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EAN : 9782709650489
324 pages
J.-C. Lattès (06/01/2016)
3.88/5   398 notes
Résumé :
Lorsque Paul Arezzo, célèbre peintre français, débarque à Kerkennah en 2000, l'archipel tunisien est un petit paradis. L'artiste s'y installe et noue une forte amitié avec la famille de Farhat, un pêcheur, particulièrement avec Issam et Ahlam, ses enfants incroyablement doués pour la musique et la peinture. Peut-être pourront-ils, à eux trois, réaliser le rêve de Paul : une œuvre unique et totale où s'enlaceraient tous les arts.
Mais dix ans passent. Ben Ali ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (114) Voir plus Ajouter une critique
3,88

sur 398 notes
Après avoir lu tous les livres sur le Terrorisme du juge Trevedic ... Je me doutais que son premier roman serait un gros coup de coeur.
Dans ce premier Roman , Trevedic nous raconte une belle histoire ou les thèmes d'art , amour , beauté des paysages sont mis en avant.il évoque ses connaissances précises sur l'endoctrinement ,le respect des règles primitives du prophète au 7 ème siecles, les salafistes...
En effet tout un chacun ne pourrait avoir une telle connaissance des manières si précises d'endoctrinement, des façons pervers d'agir en se servant des mots du prophète et en parlant en son nom.
Paul est un peintre Français qui a perdu ses parents dans un accident de voiture alors qu'il était jeune.
Il est peintre et adore venir sur l'île Tunisienne de Kerkennah , où il trouve l'inspiration .
Il va se lier d'amitié avec Farah , un pêcheur et deviendra un ami proche de la famille.
L'épouse de Farah , atteinte d'une leucémie foudroyante accepte que Paul l'emmène à Paris pour tenter une chimio de la dernière chance.
Paul fera tout son possible pour la la famille se déplace au chevet de Nora à Paris , cependant l'état en décidera autrement et ils n'auront pas les visas. Paul accompagnera Nora jusque dans son dernier souffle.
A son retour en Tunisie, Paul passe beaucoup de temps avec les enfants de Farhat et Nora.
Assam le garçon est passionné de peinture et Ahlam , la fille joue de la musique.
Les deux jeunes s'épanouissent et Paul leur promet qu'il les emmènera à Paris pour des expositions.issam est très doué et une carrière prometteuse l'attent.
La politique tunisienne est au plus mal , la chute de Ben Ali en 2010 fait basculer le pays entier.
Les frères musulmans, les salafistes veulent prendre le pouvoir et imposer la charia.
Issam va se laisser endoctriner par une connaissance du village. ...
Je trouve que ce passage est très important et on voit que c'est un homme de connaissance qui a écrit et décrit ce changement radical de personalité.
Le recrutement est sournois, insidieux... Pour ne pas dire pervers.trévédic est le spécialiste par excellence et pour moi qui connaît bien le sujet il me semble accessible à tout un chacun.
Quant à Ahlam, elle va devenir militante et se battre pour la liberté de la femme .
Elle est soutenue par sa famille contrairement a son frère qyui a décidé de quitter le domicile familial.
Parallèlement à toute cette violence qui envahit le pays , une belle histoire d'amitié entre une famille musulmane modérée et un chrétien non pratiquant est relatée avec intelligence.
Également Une merveilleuse histoire d'amour verra le jour avec des rebondissant surprenants.
Même nous ne sommes pas dans un des livres du juge Trevedic qui nous donne des explications sur les différents mouvements religieux musulmans, la montée de l'intégrisme .... Ce Roman est d'actualité et le fait d'être romancé .., il est très agréable a lire, bien écrit.
Il y a quand même une chose à retinir c'est qu'une histoire d'amitié entre en musulman modéré et un chrétien peu durer toute une vie !!!
J'ai adoré .. Merci Monsieur le juge et continuer d'écrire.
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L'Histoire récente de la Tunisie est au coeur de ce roman, ainsi que l'amitié, l'amour et la beauté de l'art, qui s'oppose au fanatisme.

Je remercie Kielosa qui, par sa critique d'un autre ouvrage de Marc Trévidic Terroristes, a attiré mon attention sur ce beau roman, très bien écrit, documenté et qui, en même temps, a une dimension poétique.

Ahlam est un prénom arabe qui signifie rêve, songe et le roman éponyme de Marc Trévidic est un vibrant hommage à « toutes les Tunisiennes et les Tunisiens qui se battent pour prouver qu'un pays musulman peut être une démocratie ouverte sur le monde et les autres cultures… et que la femme est bien l'égale de l'homme, et non son complément. »

J'ai appris beaucoup de choses sur l'Histoire récente de la Tunisie en lisant ce livre, notamment que le principe d'égalité des sexes en Tunisie datait du 13 août 1956 et du code du statut personnel imposé par Bourguiba. le 13 août est ainsi la « Journée de la femme », jour choisi en 2012 pour une manifestation afin d'empêcher le parti En Nahda de donner un gage aux salafistes en faisant adopter l'article 28 de la nouvelle constitution, où la femme ne serait plus l'égale de l'homme mais son complément.

C'est le personnage d'Ahlam, fille du pêcheur Farhat et soeur d'Issam, qui incarne ces luttes et ces idéaux de la jeunesse tunisienne. Elle m'a beaucoup touchée et j'admire son courage de femme qui, malgré la peur de la violence, refuse de se soumettre. Elle est aidée, soutenue et comprise par Paul qui est un artiste et l'ami de Farhat, au-delà de la différence culturelle. Farhat est de culture musulmane et Paul de culture chrétienne, même s'il est non pratiquant. C'est un Français, un peintre venu trouver l'inspiration à Kerkennah, loin de l'agitation touristique. Il ne repartira pas et deviendra presque un membre de la famille de Farhat.

Pour moi, Ahlam est le récit d'une tragédie qui se termine cependant sur une note d'espoir. La tragédie de l'embrigadement, l'endoctrinement d'un frère, fils, ami, décrite avec précision et un très grand réalisme, sans manichéisme ni parti pris. J'ai ressenti beaucoup d'humanité dans la plume de Marc Trévidic, peut-être le désir de comprendre comment un être humain peut sombrer dans la folie idéologique, d'une manière qui lui semble juste et rationnelle, légitimée par Dieu, au point de renier son père Farhat, son ami Paul alors qu'il lui a appris la peinture, sa soeur Ahlam, parce qu'elle se comporterait comme une « putain », une « mécréante ».

Cette violence soudaine, incontrôlable, qui détruit tout sur son passage est ce qui m'a le plus marquée. Nos proches font des choix et certains de ces choix sont irréversibles, définitifs. Issam s'est choisi une nouvelle famille : les compagnons de sa cellule djihadiste, et pourrait tuer les membres de son ancienne famille si son émir le lui demandait…

Ahlam et Issam ne choisissent pas le même combat, le même idéal mais, entre combattants, des liens peuvent se créer comme entre Ayman, un des chefs de la cellule djihadiste, et Abdelmalik. Lorsque Ayman apprend le décès de son ami en Syrie, il traverse un moment de doute et de tristesse : « N'y avait-il que les mécréants à avoir le droit de pleurer la mort de leurs êtres chers ? »

Le thème de l'art est très présent : peinture, piano…, Ahlam et Paul sont des artistes passionnés, des poètes, des idéalistes, ils aiment la beauté sous toutes ses formes : les couleurs, les sonorités, les corps, les paysages et vouent leur existence à la représenter, ils rêvent d'unir toutes les formes d'art. le conflit qui les oppose à Issam renvoie à des débats philosophiques ancestraux. Déjà, Platon considérait que le poète n'a pas sa place dans la cité quand il est du côté de l'illusion et non de la vérité, qui vient des dieux. Issam désapprouve désormais l'art figuratif alors que, pour Paul, rien n'est plus beau que peindre un regard de femme, celui d'Ahlam, celui de sa mère, qui est à l'origine de sa vocation artistique.

Ce roman est riche de plusieurs thèmes. Au-delà des débats contemporains sur des questions d'actualité telles que le djihadisme, le salafisme, le terrorisme ou des théories philosophiques, religieuses intemporelles sur l'art, sa place et sa fonction dans la société, il m'a fait songer à une petite phrase de Pascal : la « pensée fait la grandeur de l'homme » mais, malheureusement, elle peut aussi le faire sombrer dans le dogmatisme puis la barbarie.
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Quand un juge ultra-médiatisé, ex-patron du pôle anti-terroriste, décide d'abandonner les tribunaux, les essais littéraires et les plateaux télés pour s'essayer au roman grand public, je me dis ouille ouille ouille, on l'a perdu. Et de m'arracher sauvagement les cheveux : encore un qui s'éparpille, s'en est fini de sa crédibilité, moi qui l'aimais bien il a tout brisé entre nous. Et de m'emballer : Trévidic t'es foutu, Babélio est dans la rue. Puis je retrouve la raison : tiens, si je lisais le bouquin plutôt que douter et critiquer le bonhomme? Pas idiot ça. Puis la calvitie ne m'ira pas de toute façon.

Et... Quand un juge ultra-médiatisé, ex-patron du pôle anti-terroriste, se sert de la fiction à des fins de vulgarisation et de sensibilisation sur un sujet aussi sensible que le fanatisme religieux et l'endoctrinement, je m'incline alors bien bas et réimplante mes cheveux.

Marc Trévidic se révèle un excellent conteur. Et rien n'échappe à son regard expert. En situant son roman sur plus d'une dizaine d'années dans la Tunisie de Ben Ali jusqu'à sa chute, il confirme adroitement que la menace des fondamentalistes fanatiques plane de longue date, les loups étant tapis dans l'ombre prêts à bondir à la première occasion, et soutenus par une effarante logistique. Ce roman est notamment un bon prétexte pour pointer de la plume l'incroyable et impitoyable organisation de ces extrémistes. A travers le personnage d'Issam, frère d'Ahlam, fragilisé par la mort de sa mère et tiraillé entre une famille pourtant aimante et bienveillante, un avenir prometteur loin des turpitudes tunisiennes, et des "amis" salafistes, Trévidic décortique patiemment la lente radicalisation des plus fragiles et l'impact sur leurs proches.
Et il excelle sur ces passages. Fort de son expérience de terrain, il met en exergue les techniques d'enrôlement des filières djihadistes, le djihad médiatique et ses montages vidéos visant une propagande de masse, la manipulation par le discours et l'image.

En parallèle, le roman appuie sur les faibles recours des proches, spectateurs impuissants et otages de la métamorphose de leur fils, frère, ami, de leur Tunisie toute entière. Se résigner, fuir ou lutter. Les armes (bien dérisoires mais ô combien symboliques) d'Ahlam et Paul : l'amour, la peinture, la musique. le climat bienveillant du début se dégrade au fil des pages pour faire place à un âpre combat entre le monde de l'art et la menace extrémiste.

Out donc le jargon juridico-politico-magistratico-toutrukenco. le style est propre, soigné, l'écriture appliquée, quelques touches de poésie pimentent le récit et une quiétude colorée se dégage finalement des décors tunisiens en opposition à une violence latente.

Plutôt réussi donc. Et zut. Je me suis arrachée les cheveux pour rien. Aucune matière à râler, mea maxima culpa, la crédibilité de monsieur le juge est sauve.
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Après une période heureuse avec son ami Farhat et ses enfants à qui il a enseigné la peinture et la musique, Paul ressent un soir une grande angoisse. Pour la première fois depuis que le peintre français est en Tunisie, il pressent que ces détonations au loin annoncent la fin de l'insouciance.

Nous sommes le 11 septembre 2001, à New-York les tours du World Trader Center viennent de s'écrouler détruites par les avions de Ben Laden. Paul ignore encore que c'est ce que fêtent de jeunes salafistes tunisiens et que débute une autre ère qui aboutira au rejet du régime corrompu de Ben Ali. À une montée de l'intégrisme aussi, avant et après la révolution de jasmin, qui conduira les enfants de Farhat, devenus adolescents, à faire des choix douloureux.

J’avoue avoir fini ce livre uniquement parce qu'il s'agissait d'une lecture pour une de mes bibliothèques. Marc Trévidic, inconnu de moi mais apparemment pas de tout le monde, m'a passablement agacée avec ses théories sur l'art particulièrement fumeuses et prétentieuses (et interminables), sans parler de son histoire d’amour à l’eau de rose. Reste que ce monsieur est un magistrat spécialiste de l'anti-terrorisme qui montre très bien les discours, enchaînements et logiques qui fabriquent des islamistes.
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Le récit commence en Tunisie en 2000 sous le régime de Ben Ali.
Paul Arezzo, célèbre peintre, arrive dans un petit village de pêcheurs. Il se lie d'amitié avec un pêcheur de l'endroit Farhat et sa famille très humaine, avec de belles valeurs.
L'amitié perdurera pendant tout le roman et Paul initiera Issam, le fils de Farhat, à la peinture et Ahlam, sa fille, au piano tout en nourrissant un grand rêve : réunir différents arts comme la peinture et la musique pour faire naître une grande oeuvre.
Quelques années plus tard, dans la prime adolescence des enfants, Ben Ali est chassé. le nouveau régime débridé, laisse la part belle aux islamistes très engagés dans leur "combat" mais aussi à une part de la population qui veut la liberté après la révolution des Jasmins.
Un des deux enfants va se faire embrigader et l'auteur analyse très bien, un peu trop longuement peut-être, cette montée avec toute son expérience de juge d'instruction au pôle antiterroriste.
Marc Trevidic est remarquable par la documentation dont il fait preuve sur les habitudes du pays et le passé proche de celui-ci, allant jusqu'à nous livrer des termes du terroir, heureusement pour nous, expliqués.
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critiques presse (1)
Telerama
27 janvier 2016
Marc Trévidic s'appuie clairement sur sa connaissance précise des mécanismes d'embrigadement : son récit de l'évolution d'Issam et de ses amis (...) n'en est que plus glaçant.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (70) Voir plus Ajouter une citation
Ahlam
Marc Trévidic


Il avait pourtant avec lui, en permanence, un carnet et un crayon , au cas où le désir reviendrait. En vain. Le désir était resté en France, envolé comme sa maîtresse .Son amour avait disparu, et son désir de créer s'était évanoui devant la nécessité de disparaître

Avec Ben Ali, ce sont les lâches qui mangent. En Tunisie, il vaut mieux être un dromadaire.


- Tu vois, tu as oublié. Ais si tu sais écrire, tu peux l’écrire pour t’en souvenir plus tard. Et si tu sais lire, tu pourras la lire à tes enfants.


Farhat avait poursuivi l'école jusqu'au bac .il l'avait eu sans mention mais l'avait eu quand même .Pourtant il était rester a Kerkennah et ,aujourd'hui , il était pêcheur comme son père
.
L’archipel produisait de bons élèves et, ce faisant, disait adieu à sa jeunesse.

Il avait cru que Farhat, religion oblige, ne buvait pas. Il comprit vite le contraire. Deux camarades sur une felouque et sous un soleil de plomb avaient bien le droit au verre de l’amitié. Allah n’y trouverait rien à redire. Juste une petite réprimande peut-être, sous la forme d’une mauvaise conscience a posteriori.


- Ta femme sait que tu bois en cachette, Farhat ?
- Bien sûr que non, sinon ça ne s’appellerait pas « boire en cachette ».

Mais, si on ne fait rien, ils vont la laisser mourir ! C’est aussi transparent que l’eau de Kerkennah. Réveille-toi, Farhat ! Vous appelez les touristes anglais des moutons, mais qui sont les moutons dans ce pays ? Si un petit cousin de Ben Ali au sixième degré s’était présenté dans cet hôpital, le directeur lui aurait lavé les pieds. Regarde, j’ai prononcé la formule magique et maintenant….


Ne dites rien de plus. Vous êtes un con. Vous avez des années d’études à la place du cœur.

- … Je ne suis pas triste. Je suis jeune. J’ai le temps. J’ai été fou amoureux. J’ai été fou malheureux. Je cherche le juste milieu.
- Le juste milieu, ce n'est pas un endroit pour toi. Je vois la flamme en toi, parfois la colère, parfois l'amour...Au milieu rien.


Disons que je suis un peintre qui aime jouer de la musique. Ce n'est pas compatible. Mon père était d'origine italienne et musicien professionnel. Ma mère était artiste peintre.Ça a plutôt collé entre eux.
(…)
souvent, ma mere peignait quand mon père jouait du piano. Peut-être se mettait-elle à peindre parce que mon père était en train de jouer? Ou était-ce l’inverse? Mon père se mettait à jouer quand il voyait ma mere peindre. Ils dégageaient une grâce indéfinissable. Je n’ai jamais rien vu de plus beau que mes parents ensemble, l’un au chevalet, l’autre au piano.


… il voulait peindre. Il en rêvait. Il voulait apprendre à dessiner, mélanger les couleurs, reproduire ce qu’il voyait, et ce qu’il ne voyait pas mais ressentait.


Il devait faire attention, Paul était un Français. Ce qui signifiait : Paul est un chrétien. Farhat s’en moquait. Paul était bon. Il faisait du bien aux enfants. Il apportait de la beauté dans leur existence et de l’espoir pour leur avenir.


Il avait, depuis presque deux ans, épousé le mouvement lent d’un univers protégé des fureurs du monde. (…) Jamais Paul n’avait imaginé que, sur cette île, des hommes puissent se réjouir de la mort d’autres hommes à six mille kilomètres de là.
Paul était un artiste. Il ne vivait que pour son art. Il ne recherchait que le sens et la beauté. Le monde ne l’intéressait pas. Depuis qu’il était à Kerkennah, il ne lisait plus les journaux, ne regardait jamais la télévision, n’écoutait pas la radio.


… mais il était tunisien et c’était le mariage ou rien. Paul, c’était l’inverse, le sexe sans le mariage. Il faisait l’amour comme il peignait. Quand le tableau était fini, il remettait une toile sur le chevalet et partait pour une nouvelle aventure.


La musique est l’art de combiner les sons et les silences ; la peinture est l’art de combiner les couleurs et le blanc. Ce n’est pas un hasard si un blanc est un silence en musique et une absence de couleur en peinture. Dans la musique, le silence donne de la couleur aux notes. En peinture, le blanc donne de l’importance aux couleurs. Et enfin, très important : l’intensité d’un son peut se comparer à l’intensité d’une couleur ou d’une lumière.


Certes, c’était un salafiste qui voulait vivre comme au temps du Prophète et des ses premiers compagnons. Il pensait que l’Occident était pourri, qu’Israël devait être détruite, que les femmes, tentaion du diable, devaient être intégralement voilées, qu’on devait les lapider si elles commettaient l’adultère, qu’il était permis de prendre les biens des mécréants en butin, que les voleurs devaient avoir la main tranchée. Et alors ? Tout cela était le message d’Allah transmis par le Prophète. Ceux qui n’écoutaient pas brûleraient en enfer. Saber avait le cœur plein de haine et de certitude. L’une confortait l’autre et inversement. Il n’y avait que du tourment, jamais d’accalmie. Seul le sang pouvait purifier, seul le sang pouvait calmer. C’est tout ce qu’il réclamait, tout ce qu’il désirait : le sang.

Saber ne connaissait pas Al Qaida. Il n’avait aucun contact. Mais, en prison, il avait noué des relations. La prison lui avait ouvert des portes.

Saber ne donna pas de nouvelles, ni à sa mère ni même à Nourdine. Il était totalement dans le jihad. Il ne tua pas un seul Américain. Les Américains ne sortaient plus. La seule occupation de son groupe était de tuer les chiites. Et lui, Saber, goûtait enfin au sang des infidèles. Pas celui qu’il avait pensé boire, mais c’était bon tout de même. Les chiites, finalement, c’était encore meilleur. Il fallait les tuer tous. Après, on s’occuperait des autres. Seule une Oumma (la communauté des croyants) purifiée pouvait vaincre l’Occident. D’abord les chiites, puis les régimes apostats. Et après ce serait la révolution du véritable islam. L’Amérique et l’Occident mettraient le genou à terre et demanderaient grâce. (…) Avant, il fallait purifier, purifier, purifier par le sang. Se tenir prêt pour l’ultime combat et la fin du monde.

Et, les intellectuelles, ça réfléchit trop, ça discute politique, ça veut changer le monde. Nora détestait le régime Ben Ali, Fatima déteste le régime Ben Ali. Tout le monde déteste le régime Ben Ali. Moi, je m’en moque. Je suis pêcheur à Kerkennah. Personne ne m’a jamais interdit de pêcher à Kerkennah. Rien de ce qui est beau n’appartient à Ben Ali. Lui, il a seulement le pouvoir et l’argent. Mais la beauté de Kerkennah, le soleil, la mer, le vent, il nous les laisse. Il ne peut pas nous les voler. Et c’est tout ce que je demande.

Nourdine citait toutes les deux phrases un verset du Coran ou un hadith. Il en connaissait une vingtaine par cœur. Il ressortait toujours les mêmes. Au début, Issam avait été exaspéré par cette répétition monocorde, ce discours attendu, ces vérités puisées dans les textes mais jamais dans la réflexion personnelle. Il n’avait pas été élevé de cette façon, à chercher des réponses ailleurs que dans son cœur et sa raison. Cependant, cette musique qui répétait sans cesse les mêmes notes, ancrée dans la culture musulmane, hypnotisante et entêtante, était entrée en lui, avait fait tomber ses défenses. Pas toutes – il en restait, profondément enfouies, qui remontaient subitement à la surface comme des éruptions de raison.


Parce que là, avec le Français, c’est toi qui décides ? T’es un pion. En France, le shaytan (diable) va t’avoir. Petit à petit, il va te manger l’âme. Tu me fais pitié, va.


- Ce n’est pas moi qui refuse toutes les propositions, c’est Ahlam.
- Et c’est tant mieux. Ahlam a seize ans. Elle a bien le temps. Tu imagines ce joyau marié à un jeune coq de Kerkennah qui s’empressera de la couvrir des pieds à la tête… Pas de bijoux mais d’un tissu épais… pour être le seul à en profiter. Ta princesse dépérirait. Sa lumière s’éteindrait peu à peu. Ce n’est pas son avenir. Ce n’est pas ce qu’aurait voulu Nora.
- Nora, elle m’a bien épousé, moi, un simple pêcheur.
- Non, pas un simple pêcheur mais mon fils, un garçon éduqué, intelligent, sensible, un père attentionné qui cherche le bonheur de ses enfants. C’est ce garçon-là que Nora a épousé. Alors reste ce garçon-là. Quant à Ahlam, il faut qu’elle parte. Elle aura une vie exaltante, des amoureux. Pas un, vois-tu, mais plusieurs. Oh, je vois ta mine, l’idée même que ta fille ait des amoureux te chagrine. Mais ta fille est faite pour la musique, le succès et l’amour.

- Non, mais j’ai du mal à accepter que ce qui est beau puisse être mauvais.
- Parce que tu confonds le beau et le bien. Le bien est ce que nous enseigne Allah. Le beau est souvent un subterfuge du shaytan. ….

Quand l’horizon est trop lointain, on ne pense pas pouvoir l’atteindre, d’autant qu’il s’éloigne quand on s’en approche. Ces derniers jours, l’horizon avait été si proche qu’il aurait été possible de le toucher. Le rêve devenait réalité. C’est à cet instant précis que les rêves s’évaporent, au moment du réveil.

- As-tu pensé à Ahlam ?
Issam répondit brusquement, sans réfléchir :
- Oui, j’ai pensé à elle. Justement, ce n’est pas bien pour elle de continuer la musique. Ce n’est pas un métier pour une musulmane.
- Feuuuuh !
Fatima émit un sifflement.
- Tu peux nous répéter ça ?
- Parfaitement, une musulmane a d’autres choses à faire que de perdre son temps à jouer de la musique.
- Et tu proposes quoi pour ta sœur ? demanda Fatima, au bord de l’implosion.
- Elle devrait épouser un bon musulman, faire des enfants et respecter…
- Respecter qui, Issam ?
- Respecter les préceptes de notre religion.


Il faudrait qu’elle explique. A cette pensée, la honte et la peur l’envahirent. C’était un curieux mélange de sentiments. Pourquoi avait-elle peur ? Pourquoi avait-elle honte ? Il lui semblait que, si elle racontait ce qui s’était passé, il n’y aurait plus jamais de retour en arrière. Son enfance serait effacée, Nora serait morte pour de bon et la famille serait pulvérisée.


Et puis, comme un aimant, il s’é
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Le 11 avril 2002, la saison s'acheva avant de commencer. L'explosion d'un camion-citerne de gaz naturel devant la synagogue de la Ghriba, sur l'île de Djerba, fit 19 morts et une trentaine de blessés graves, des touristes allemands pour la plupart. Il s'agissait d'un attentat kamikaze organisé par Al Qaida, que le régime Ben Ali tenta de faire passer pour un regrettable accident. En Occident, les touristes pensèrent qu'il ne fallait pas faire confiance, pour assurer leur sécurité, à un régime qui niait l'évidence. Les réservations furent annulées, à Kerkennah comme à Djerba, et nombreux furent les pêcheurs de l'île à défiler chez leur banquier. La saison touristique, c'était du poisson en quantité pour les hôtels. C'était les balades typiques et les soirées folkloriques. Cet été 2002, il n'y eut rien de tout cela.
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Tout le monde déteste le régime Ben Ali. Moi, je m'en moque. Je suis pêcheur à Kerkennah. Personne ne m'a jamais interdit de pêcher à Kerkennah. Rien de ce qui est beau appartient à Ben Ali. Lui, il a seulement le pouvoir et l'argent. Mais la beauté de Kerkennah, le soleil, la mer, le vent, il nous les laisse. Il ne peut pas nous les voler. Et c'est tout ce que je demande.
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Il lui expliqua qu'il fallait se méfier de ceux qui avançaient des vérités sans avoir acquis la science pour cela. Nourdine était excessif. La peinture et le dessin n'étaient pas interdits.
Seule était interdite la reproduction des images humaines ou animales. Il lui rapporta une citation d'Allah par Ibn Abbas......
- Cela veut-il dire que je peux peindre des paysages et des formes qui ne représentent pas un être existant?
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Moi j'écoute ce qui est halal.je n'ai pas envie de finir en enfer. La musique de ta sœur, elle n'est pas halkal.Elle appelle qu pêché .Elle amène au désir . Regarde ta sœur, même pas un voile dans les cheveux. Elle porte des robes courtes et légères. Elle s'habille comme une pute .
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