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EAN : 9782070369058
628 pages
Gallimard (07/12/1977)
4.06/5   292 notes
Résumé :
Deux jumeaux, Jean et Paul, forment un couple fraternel si uni qu'on l'appelle Jean-Paul. Mais Jean veut briser cette chaîne et essaie de se marier. Paul fait échouer ce projet. Désespéré, Jean part seul en voyage de noces à Venise. Paul se lance à sa poursuite et accomplit un long voyage initiatique autour du monde. A travers des aventures multiples et de nombreux personnages, comme le scandaleux oncle Alexandre, surnommé le dandy des gadoues, ce roman illustre le ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (16) Voir plus Ajouter une critique
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Une nouvelle fois, Tournier entreprend de revisiter les mythes..

Lu il y a bien longtemps, les Météores me laissent un souvenir puissant et sulfureux: l'amour gémellaire et l'ordure sont les deux images fortes qui demeurent.

Pour Tournier, il n'y a qu'un seul amour heureux, l'amour de soi, ou plutôt de cet autre soi, de ce double que , depuis Platon, l'homme (ou la femme) pleure de retrouver. Seuls les jumeaux, fils de Castor et Pollux, les Météores, ont à portée de main ce double parfait à aimer...ou à détruire par dévoration.

Il existe d'autres variantes , moins absolues, de ce solipsisme amoureux, et l'homosexualité latente dans chaque livre de Tournier, de Vendredi au Roi des Aulnes, en est une variante.

L'oncle des jumeaux en est ici l'illustration: cet homosexuel triomphant règne sur le champ des déjections et déchets de Marseille; moderne alchimiste, il tire de l'or de l'ordure. Tandis que s'amoncellent les immondices putrides et magnifiques d'une société qui ne veut pas voir les traces qu'elle laisse, lui,comme un voyeur, décrypte son âme en interrogeant ce qu'elle rejette.

Les jumeaux se lancent dans une course-poursuite autour du monde à la recherche de leur moitié idéale, comme l'androgyne de Platon, et l'oncle est encerclé par l'incendie apocalyptique du champ d'immondices, les images et les signes stellaires ou telluriques se répondent et comme toujours chez Tournier, en marge d'un récit passionnant, nous marchons" à travers une forêt de symboles qui (nous) observent avec des regards familiers"...

Moins politique que Le Roi des Aulnes, moins familier que Vendredi, Les Météores sont un des grands textes de Tournier, à décrypter, à scruter, à interroger sans cesse..
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Jean et Paul sont jumeaux. Ils se ressemblent tant que tout le monde a pris l'habitude de les appeler Jean-Paul. Fusionnels comme le sont souvent les couples de jumeaux identiques, Jean et Paul, les frères-pareils, avancent doucement dans l'existence. Mais la vie et les expériences vont peu à peu les séparer. Paul voudrait garder le couple uni et préserver la bulle gémellaire alors que Jean ne rêve que d'explorer et de s'ouvrir aux autres et au monde. « J'étais préposé à la garde de la cellule gémellaire. J'ai failli à ma vocation. Tu as fui une symbiose qui n'était pas amour, mais oppression. Les sans-pareils te faisaient des signes pour te séduire. » (p. 197) Quand les fiançailles de Jean échouent, ce dernier part à travers le monde, talonné par son frère qui fait enfin l'expérience de l'unicité et de la solitude, tout en comprenant l'ubiquité : lui et Jean sont pareils, mais en deux endroits différents. La rupture est enfin consommée. « Que la gémellité dépariée entraîne cette fausse ubiquité qu'est le voyage autour du monde, je ne le sais que trop – et je ne saurais dire où ni quand s'arrêtera mon voyage ? » (p. 512)

Une autre figure éclate tel un météore, celle de l'oncle de Jean et Paul. Alexandre est un homosexuel épanoui qui se surnomme le dandy des gadoues. Directeur d'une usine de traitement des ordures ménagères, il va d'une décharge à l'autre, superbe et fier au milieu de la crasse. Il y a un raffinement mystique et sexuel, une alliance du sublime et du prosaïque dans le portrait qui est donné des jumeaux et de l'homosexuel, le second rejoignant les premiers dans sa quête de son pareil, de celui qui lui ressemble. « le couple homosexuel s'efforce de former une cellule gémellaire, mais avec des éléments sans-pareils, c'est-à-dire en contrefaçon. […] Il cherche en gémissant le frère-pareil avec lequel il s'enfermera dans une étreinte sans fin. » (p. 387)

Michel Tournier se livre à une ambitieuse réflexion sur le couple, ou comment être deux en un ou un en deux. « Quand on a connu l'intimité gémellaire, toute autre intimité ne peut être ressentie que comme une dégoûtante promiscuité. » (p. 265) le cocon gémellaire doit éclater pour que les jumeaux ne s'asphyxient pas. Bénie et tendre pour les enfants, la gémellité est aussi monstruosité en ce qu'elle oppose des doubles confondus qui luttent pour s'identifier en tant qu'individus. Les jumeaux, ce sont une autre forme de l'hermaphrodite : dans le cas de Jean et Paul, le couple se déchire et lutte contre sa complétude pour retrouver son individualité.

Michel Tournier pourrait être un père de l'Église tant son discours religieux et théologique est profond et mystique, mais ce serait un père iconoclaste et subversif, un père qui abat les dogmes, ou plutôt qui les remodèle à l'image d'une société qui a évolué depuis les rois mages. « Je reste chrétien, bien que converti sans réserve à l'Esprit, afin que le souffle sacré ne balaie pas les horizons lointains sans s'être auparavant chargé des semences et des humeurs en traversant le corps du Bien-Aimé. L'Esprit avant de devenir lumière doit se faire chaleur. Alors il atteint son plus haut degré de rayonnement et de pénétration. » (p. 161) Prise telle quelle, cette citation est une merveille de dévotion, mais en lisant entre les lignes, on ressent surtout le chant d'amour d'un homme à un autre homme.

Ce roman est plein d'un lexique riche et complexe, savant dans tous les domaines : pour dire le monde et le représenter, il faut nommer les choses précisément. Et pour dire l'amour, Michel Tournier sait qu'il faut faire un effort incroyable pour éviter les banalités et les écueils du romantisme mièvre. « Rien n'est retenu, tout est donné et pourtant rien n'est perdu, tout est gardé, dans un admirable équilibre entre l'autre et le même. Aimer son prochain comme soi-même ? Cette impossible gageure exprime le fond de notre coeur et la loi de ses battements. » (p. 198 & 199) Là encore, il excelle à exprimer le plus beau des sentiments avec les plus belles des images. Et quand il parle du corps et de sexualité, jamais il ne se laisse prendre au piège du graveleux. « le sexe, la main, le cerveau. Trio magique. Entre le sexe et le cerveau, les mains, organes mixtes, intermédiaires, petites savantes de l'un et de l'autre, caressant pour le compte du sexe, écrivent sous la dictée du cerveau. » (p. 88) Toujours, tout est magnifié sous la plume de cet auteur.

On croise certaines figures d'autres romans de Michel Tournier. Sans être jamais nommé, Abel Tiffauges, l'ogre du Roi des Aulnes, saisit Jean dans une scène à la fois christique et horrifique. Il est aussi question du Robinson de Vendredi ou les limbes du Pacifique. Pour explorer un autre traitement de la gémellité comme complétude infinie et monstruosité, je vous conseille le livre des nuits de Sylvie Germain qui regorge de naissances multiples.
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De l'écrivain ou du philosophe chez Michel Tournier, je ne sais pas lequel des deux me fait le plus peur, mais le fait est que j'aime masochistement le léger malaise que me procure son travail, éperdument la finesse et la profondeur de son écriture, intellectuellement l'originalité et la puissance lyrique d'analyse des thèmes qu'il aborde.
Ici, la gémellité, abordée sous ses aspects mythique, cellulaire, ontologique, affectif, à travers le destin de deux frères jumeaux, Jean et Paul, si semblables qu'on les appelle Jean-Paul, si intimes qu'ils communiquent entre eux par une langue de vent, si mêles qu'eux s'appellent Bep. Trop mêlés pour Jean, qui s'enfuira de par le monde à la recherche de son identité, poursuivi par Paul incapable de vivre sans son frère la condition de "sans pareil".
Tournier nous emmène aux quatre coins du monde et fouille très loin dans la singularité de la condition gémellaire, si unique et si autre que pour nous la faire toucher du doigt, nous autres sans pareils, il introduit entre Jean-Paul et le reste du monde bourgeois un personnage extraordinaire que j'ai adoré, l'oncle Alexandre, homosexuel raffiné, seigneur des gadoues, qui introduit le roman comme un sas d'entrée dans l'univers hermétique aux profanes des jumeaux.
Je n'ai évidemment pas tout compris, tout perçu, mais j'ai en revanche tout lu et ressenti avec un immense plaisir.
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Magnifique roman, d'une autre époque, celle de grands romanciers extérieurs à ce que l'on appelle aujourd'hui l'autofiction. Il mêle déambulations romanesques et réflexions philosophiques, autour de la gémellité et du manque (de l'autre). le roman est polyphonique, donnant la parole à un narrateur indéfini et plus souvent à un des protagonistes de l'action.

L'action commence en 1937, en Bretagne Nord, dans les actuelles Côtes d'Armor, plus précisément dans la baie de l'Arguenon. La Cassine abrite une ancienne ferme où vivent un couple, Édouard et Maria-Barbara Surin, une ribambelle d'enfants, dont les derniers, 6 ou 7 ans - on ne sait plus -, sont des jumeaux, Jean et Paul. Une usine textile jouxte la maison, les Pierres Sonnantes, dont Édouard est propriétaire. Non loin, l'institution Sainte-Brigitte est spécialisée dans l'accueil et le séjour d'enfants handicapés.
Édouard fait de fréquents allers-retours à Paris, ou vit sa mère et où il mène une double vie. Alexandre, son jeune frère, y vit aussi : très attaché à sa mère, il est l'incarnation parfaite du dandy homosexuel, brillant, érudit, précieux, toujours en chasse. C'est le premier narrateur du roman.
Il vient d'hériter d'une charge qu'il trouve répugnante, puis à laquelle il s'adonne avec passion : la gestion des ordures ménagères de Roanne, Marseille, Paris, Casablanca, Deauville... Évoquant ses années de collège et ses premières émotions physiques avec ses camarades d'étude, il se lie à Thomas, dit Koussek, qu'il reverra par hasard lors d'une déambulation à Paris. Thomas, devenu curé, et lui auront une conversation passionnée, d'abord sur l'éloge de l'homosexualité et le mépris où l'on peut tenir le monde prolétaire hétérosexuel, ensuite sur des questions théologiques révélant la primeur du Saint-Esprit sur le Christ, et encensant la Pentecôte.
On retrouve Alexandre à Roanne, pris entre le flux des ordures et ses amours pour deux de ses éboueurs, entre une grève de ceux-ci et les pérégrinations autour du Trou du Diable. À Miramas-Marseille, Alexandre s'installe avec Sam, son chien, dans un vieux wagon, cerné par des rats et des goélands qui se font la guerre, tandis qu'un jour de mistral, son Daniel chéri qui tentait de le rejoindre connaît un sort funeste, servant de gueuleton à ces “gaspards“ boulimiques. Plus tard à Paris, c'est Sam qui disparaît. le périple d'Alexandre s'achève à Casablanca où il devait superviser la décharge d'Aïn Diab : effectuant sa dernière “chasse“ au milieu des docks de la ville, il connaîtra la lame de brigands dans ce lieu mal famé. Exit Alexandre et ses divagations homosexuelles.

Des deux frères-pareils, c'est Paul qui s'exprime le plus, peut-être le plus cérébral, en tout cas le plus attaché à la gémellité, sur laquelle il disserte volontiers. Gardien de la cellule gémellaire, il veille à éviter son éclatement, s'attache « à jouer le grand jeu gémellaire, à accomplir ses rites, à respecter son cérémonial ». Au contraire pour Jean, jumeau équivaut à infirmité, difformité, à l'instar de ces siamois dans des bocaux, aperçus dans une fête foraine. La cellule gémellaire est pour lui une oppression, qu'il cherche à fuir au travers du mariage. Paul intervint alors, donnant après coup une interprétation sans-pareil selon laquelle « par une manoeuvre félonne, il parvint à chasser l'intruse », puis arguant une explication propre à l'intimité gémellaire à laquelle ne peut succéder ce qui ne peut être qu'une « promiscuité dégoûtante ». Or, prenant prétexte d'une opposition entre cardeuses, semeuses de discorde, et ourdisseuses pourvoyeuses de bien, au sein de l'usine des Pierres Sonnantes, Paul pose comme élucidation « qu'au fond cet apparent mariage de Jean avec Sophie n'était qu'un divorce avec moi ».

Jean va fuir ce qu'il nomme « esclavage gémellaire » et disparaître aux yeux de son frère en sillonnant le globe. Il fuit d'abord à Venise où devait se faire son voyage de noces. Paul, dans les pas de son frère, s'y retrouve, rencontre des gens qui ont croisé Jean, réalise que le temps astronomique (saisons, solstices, équinoxes) n'est pas le temps météorologique, celui des météores, des évènements climatiques, le second toujours en avance sur le premier. Paul apprend que Jean est à Djerba et il en prend le chemin, constatant là que son frère a déjà fui. Dérangeant à peine un vieil alcoolique qui vient de perdre sa moitié, créatrice d'un magnifique jardin ravagé par un orage, il poursuit sa quête, conduit en Islande puis au Japon : le soleil éternel de l'île des Lotophages, les jardins japonais natures ou miniatures, des rencontres déterminantes ponctuent son périple, occasionnent ravissement et conviction qu'il doit persévérer. Et puis c'est le Canada, Vancouver et son phoque perché sur un rocher, le train qui gravit les Rocheuses et la Grande Prairie, enfin Montréal puis Berlin. On est en 1961 et c'est la construction du Mur, conjugué à des pluies incessantes et des coulées de boue, qui sera la cause du drame final...

L'écriture de Michel Tournier a quelque chose de magique. Une conjuration qui affecte des passages entiers, chaque phrase semblant comme prise, pénétrée dans une sorte de cocon doux, empli de mots caressants ou extravagants, d'images clémentes ou infernales, de jugements subtils et d'idées singulières, le tout baignant dans une sorte de confiance heureuse.
Son style, son univers sont absolument personnels, faisant advenir des mythes comme la gémellité, l'androgynie ou la tendresse homosexuelle, voire le jardin japonais, célébrant la vie, la nature, le cosmos et ses saisons, mêlant raison - rationalisme, réalisme - et imagination - utopie, légendes. Il faut lire et relire Michel Tournier.
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C'est un très beau roman, publié à une époque (années 70) où un auteur pouvait sans crainte aborder des sujets que l'on estimerait pour le moins difficiles voire scabreux aujourd'hui. Ainsi je ne sais dans quelle mesure l'intense proximité des jumeaux vrais atteint vraiment la dimension sexuelle ("la communion séminale" d'ailleurs non décrite précisément) évoquée ça et là dans le livre mais cette allusion choquera sans doute davantage aujourd'hui qu'à l'époque de sa publication originelle.
Jean et Paul donc sont de vrais jumeaux nés dans les années 30 dans une famille bretonne bourgeoise. Ils ont un oncle scandaleux, Alexandre, un homosexuel qui se trouva forcé de reprendre une entreprise familiale de collecte d'ordures, activité qui lui valut le sobriquet auto-attribué de "dandy des gadoues".
Les destins de Jean-Paul et d'Alexandre sont parallèles. "Ni avec toi ni sans toi" pourrait être l'un des sous-titres du livre tant il illustre le caractère tragique de l'être humain, individualiste invétéré qui ne peut pourtant vivre seul, à la recherche de cet Autre sublime en forme de miroir. Alexandre est en quête de l'amour absolu qu'il manquera de peu et de même le couple gémellaire se dissoudra d'une manière finalement pas totalement élucidée.
Les gens sont souvent fascinés et admiratifs des jumeaux vrais. En ce qui me concerne je les ai très tôt perçus comme des êtres souffrant d'une certaine aliénation, incapables de s'épanouir totalement, l'autre leur étant nécessaire dans une existence la plus parallèle possible mais celle-ci suscitant précisément le rejet de la part du jumeau, souvent celui qui est dominé par le "gardien du temple", qui cherche à s'en affranchir.
L'auteur tire un parallèle entre la gémellité vraie (les jumeaux étant alors nécessairement du même sexe) et l'homosexualité (l'homosexuel recherchant son double narcissique, quête qui, elle aussi, est vouée à l'échec, du moins dans une certaine mesure, l'autre n'étant jamais totalement pareil et lorsqu'il l'est, il suscite paradoxalement un sentiment qui est de l'ordre du désir de meurtre) et en fait ce livre m'a intéressée pour le regard posé sur l'homosexualité bien plus que que pour la description des (més)aventures de la paire de jumeaux. J'ai aimé le personnage d'Alexandre et compati à son destin tragique. Par contre je me suis beaucoup moins attachée à la paire Jean-Paul qui, justement, en tant que repliée sur elle-même semble exclure le lecteur de leurs échanges circulaires. Ensuite, lorsqu'il se retrouvent séparés lorsque Paul a fait échouer les projets de mariage de Jean, les précipitant dans une course à travers le monde, Tourmier choisit de nous faire emboîter le pas de Paul, le gardien du temple de la gémellité, à la poursuite de Jean aspirant à l'autonomie. Or Paul m'était de loin le moins sympathique de la paire. Quelque part je ne pouvais m'empêcher de me dire qu'il avait bien cherché le sort qui lui était réservé et j'aurais préféré suivre Jean, l'âme voyageuse...
Il m'a d'ailleurs semblé qu'à partir de la mort d'Alexandre, lorsque le livre s'est vraiment concentré exclusivement sur le destin de Jean-Paul, la dimension est devenue davantage poétique et symbolique que véritablement narrative. Heureusement car le style de Tourmier est magnifique, l'un des plus beaux qu'il m'ait été donné de lire, et le plaisir pur de lire a alors compensé le relatif manque d'empathie ressenti pour ses personnages.
J'ai beaucoup aimé, même si ce roman peu conventionnel ne plaira pas à "tout le monde"...
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Citations et extraits (45) Voir plus Ajouter une citation
Le pauvre acceptant le corps social tel quel, et entendant s'y faire une place grandissante, est politiquement un invétéré conservateur. Il ne voit pas plus loin que la petite bourgeoisie à laquelle il espère bien accéder au plus tôt. Il en résulte qu'aucune révolution n'a jamais été faite par le peuple. Les seuls ferments révolutionnaires d'une société se trouvent dans la jeunesse estudiantine, c'est-à-dire parmi les enfants de l'aristocratie et de la grande bourgeoisie. L'histoire offre régulièrement l'exemple de secousses sociales brutales provoquées par la jeunesse de la classe la plus favorisée. Mais la révolution ainsi amorcée est récupérée par les masses populaires qui en profitent pour obtenir des améliorations de salaire, une diminution du temps de travail, une retraite plus précoce, c'est-à-dire pour faire un pas de plus en direction de la petite bourgeoisie. Elles renforcent et aggravent ainsi le système social et économique un moment ébranlé, et lui apportent leur soutien en s'y incorporant plus intimement. Grâce à elles, les gouvernements révolutionnaires cèdent la place à des gardiens tyranniques de l'ordre établi. Bonaparte succède à Mirabeau, Staline à Lénine.
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J'ai le temps de me poser la vieille question qui surgit fatalement en voyage dans le cœur sédentaire que je suis : pourquoi ne pas m'arrêter ici ? Des hommes, des femmes, des enfants considèrent ces lieux fugitifs comme leur pays. Ils y sont nés. Certains n'imaginent sans doute aucune autre terre au-delà de l'horizon. A lors pourquoi pas moi ? De quel droit suis-je ici et vais-je repartir en ignorant tout de North Bend, de ses rues, de ses maisons, de ses habitants ? N'y-a-t-il pas dans mon passage nocturne pire que du mépris, une négation de l'existence de ce pays, une condamnation au néant prononcée implicitement à l'encontre de North Bend ? Cette question douloureuse se pose souvent en moi lorsque je traverse en tempête un village, une campagne, une ville, et que je vois le temps d'un éclair des jeunes gens qui rient sur une place, un vieil homme conduisant ses chevaux à l'abreuvoir, une femme suspendant son linge sur une corde tandis qu'un petit enfant s'accroche à ses jambes. La vie est là, simple et paisible, et moi je la bafoue, je la gifle de ma stupide vitesse...
Mais cette fois encore, je vais passer outre, le train rouge fonce vers la montagne nocturne en hululant, et le quai glisse et emporte deux jeunes filles qui se parlaient gravement, et je ne saurai jamais rien d'elles, et rien non plus de North Bend.
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Je trouve remarquable que l'oeuvre la plus célèbre du compositeur vénitien le plus célèbre illustre les quatre saisons. Car il y a sans doute peu d'endroits au monde où les saisons soient moins marquées qu'à Venise. Le climat n'est jamais ici ni torride, ni glacé, mais surtout l'absence de végétation et d'animaux nous prive de tout point de repère naturel. Il n'est point ici de primevères, de coucous, de blés mûrs, ni de feuilles mortes. Mais n'est-ce pas justement pour compenser l'absence de saisons réelles en sa ville que Vivaldi lui a donné des saisons musicales, comme on dispose des fleurs artificielles dans un vase, comme on simule une noble et profonde allée d'arbres en perspective sur la toile de fond d'un décor de théâtre ?
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Les terres polaires - Groenland, quatre fois la France, puis Alaska, trois fois la France - ont tout ce qu'il faut pour faire un vrai pays : plaines, plateaux, fleuves, falaises, lacs, mers... A certains moments on croit survoler le bassin de la Seine, à d'autres la pointe du Raz ou les croupes pelées du Puy de Dôme. Mais tout cela est pur, inhabité, inhabitable, gelé, sculpté dans la glace. Pays mis au frais en attendant que soit venu pour lui le temps de vivre, de servir à la vie. Pays en réserve, conservé dans la glace à l'intention d'une humanité future. Quand l'homme nouveau sera né, on retirera la housse de neige qui recouvre cette terre et on la lui offrira toute neuve, vierge, préservée pour lui depuis le début des âges...
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Instructions en cas de violation de la frontière. Quand le fugitif a franchi le premier obstacle - un cheval de frise par exemple - le garde crie "Halte ! Sentinelle ! Haut les mains !" Si l'interpellé n'obtempère pas, le garde tire un coup de semonce. Si malgré cet avertissement il poursuit sa fuite, le garde fait feu sur lui quel que soit le nombre des obstacles qui lui restent à franchir. Si le fugitif est si près de la frontière qu'un simple avertissement lui donnerait des chances de réussite, le garde doit l'abattre sans plus de délais. S'il se trouve sur les derniers barbelés ou sur le mur, il ne faut pas craindre qu'il tombe sur le territoire de Berlin-Ouest, car un homme touché tombe toujours du côté d'où est parti le coup de feu. Il importe d'éviter de blesser les civils, les policiers ou les soldats alliés à l'Ouest. Les gardes tirent donc soit parallèlement à la frontière, soit de telle sorte que les balles puissent se perdre dans le sol ou le ciel. Si des membres de la Croix-Rouge de Berlin-Ouest entreprennent de couper des barbelés pour aider un fugitif, il faut faire feu, mais non s'il s'agit de soldats alliés.
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Vidéo de Michel Tournier
Enseignante à l'Institut Universitaire Tous Âge d'Amiens, Micheline Foré avait invité Michel Tournier à présenter une conférence dans ce lieu. En raison de problèmes de santé, celui-ci lui proposa plutôt une rencontre chez lui au Presbytère de Choisel. S'en suivirent des échanges amicaux entre l'écrivain et l'enseignante. Leur rencontre eut lieu en mai 2008 en compagnie de sa fille Blandine et de deux amis, Françoise et Jean-Claude Leleux qui filma l?entretien. La librairie du Labyrinthe les remercie tous de lui avoir confié ces images afin de les monter et de les diffuser pour le plaisir de tous.
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