Septembre 1996. Jo, adolescent norvégien de 12 ans, passe des vacances en Crète avec sa famille. La Crète et son soleil généreux, la mer à proximité, une piscine, de belles filles en tenues légères… le rêve à portée de main. Mais Jo ne le voit pas de cet oeil. Ses parents le dégoûtent : ils passent leur temps à boire, totalement indifférents à leurs enfants. Une belle fille, qui lui semble inaccessible, excite ses pulsions naissantes. Un soir, il semble la surprendre en compagnie d'un garçon. de rage, il torture un chaton, lui crève les yeux et suspend son cadavre mutilé à la porte de l'appartement de la jeune fille.
Décembre 2008, Oslo. Une jeune psychologue, Mailin Bjerke, est retrouvée assassinée. Ses yeux ont été atrocement mutilés. Sa soeur cadette, Liss, revient d'Amsterdam pour essayer de comprendre ce qui s'est passé. Dans sa tête, résonne l'inquiétude de Mailin à son égard : Comment tu vas t'en sortir, Liss ? En enquêtant sur cette mort atroce, peut-être parviendra-t-elle à éclaircir des pans secrets de sa vie, notamment son enfance, dont elle a perdu tout souvenir ?
J'ai eu le grand plaisir de découvrir en avant-première ce policier dans le cadre de ma participation au jury Seuil / Babelio. Dès les premières lignes, j'ai été emballée par l'histoire et j'ai lu ce livre épais (un peu plus de 500 pages) très rapidement, notamment les 100 dernières pages !
L'illustration de la couverture est bien pensée puisqu'elle dévoile les éléments centraux de l'intrigue : un chat dans la partie supérieure, au-dessus du titre, en référence au prologue (septembre 1996). le décor de la Crète, des vacances de Jo, est planté, mais dès les premières lignes, le lecteur se rend compte que l'adolescent est en souffrance :
« Baignade dangereuse mais surveillée. le drapeau jaune flotte. Les vagues se brisent sur le sable, alors qu'il n'est que midi. Il jette sa serviette sur le sable et court dans l'eau, en gardant son tee-shirt jaune sur lui. L'eau lui arrive au nombril. Il plonge dans la vague qui fonce sur lui, nage jusqu'à la prochaine vague et continue au-delà. L'eau le chatouille et ça bouillonne à l'intérieur de sa poitrine, comme si quelque chose de désagréable allait se produire. » (p. 7)
Telles sont les premières lignes de l'ouvrage.
Dans ce long prologue, j'ai beaucoup aimé le portrait de cet ado mal dans sa peau qui flirte avec le danger, qui teste, jusqu'à l'extrême, les limites de son propre corps. Puis arrive le moment du passage à l'acte cruel : un pauvre chaton subit l'ire de Jo. Voilà la première illustration du titre : «
La mort dans les yeux ».
Le prologue s'achève sur une lettre mystérieuse écrite par Jakka, un homme que Jo a rencontré en Crète, et adressée à une certaine Liss.
L'auteur nous entraîne 12 années plus tard, en novembre 2008. C'est alors le personnage de Liss qui entre en scène, une jeune femme en rupture, dont le physique ne laisse pas les hommes indifférents. Liss souffre d'anorexie et de boulimie, d'une dépendance à la drogue. Elle est partie loin de sa famille et s'est installée à Amsterdam où elle pose pour des photographes qui lui promettent la célébrité. Elle reste néanmoins très attachée à sa soeur aînée, Mailin. Quand elle découvre que celle-ci a mystérieusement disparu, elle s'envole aussitôt pour la Norvège et s'efforce de tout mettre en oeuvre pour retrouver sa trace. L'espoir disparaît quand son cadavre est retrouvé : ses yeux ont été sauvagement mutilés. Seconde illustration, ici, du titre : «
La mort dans les yeux ».
Bien des mystères sont présents dans l'esprit du lecteur et cela m'a semblé particulièrement agréable et stimulant : quels sont les liens entre Jo, 1996, la Crète, le mystérieux Jakka, et Liss, 2008, Mailin ? Les yeux mutilés représentent-ils un premier lien ? Les lettres concises de Jakka ponctuent habilement les différentes parties du livre. J'ai essayé d'émettre des hypothèses sur ces liens tout au long de ma lecture.
Nous vivons l'enquête de Liss, parallèle à l'enquête officielle de la police, de son point de vue à elle, quand elle est éveillée ou alors quand elle rêve : son esprit est souvent brumeux, confus et l'auteur rend bien cette caractéristique : rêve et réalité semblent souvent confondus.
Les thèmes abordés sont ceux des abus sexuels, de la pédophilie, des psychologues, psychiatres, qui essaient d'aider les victimes de traumatismes à mettre en mots des souffrances. le propos est noir, très noir, et l'auteur sait rendre la souffrance de chacun de manière réaliste : on apprend dans la courte biographie présentée en quatrième de couverture qu'il « est diplômé de médecine et s'est spécialisé dans la psychiatrie ».
Le final est spectaculaire par ses rebondissements multiples (jusque dans l'épilogue). Il m'a semblé d'autant plus bluffant que toutes les réponses ne sont pas données, des mystères subsistent, qui permettent au lecteur d'exercer sa part de créativité.
Un grand merci aux Editions du Seuil et à Babelio pour ce magnifique policier, le premier roman de
Torkil Damhaug (né en 1958 en Norvège) traduit en France. Ce fut un moment de lecture inoubliable ! J'espère que d'autres oeuvres de cet auteur seront traduites (la quatrième de couverture nous indique qu'il est l'auteur de 5 romans policiers).