J'ai d'abord vu la pièce... en espagnol! C'est pour compléter les manques que j'ai voulu la lire en français... enfin, en ce français parlé caractéristique des milieux populaires montréalais, une langue qui tend à se perdre mais qui reste bizarrement à l'écrit comme la marque de commerce de Michel Tremblay. La pièce est très bien construite mettant en scène Albertine en cinq temps de sa vie. Elle dialogue avec elle-même et avec Madeleine, sa sœur aimante et aimée, de sa vie ou plutôt de son absence de vie, de la rage et de la culpabilité qu'elle ressent de ses échecs... On comprend au détour des reproches et des altercations entre les différentes Albertines, par des révélations données par petites touches, le drame de sa vie à la fois bien remplie et vide de sens. Le personnage est finement mis en scène et l'on ressent pour Albertine qui se débat dans la tourmente et trouve, à chacun de ses âges, un palliatif différent pour calmer la douleur, une réelle empathie. La pièce finit un peu en queue de poisson avec une sorte de réconciliation des cinq temps d'Albertine, réconciliation qui m'a paru hâtive et bien peu crédible, comme si Albertine se faisait encore des "accroires"... une fin que j'ai eu du mal à sentir apaisée, peut-être à l'image de la fin de vie qu'aura Albertine.
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Il s'agit à mon avis de la plus belle pièce de l'un des plus grands dramaturges québécois.
Albertine est une femme du milieu ouvrier. Sur scène, elle est multipliée par cinq : cinq actrices l'incarnent à cinq moments de sa vie (30, 40, 50, 60 et 70 ans). Les cinq Albertine parlent d'elles, de leur colère, de leurs espoirs, de leurs regrets. Elles s'Adressent parfois l'une à l'autre.
On prend la mesure des effets du temps sur une personne, et ces effets vont bien au-delà du vieillissement. Albertine évolue de la jeunesse à la colère, de la légèreté à l'amertume, puis à une nouvelle forme de légèreté.
Avec elle se trouve Madeleine, sa soeur, avec qui elle échange parfois et qui nous donne un autre éclairage sur le personnage central.
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ALBERTINE À 50 ANS. Quand j'étais petite, j'rêvais, des fois, qu'y' avait rien en dehors de l'école... Que l'école c'tait le monde. Un monde avec rien que enfants. Juste des petites filles qui dansent a'corde.
ALBERTINE À 60 ANS. C'toute des folies, ça... Y nous prennent-tu pour des épais? J'les ai vus débarquer su'a'lune, à la télévision... Voir si ça se peut!
ALBERTINE À 50 ANS. Si y l'ont montré...
ALBERTINE À 60 ANS. Faut pas toute croire c'qu'y nous montrent, t'sais!
Albertine à 70 ans
Pauvre Madeleine...J't'en ai fait voir de toutes les couleurs, hein...mais j'sais pas si tu savais à quel point j't'aimais.
Madeleine la regarde
Madeleine
Non. On n'a jamais su si tu nous aimais ou si tu nous haissais vraiment...Tu nous le disais tellement que tu nous haissais! À chacun son tour ou tout le monde ensemble...Des fois, y'a rien que ça qui venait de toi, on pouvait le sentir, on aurait presque pu le toucher!
Albertine à 40 ans
Si tu savais comme c'est dur de se sentir tu-seule dans une maison pleine de monde! Le monde m'écoute pas ici-dedans parce que j'arrête pas de crier pis j'crie parce que le monde m'écoute pas. J'dépompe pas du matin au soir! À onze heure du matin chus déjà épuisée! J'cours après Marcel pour le protéger pis j'cours après Thérèse pour l'empêcher de faire des bêtises plus graves que celle de la veille! Pis j'crie après moman plus fort qu'a' crie après moi! Chus tannée d'être enragée, Madeleine! Chus trop intelligente pour ne pas me rendre compte que vous me méprisez pis chus pas assez prime pour vous boucher!
Madeleine
Cris moins, Bartine! Essaye de t'exprimer sur un ton un peu plus doux...
Albertine à 40 ans
J'peux pas...mon coeur déborde d'affaires tellement laides, si tu savais...
Silence.
Albertine à 50 ans
Ça va passer
Albertine à 60 ans
Oui, mais ça va revenir...
ALBERTINE À 60 ANS. C’est le renfermé que ça doit sentir. Mais j’ose pas ouvrir le châssis… J’ai trop peur d’attraper mon coup de mort… J’me sus enfermée dans la maison où chus venue au monde… même pas… dans une chambre de c’te maison-là… pour me protéger des senteurs du dehors. Y’a pus rien qui peut me toucher, j’ai perdu l’odorat.
ALBERTINE À 70 ANS. Ça sent la mort au compte-gouttes ! J’ai-tu passé à travers tant d’affaires juste pour en arriver là ?
Les autres la regardent.
Elle se mouche avec un kleenex.
Ça va aller mieux demain.
ALBERTINE À 60 ANS. Tu penses ?
ALBERTINE À 70 ANS. Oui, j’le pense !
[…]
ALBERTINE À 60 ANS. J’ai pus aucun souvenir, d’aucune senteur. Même pas celle des sapins qui m’avait tant étourdie quand j’étais arrivée à duhamel. Toute ma vie, après, quand on parlait de senteur, j’me revoyais, debout sur la galerie, en train de me remplir les poumons de santé ! Aujourd’hui… (Elle regarde Madeleine.)… même si t’essayais de me décrire c’te senteur-là pendant des heures, j’m’en rappellerais pas.
J'me suis faite accroire, un temps, que tout allait ben... J'ai pris mon bord en pensant que le reste du monde me suivrait pas... mais y m'a suivie!
Le Salon dans tes oreilles - S1E41 - Confidences d'écrivain: Michel Tremblay
Confidences avec Michel Tremblay, figure emblématique et incontournable de la littérature québécoise, mais aussi du Salon du livre de Montréal.
Présenté par
SALON DU LIVRE DE MONTRÉAL
Et
LEMÉAC ÉDITEUR
Avec
Michel Tremblay, Auteurrice
Danielle Laurin, Animateurrice
Livre(s)
Victoire !
Le Salon dans tes oreilles est un balado issu des entrevues, tables rondes, et cabarets enregistrés dans le cadre du Salon du livre de Montréal 2020. Écoutez des auteurs, autrices et personnalités parler de livre, de lecture et d'écriture et échanger autour des cinq thématiques suivantes: le Féminisme, la Pluralité des voix, 2020, et après?, Récit et inspiration et Famille et enfance. Bonne écoute!
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