avide, impavide, fétide, rigide et stupide Vassili, son maître.

Pour une histoire de gros sous — lesquelles histoires ne peuvent pas attendre, comme vous le savez —, pour conclure une affaire juteuse autant que douteuse, donc, avant que le vendeur ne se rétracte, Vassili tient absolument à partir de suite, malgré la météo catastrophique. À chaque alternative, le bon sens paysan de Nikita se heurte au bon sens financier de Vassili… et la neige continue de tomber, et le vent continue de souffler…

Dans la nouvelle intitulée Trois morts, c'est la magie de la tuberculose que l'auteur nous dévoile ; et ses effets qu'il portraiture dans une petite nouvelle au format " Maupassant ". Tolstoï appuie particulièrement sur le point sensible et douloureux qu'est le comportement des proches, en attente du trépas du poitrinaire, qui est particulièrement sordide et hypocrite, tout en étant parfaitement transparent pour le malade, qui ne s'y laisse pas prendre et qui imagine déjà le faible manque que représentera sa disparition dans le coeur de ceux qu'il nommait " ses proches ".

L'auteur termine avec un étonnant parallèle, la grande unicité du monde vivant et sa communauté de destin, comme une manière de méditation écrite sur le papier…

Mais bien évidemment, le morceau de choix de ce livre est La Mort d'Ivan Illitch. Avec cette nouvelle, en quelques dizaines de pages, Lev Tolstoï a le talent d'évoquer une vie entière et tout un monde de convenances, d'aspirations, de doutes et de certitudes.

L'issue de la lutte ne laissant guère de suspense, l'auteur s'attache à nous faire vivre et ressentir la lente et inéluctable descente, l'affaissement, le basculement d'un homme, en apparence enviable, du monde des vivants à celui des trépassés. Chemin faisant, l'individu incline à l'examen distancié de sa propre existence passée, à l'introspection, au voyage au creux de soi-même, de tout ce que l'on a pensé et cru, et qui bien sûr n'était que du flan, de la poudre aux yeux, des chimères…

En cette lumineuse nouvelle, Lev Tolstoï aborde une foule de notions, comme l'atroce solitude d'un malade durant les heures de veille nocturne, le schéma du dialogue intérieur du mourant, la personnification de la douleur et la mise à l'épreuve qu'elle engendre, le lancinant va-et-vient entre espoirs de guérison et certitudes du contraire en passant par les phases médianes du doute, l'alternance mécanique entre l'hypocondrie et le déni du mal véritable, la manipulation et l'abus de pouvoir des médecins, l'hypocrisie et le mensonge des proches, la crise de la foi face à l'imminence de la mort ou bien encore la vacuité des apparences et le sens vrai de l'existence.

L'auteur utilise le symbole d'Ivan Illitch, magistrat de premier ordre, rendant des sentences, mis face à la sienne de sentence. Les médecins jouent le rôle des avocats véreux et la Mort, l'authentique présidente de l'audience. Nul besoin de pousser plus loin l'évocation, vous avez dans les mains un petit délice à déguster sans modération en vous pourléchant les doigts. Une fois encore, chapeau bas Monsieur Tolstoï, vous êtes un maître et vos livres sont nos bien fidèles serviteurs. Mais ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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