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EAN : 9782021037029
512 pages
Seuil (03/11/2011)
3.12/5   30 notes
Résumé :
Ce roman haletant est un jeu de pistes époustouflant qui plonge dans les ténèbres de la psyché humaine. Pas étonnant lorsqu' on sait que l’auteur est un spécialiste en psychiatrie.
Mailin Bjerke, une jeune psychologue, disparaît d'Oslo au moment où elle s’apprête à faire des révélations dans un talk show consacré à la pédophilie et animé par un certain Berger, ancien prêtre rockeur au passé sulfureux. Sa soeur Liss, mannequin anorexique qui carbure à la coca... >Voir plus
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Bon, j'ai enfin trouvé le temps de lire et de chroniquer La Mort dans les yeux de Damhaug (à ma grande honte, j'avais autre chose à foutre que de lire des polars ces derniers temps). de ce fier Norvégien, j'avais déjà lu Døden ved vann, puis Syk rose et, bien entendu, le célèbre Flykt, måne (quelle audace dans ces titres, mes amis ! Quelle audace !).
Non, plus sérieusement, je n'en avais jamais entendu parler. J'étais donc assez dubitatif, surtout après avoir lu qu'il était [1] psychiatre et [2] nordique.

[1] Pour les psy, j'ai déjà fait part d'une légère irritation quant aux schémas freudiens contreplaqués sur des personnages aussi authentiques que des meubles Ikea (cf. la chronique de Jeux de vilains). Je vous rassure, de la psychologie à la petite semaine, y en a quand même un peu dans La Mort dans les yeux. Après tout, chacun a ses petites faiblesses et je compatis avec Damhaug en l'imaginant dans la froide nuit norvégienne (donc vers 17 heures), fatigué, en manque de café et contraint de pondre une phrase comme : « La passion est à la fois de la haine et de l'amour ». Ouais, c'est pas glorieux, mais ça ne serait pas faire justice au bouquin que de s'en tenir là. Globalement, les personnages sont assez bien creusés dans leurs contradictions. Cela est notamment dû au travail que ces figures font sur elles-mêmes pour se souvenir et formuler leur mal-être, telle Liss qui revient sur ses expériences en écrivant dans le carnet de sa soeur. le lecteur est ainsi placé en position de confident, ou plutôt d'analyste – ce qui constitue un retournement assez ironique. Autre retournement appréciable : l'idée, souvent suggérée, que les victimes sont en partie responsables de leur sort. Loin d'un beuglement d'auditeur de RMC (sur l'air de « elles l'ont bien cherché »), La Mort dans les yeux laisse apparaître que certains personnages se mettent – et répètent – des situations telles qu'ils se rendent vulnérables. Leur attribuer une part de responsabilité n'est pas un blâme ; c'est, au fil des pages, leur attribuer également une liberté dont les victimes sont habituellement privées dans les romans policiers. Côté narration, certains passages font fortement penser à un stream of consciousness et quelques ellipses habiles enclenchent imperceptiblement une focalisation interne – si discrète qu'une situation biaisée par le regard d'un personnage peut d'abord apparaître comme « objective ». Plus clairement : on entre par petites touches dans la folie des personnages. Les fréquents changements de focalisations justement contribuent au plaisir de lecture : des contrastes – et non des oppositions – se dessinent entre les figures féminines du roman, évitant ainsi toute caricature. Accessoirement, cela m'a permis d'échapper, pendant quelques pages, au personnage principal, Liss, à laquelle j'avais une légère envie de mettre un coup de pied au cul (pas vous, franchement ?).

[2] Pour le roman policier nordique, je me méfiais également. J'ai lu Mankell, Maj Sjöwall et Per Wahlöö. Je reconnais la qualité de leurs romans mais ils me laissent, comment dire, un peu froid. En fait, malgré les intrigues assez prenantes et les structures très bien pensées, je m'emmerde un peu avec les Nordiques. Voilà, c'est dit. Je trouve à ces romans un petit air aseptisé, comme s'ils prenaient place dans une sociale-démocratie qu'on aurait récurée à l'eau de javel (et puis un peu de Carolin, parce que sinon, la javel, ça fait tousser). Les flics notamment m'exaspèrent quand ils se lamentent sur la perte des valeurs, quand ils se scandalisent du manque de civisme de leurs concitoyens et s'épouvantent des crimes sur lesquels ils enquêtent. Je regrette alors mes détectives hard-boiled qui, eux, n'en ont rien à foutre, sentent fort sous les bras et font passer leurs scrupules avec une gorgée de whisky bon marché. Je ne suis pas contre un peu de sensibilité, notez bien. Mais franchement, avec les écrivains nordiques, j'ai parfois l'impression d'entendre les cris d'orfraies de jeunes militants d'Attac dans le 15e arrondissement. Jean-Patrick Manchette, en une phrase souvent citée, a résumé le traditionnel antagonisme entre le roman policier anglais et le polar américain : « D'un côté Hercule Poirot, de l'autre Bogart : la tête et les couilles. » Considérant cette ligne de partage, le roman nordique fait – évidemment – dans le compromis : entre la tête et les couilles, il choisit d'être le ventre mou. Bref, vous l'aurez compris, je n'étais pas tout-à-fait enthousiaste en ouvrant le bouquin. Or, divine surprise, ce Norvégien n'est pas chiant. Les personnages ont de la crasse sous les ongles, boivent, baisent, se droguent, se tuent, se violent – bref, la vie dans ses aspects les plus dégueulasses, mais la vie tout de même. Ce n'est sans doute pas un hasard si le roman débute en Grèce, très loin de la Norvège, sous un soleil qui réveille les corps et fait exsuder toute la saloperie humaine. Cette saloperie, les personnages auront à s'en défaire, à la résoudre par l'enquête (personnelle ou policière) ou à s'en accommoder par quelques mensonges, par quelques lâchetés et quelques oublis : ainsi de l'experte légiste trompant son mari avec un enquêteur qui la laissera tombée pour ne pas nuire à sa carrière ou, plus tragiquement, Liss qui doit apprendre à vivre avec ses morts. Après tout, comme l'avait écrit Mailin avant de mourir : « il peut s'avérer tout aussi important d'oublier que de se souvenir. »

Ce roman est sans doute le plus intéressant qu'il m'ait été donné de lire dans le cadre du « Jury Policier », sans doute parce qu'il a déjoué toutes mes attentes et – il faut bien l'avouer – mes préjugés. Cependant, par delà ces considérations toutes personnelles, je retiendrai surtout la justesse de ton, le refus de la caricature et la prise de risque consistant à mêler des motifs et des écritures habituellement très clivées. Ce mélange, peu commun dans le polar nordique, se reflète finalement en un simple mouvement de l'héroïne : « Elle se retourne vers la flamme qui brûle dans la coupe en forme de feuille, tend la main pour se réchauffer et finit par trouver la bonne distance pour ne pas se brûler. »
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Ce livre a été lu dans le cadre du Jury des lecteurs Seuil Policiers organisé en collaboration avec le site Babelio, et je les en remercie.

Difficile d'écrire une chronique sur ce livre

L'histoire s'ouvre sur un préambule d'une cinquantaine de pages : les vacances d'une famille au soleil en 1996. La mère et ses trois enfants et son compagnon du moment font la fête et se prélassent en bords de mer.

Jusque là, ça va, mais on découvre rapidement que :

Page 10 : la mère est alcoolique

Page 11 : la petite soeur est gravement malade et fait une overdose (non létale) de somnifères par manque d'attention de sa famille.

Page 12 : la mère est bisexuelle, son fils la surprend.

Etc., etc. Suivent : des parents échangistes, des gamins qui s'envoient en l'air, la mère incestueuse, de la pédophilie, du suicide d'enfant, un fils schizophrène dissociatif (à 12 ans ?). En apothéose, sans doute pour apporter une petite note de tendresse car c'est mignon les enfants et les animaux, un petit garçon massacre gentiment un chat en lui crevant patiemment les yeux à l'aide d'un tire-bouchon.

Et ce ne sont là que les faits principaux de ce préambule qui se prélasse dans le glauque, sale, puant, complaisant envers le vice et l'horreur. Ca sent tellement la répétition compulsive de schéma, que la suite est cousue de fil blanc.

J'ai fini le préambule, non sans peine. Je me suis benoitement dit que ce noir tableau rendrait la suite plus supportable.

On découvre ensuite aujourd'hui une jeune femme. Mannequin, plus ou moins prostituée, elle est complètement accro à la cocaïne. Comme il faut cependant que le lecteur ressente un minimum d'empathie, elle est plutôt sympathique. Elle résiste vaillamment à son copain-maquereau qui la fournit en cocaïne et qui voudrait bien la mettre au boulot. Mais ce prince valeureux en pince pour elle. Il ne peut donc se résoudre à la forcer au tapin. Ben voyons, on a tout de suite cerné que c'était un charmant jeune homme, et que ses méthodes de brute épaisse étaient réservées à la copine de l'héroïne. On se demande s'ils vont vivre heureux, avoir beaucoup d'enfants et se promener dans l'herbe verte sous une pluie de lapins bleus ?

Non ! Car elle le bute « par accident ». le fait d'administrer volontairement une forte dose de médicaments dangereux à un drogué ivre étant bien sur un accident. Dans la rubrique accidents, l'affreux aurait aussi bien pu se suicider de quatorze coup de hache dans le dos. (Je ne dévoile rien, il suffit de lire le quatrième de couverture).

La petite soeur de l'héroïne disparait. Elle était thérapeute. On suit l'enquête, un suspense torride digne d'un épisode de « Amour Gloire et beauté ». Un pédophile (ancien prêtre comme il se doit), un mystérieux serial Killer qui crève les yeux de ses victimes…N'importe quel crétin ayant lu les 50 premières pages, vu la couverture du livre et lu le quatrième de couverture devine la suite. La seule question qui se pose est : y aura-t-il rédemption ou non ? Vue l'ambiance générale, je ne crois pas.

Sur un fond glauque et malsain, sur une histoire transparente reste l'écriture. Les dialogues sont empruntés et peu naturels. Les phrases sont relativement bien construites par ailleurs mais manquent de rythme et surtout de changement de rythtme. Les personnages sont incohérents et mal cernés. L'action est brouillonne, poussive, erratique, bâclée. Pour ce qui est de retranscrire les atmosphères, rien, si ce n'est le relent nauséabond des horreurs citées.

J'ai essayé à plusieurs reprises de me replonger dans ce livre. Assis en terrasse au soleil, ou près de la cheminée, même nu dans mon congélateur en écoutant du Barry White, rien n'y a fait. Franchement ce livre, pour moi, quand il n'est pas repoussant est au moins pénible..

C'est le premier partenariat que je n'arrive pas à finir. Toutes mes excuses.

Conclusion :

Je n'ai rien trouvé pour sauver ce livre.

ma note : 5/20
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Septembre 1996. Jo, adolescent norvégien de 12 ans, passe des vacances en Crète avec sa famille. La Crète et son soleil généreux, la mer à proximité, une piscine, de belles filles en tenues légères… le rêve à portée de main. Mais Jo ne le voit pas de cet oeil. Ses parents le dégoûtent : ils passent leur temps à boire, totalement indifférents à leurs enfants. Une belle fille, qui lui semble inaccessible, excite ses pulsions naissantes. Un soir, il semble la surprendre en compagnie d'un garçon. de rage, il torture un chaton, lui crève les yeux et suspend son cadavre mutilé à la porte de l'appartement de la jeune fille.
Décembre 2008, Oslo. Une jeune psychologue, Mailin Bjerke, est retrouvée assassinée. Ses yeux ont été atrocement mutilés. Sa soeur cadette, Liss, revient d'Amsterdam pour essayer de comprendre ce qui s'est passé. Dans sa tête, résonne l'inquiétude de Mailin à son égard : Comment tu vas t'en sortir, Liss ? En enquêtant sur cette mort atroce, peut-être parviendra-t-elle à éclaircir des pans secrets de sa vie, notamment son enfance, dont elle a perdu tout souvenir ?

J'ai eu le grand plaisir de découvrir en avant-première ce policier dans le cadre de ma participation au jury Seuil / Babelio. Dès les premières lignes, j'ai été emballée par l'histoire et j'ai lu ce livre épais (un peu plus de 500 pages) très rapidement, notamment les 100 dernières pages !

L'illustration de la couverture est bien pensée puisqu'elle dévoile les éléments centraux de l'intrigue : un chat dans la partie supérieure, au-dessus du titre, en référence au prologue (septembre 1996). le décor de la Crète, des vacances de Jo, est planté, mais dès les premières lignes, le lecteur se rend compte que l'adolescent est en souffrance :
« Baignade dangereuse mais surveillée. le drapeau jaune flotte. Les vagues se brisent sur le sable, alors qu'il n'est que midi. Il jette sa serviette sur le sable et court dans l'eau, en gardant son tee-shirt jaune sur lui. L'eau lui arrive au nombril. Il plonge dans la vague qui fonce sur lui, nage jusqu'à la prochaine vague et continue au-delà. L'eau le chatouille et ça bouillonne à l'intérieur de sa poitrine, comme si quelque chose de désagréable allait se produire. » (p. 7)
Telles sont les premières lignes de l'ouvrage.
Dans ce long prologue, j'ai beaucoup aimé le portrait de cet ado mal dans sa peau qui flirte avec le danger, qui teste, jusqu'à l'extrême, les limites de son propre corps. Puis arrive le moment du passage à l'acte cruel : un pauvre chaton subit l'ire de Jo. Voilà la première illustration du titre : « La mort dans les yeux ».
Le prologue s'achève sur une lettre mystérieuse écrite par Jakka, un homme que Jo a rencontré en Crète, et adressée à une certaine Liss.

L'auteur nous entraîne 12 années plus tard, en novembre 2008. C'est alors le personnage de Liss qui entre en scène, une jeune femme en rupture, dont le physique ne laisse pas les hommes indifférents. Liss souffre d'anorexie et de boulimie, d'une dépendance à la drogue. Elle est partie loin de sa famille et s'est installée à Amsterdam où elle pose pour des photographes qui lui promettent la célébrité. Elle reste néanmoins très attachée à sa soeur aînée, Mailin. Quand elle découvre que celle-ci a mystérieusement disparu, elle s'envole aussitôt pour la Norvège et s'efforce de tout mettre en oeuvre pour retrouver sa trace. L'espoir disparaît quand son cadavre est retrouvé : ses yeux ont été sauvagement mutilés. Seconde illustration, ici, du titre : « La mort dans les yeux ».
Bien des mystères sont présents dans l'esprit du lecteur et cela m'a semblé particulièrement agréable et stimulant : quels sont les liens entre Jo, 1996, la Crète, le mystérieux Jakka, et Liss, 2008, Mailin ? Les yeux mutilés représentent-ils un premier lien ? Les lettres concises de Jakka ponctuent habilement les différentes parties du livre. J'ai essayé d'émettre des hypothèses sur ces liens tout au long de ma lecture.
Nous vivons l'enquête de Liss, parallèle à l'enquête officielle de la police, de son point de vue à elle, quand elle est éveillée ou alors quand elle rêve : son esprit est souvent brumeux, confus et l'auteur rend bien cette caractéristique : rêve et réalité semblent souvent confondus.
Les thèmes abordés sont ceux des abus sexuels, de la pédophilie, des psychologues, psychiatres, qui essaient d'aider les victimes de traumatismes à mettre en mots des souffrances. le propos est noir, très noir, et l'auteur sait rendre la souffrance de chacun de manière réaliste : on apprend dans la courte biographie présentée en quatrième de couverture qu'il « est diplômé de médecine et s'est spécialisé dans la psychiatrie ».

Le final est spectaculaire par ses rebondissements multiples (jusque dans l'épilogue). Il m'a semblé d'autant plus bluffant que toutes les réponses ne sont pas données, des mystères subsistent, qui permettent au lecteur d'exercer sa part de créativité.

Un grand merci aux Editions du Seuil et à Babelio pour ce magnifique policier, le premier roman de Torkil Damhaug (né en 1958 en Norvège) traduit en France. Ce fut un moment de lecture inoubliable ! J'espère que d'autres oeuvres de cet auteur seront traduites (la quatrième de couverture nous indique qu'il est l'auteur de 5 romans policiers).
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Torkil Damhaug était totalement inconnu en France jusqu'à la publication de ce roman, qui n'est ni son premier – Døden ved vann est son cinquième roman, paru en Norvège en 2009 – ni sans doute son dernier, puisqu'après une carrière de médecin et de psychiatre, Torkil Damhaug se consacre désormais totalement à l'écriture. Ce choix ne surprendra pas après avoir lu ce livre… jusqu'au bout, âmes sensibles s'abstenir. Dans le domaine de la noirceur scandinave, on pensait avoir touché le fond du lac et être allé au bout de la nuit avec les romans à vous glacer de sang de l'islandais d'Arnaldur Indridason. Peut-on alors encore faire frissonner le lecteur aguerri par tant de polars venus du froid ? Torkil Damhaug semble vouloir relever le défi et entraîne le lecteur dans une histoire très sombre mais passionnante, sur plus de 500 pages. Et ce roman épais de Damhaug laisse planer comme une menace au-dessus de vos têtes : la fin de vos nuits paisibles et de vos certitudes, telles que le degré de confiance que l'on peut accorder à ses proches, supposés être d'une santé mentale à peu près acceptable.
Comme souvent dans les romans du même genre, le récit s'articule en plusieurs époques, et le lecteur identifie plus ou moins bien les protagonistes qui opèrent d'un contexte à l'autre. le roman commence par un prologue assez long, dont l'action se situe sur les plages de Crète au cours de l'été 1996. le cadre est idyllique, on fait la connaissance de Jo, d'Ylva et de Jakka en vacances, mais, comme c'est bizarre, on pressent confusément que tout ne va pas très bien se passer. Puis arrive la première énucléation… d'un chat, la terreur sera progressive, mais le ton est donné.
La suite de l'histoire nous transporte en 2008 à Amsterdam puis Oslo. Liss Bjerke, mannequin cocaïnomane, fait tout pour retrouver sa soeur Mailin qui a disparu, et un tueur psychopathe refait surface, on devine assez facilement qu'il s'agit du tortionnaire de chaton.
Ancien psychiatre, Torkil Damhaug connaît sans doute mieux que personne les fêlures de l'âme humaine, et met en scène une série de personnages estampillés psychopathes allant de la névrose légère à la démence la plus lourde. Les enquêteurs, Jennifer Plåterud, Roar Horvath et Hans Magnus Viken, qui n'apparaissent qu'au milieu du récit, sont plutôt réussis et on espère les retrouver bientôt en tant que personnages récurrents de l'auteur. le ressort du suspense provient en grande partie des liens obscurs existants entre le prologue et l'action principale, cadencée par de mystérieuses lettres adressées à Liss et évoquant les personnages du prologue. Qui sont donc Jo et Jakka ? Torkil Damhaug, maître des illusions, vous ballade de fausses pistes en faux-semblants. La mort dans les yeux est un roman mortellement efficace et en trompe-l'oeil.
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La mort dans les yeux est un polar venu du froid. Et, comme d'autres de ces romans noirs nordiques qui s'abattent sur nous depuis quelques années comme une masse d'air frais, le livre du norvégien Torkil Damhaug fait mouche.

Polar nordique

En tournant la dernière des 508 pages qui composent l'épais volume, on est tenté, une fois encore, de s'interroger sur l'engouement qui accompagne presque chaque publication de ces romans policiers sortis de l'imagination (macabre) d'écrivains du nord de l'Europe. Peut-être est-ce que la noirceur d'un crime ne ressort jamais aussi bien que lorsqu'il s'inscrit dans des paysages d'une blancheur immaculée. Peut-être est-ce que l'éclair de brutalité qui se produit au moment de ce crime n'est jamais aussi violent que lorsqu'il a lieu au milieu de l'engourdissement régnant dans des pays tétanisés par le froid et la pénombre dominante.

La mort dans les yeux est de cette veine : des paysages glacés et enneigés, l'obscurité et l'homme, tout au plus toléré par une nature peu avenante. Et puis la violence, la douleur et la mort…

Tout débute pourtant dans la lumière du soleil de Crète où quelques familles norvégiennes sont venues chercher un peu de chaleur et de repos. Rupture dans la narration et le lecteur débarque dans la vie de Liss Bjerke, une jeune femme qui porte sa beauté peu commune comme on porterait un objet utile mais encombrant. Elle s'apprête à quitter précipitamment Amsterdam avec un lourd secret pour rentrer en Norvège – où elle s'était pourtant juré de ne plus remettre les pieds. Sa soeur, jeune psychiatre talentueuse et opiniâtre, Mailin Bjerke, a disparu la veille de son passage dans une émission de télé-réalité animée par un professionnel de la provoc'. Spécialiste des violences faites aux enfants –notamment des abus sexuels -, elle comptait faire des révélations fracassantes. Dévastée, Liss se lance alors sur les traces de sa soeur adorée, s'immisçant dans les recherches de la thérapeute et dans la vie de la femme. Chemin faisant, elle va devoir accepter de se confronter à sa propre culpabilité et ses propres démons, jusqu'à être contrainte de regarder la mort dans les yeux.  

Ecriture clinique

On sait peu de choses de Torkil Damhaug, né en 1958 à Lillehammer et auteur de 5 romans, si ce n'est qu'il a une formation de médecin et une pratique de la médecine psychiatrique. Il n'est donc pas très difficile de trouver d'où vient l'importance que La mort dans les yeux accorde au corps, à la douleur physique et psychique. Quelques scènes de médecine légiste sans états d'âme, quelques passages de tortures à vous soulever légèrement le coeur, les mécanismes de l'anorexie détaillés, font de ce polar norvégien un livre où prédominent les rapports intriqués du corps et de l'esprit. Torkil Damhaug sait décrire ce qui fait mal ou révulse celui qui est spectateur (ou lecteur) de ces moments mettant en scène un corps malmené.

Et si on devait enfoncer le clou (si je puis dire), on pourrait aussi évoquer l'écriture au scalpel de l'auteur. Là encore : clinique. Peu ou pas d'effet de style, de la longueur mais pas de relâchement dans le rythme ; le style du norvégien se met totalement au service de son histoire.

On notera simplement que l'auteur est plus à l'aise à écrire la fuite désespérée d'une victime dans la neige norvégienne que celle, toute aussi pathétique, d'un autre type de victime, dans le sable brûlant de Crète. Comme quoi, même un écrivain ne se délocalise pas toujours facilement.

Agnes Fleury
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Baignade dangereuse mais surveillée. Le drapeau jaune flotte. Les vagues se brisent sur le sable, alors qu’il n’est que midi. Il jette sa serviette sur le sable et court dans l’eau, en gardant son tee-shirt jaune sur lui. L’eau lui arrive au nombril. Il plonge dans la vague qui fonce sur lui, nage jusqu’à la prochaine vague et continue au-delà. L’eau le chatouille et ça bouillonne à l’intérieur de sa poitrine, comme si quelque chose de désagréable allait se produire.
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Le soir où je suis resté dans l'obscurité sur la plage à écouter les vagues se briser sur le rivage, j'étais prêt à prendre ma décision. Aller dans la mer, nager au large et me laisser aspirer au fond, là où le Phénicien et tous les autres noyés se sont laissé décomposer par l'eau.
C'est alors qu'une silhouette a surgi près de l'escalier en pierre. J'ai deviné que c'était Jo. Il est passé devant moi sans remarquer ma présence, a foulé le sable à pas feutrés. Je l'ai vu se déshabiller. Son corps de jeune garçon, malingre et blanc, sous la froide clarté de la lune. J'ai attendu qu'il soit nu avant de me lever et de me promener pour faire semblant de tomber sur lui par hasard. Il regardait fixement la mer et ne me voyait toujours pas. Dans une de ses chaussures, j'ai vu un bout de papier. Il y avait écrit OUBLIEZ-MOI en lettres capitales et irrégulières. Il voulait se noyer. Je l'ai sauvé, Liss. Il m'a sauvé. Sur la plage, cette nuit-là, tandis que les vagues déferlaient et recouvraient nos pieds, on s'est fait l'un l'autre une promesse, sans qu'un seul mot soit échangé.
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Qu'est-ce qui permet de rompre le cercle vicieux des violences et des humiliations sexuelles? Comment expliquer que quelqu'un à un moment donné prend sur lui cette douleur qui lui est imposée au lieu de la faire rejaillir sur d'autres innocents. (page 147)
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- Je voulais seulement te mettre le pied à l'étrier, ajoute Jakka sur un ton un peu différent quand il voit à quel point Jo est troublé. C'est une saine occupation que de s'intéresser aux filles. En tout cas c'est mieux que les scouts et le travail scolaire.
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Tu peux te cacher. Le monde est ce que tu en fais. (page 304)
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