Je ne regarde pas souvent la télé et s'il m'arrive de faire une exception c'est pour me brancher sur une chaîne belge afin d'apprendre ce que mon grand ami, l'honorable
Bart de Wever, président d'un parti de la droite flamande, a encore trouvé comme finesse pour semer la zizanie. le nom de
Marc Trévidic m'était dès lors lamentablement inconnu. C'est grâce à mon amie Céline Natchimie Garcia, "celdadou" sur Babelio, que j'ai, enfin, découvert ce grand spécialiste français de la lutte antiterroriste. En effet, son excellent billet du 2 août 2016 (49 appréciations) de l'ouvrage "
Terroristes" m'a mis le puce à l'oreille et j'ai donc tout de suite commandé et lu ce livre. Comme j'y ai appris beaucoup sur un sujet que je croyais connaître pourtant relativement bien - et pour cause après les récents excès sanguinaires dans nos pays civilisés - je remercie vivement Celine, de son conseil.
Le seul inconvénient c'est que
Marc Trévidic en sait tellement sur ce colossal fléau de notre temps que cela ne doit pas être simple pour lui d'expliquer à des virtuellement ignorants les allants et aboutissants d'une thématique autant vaste que complexe. Il ne s'agit pas d'une critique déguisée de ma part, mais le livre force le lecteur à réfléchir et à se souvenir de certains actes vandales, avec comme résultat que l'on passe un bon bout de temps à faire des recherches dans sa bibliothèque et sur internet.
Ainsi, dans un 2ème chapitre, intitulé "L'agent double d'al Qaida",
Marc Trévidic nous retrace l'histoire du docteur d'origine palestinienne, Human Khalil Al-Badawi, aussi connu sous le nom d'Abu Dujana Al-Khourassany, (1977-2009) un personnage qui constitue d'une certaine manière quasi à lui seul la personnification de la question. Il en incarne à lui seul plusieurs éléments, à savoir : le désespoir, la radicalisation, la violence et l'impuissance relative de nos services de sécurité face à un seul homme déterminé prêt à tout. Je dois dire que ce toubib m'intrigue tellement que je viens de me commander l'ouvrage du journaliste américain,
Joby Warrick, lauréat du prestigieux Pullitee Prize en 1996, qui a fait une analyse détaillée du cas d'
Al-Badawi "The Triple Agent" paru en 2012, que je ne manquerai pas de commenter ici.
Étant foncièrement pacifiste et condamnant l'usage de la violence, je ne vais très certainement pas promouvoir Ai-Badawi en héros, mais ce personnage à part mérite réflexion. Et bien que je compte donc revenir prochainement un peu plus en détail sur son parcours insolite, voici en bref de quoi ce personnage, qui a eu une kyrielle de pseudos, retourne.
Né le jour de Noël 1977 au Koweït de parents réfugiés palestiniens des classes moyennes dans une famille qui comptait 9 gosses,
Al-Badawi a fait de brillantes études à Amman en Jordanie, et à l'université d'Istanbul, il est devenu médecin à l'âge de 25 ans. Comme toubib, il s'est construit très vite une bonne et solide réputation en soignant de réfugiés sans souvent demander d'honoraires. Seulement les conditions de vie de nombreux réfugiés l'ont profondément marqué.
En une espèce de compensations par pitié pour ses compatriotes et par dégoût pour leur sort, le gentil docteur s'est mis à publier un blog sur le net dans lequel il clama son désespoir et sa révolte dans des termes particulièrement virulents. Ce blog devint rapidement populaire, surtout parmi les jeunes, mais était également lu par les services de sécurité, ce qui lui a valu une arrestation par les services jordaniens. Lors d'un interrogatoire plutôt aimable avec un officier pas bête, un "gentleman's deal" fut conclu selon lequel Al-Bawani allait aider les services jordaniens. Comme ceux-ci travaillent étroitement avec la CIA, quand le toubib annonça qu'il allait comme auteur du blog populaire essayer de rencontrer Ayman al-Zawahiri, le légendaire n° 2 d'al Quaida, l'agent double devint pour les Américains top prioritaire. Son dossier passa jusqu'au bureau de ...
Barack Obama ! L'assassinat par tir de drone yankee du taleb (singulier de taliban = étudiant) Baitullah Mehsud en aout 2009 au Pakistan, son ami et maître, le décidai à commettre un attentat-suicide. le 30 décembre de la même année, il se transforma en bombe humaine à la base de drones US Chapman en Afghanistan à 10 kilomètres de la frontière pakistanaise, tuant 8 officiers de sécurité (7 de la CIA et un Jordanien). En fait, il n'avait jamais été agent double, ou même triple comme de mauvaises langues ont prétendu. Sa loyauté a toujours été avec son peuple.
Je m'excuse d'avoir été un peu long sur cet homme que je refuse d'idéaliser, mais il illustre de façon éclatante la complexité du dossier : une cause légitime au départ, la culture de la haine et de la violence à outrance, et la mission peu confortable de nos services de sécurité.
C'est ce dernier point, entre autres, que
Marc Trévidic explique de façon très convaincante dans son livre. le rôle des responsables du combat antiterroriste est pour le moins ingrat : en charge de notre salut sur terre, suivi de très près par une presse fréquemment injuste à leur égard et soumis évidemment à des chefs politiques, pour qui la logique est généralement fort différente des impératifs stricts de sécurité. du bleu partout dans les rues commerçantes de nos villes fait fuir les clients et entraînent des pertes de revenus plus ou moins importants. Cela a notamment été le cas à Anvers, où mon idole de Wever, comme maire de la plus grande ville flamande, avait commencé à mettre des flics partout en grand nombre jusqu'à ce que les propriétaires de magasins, restos et cafés se mirent à protester contre ce manque de pertes de revenus devenues important à un moment donné.
Les problèmes que l'auteur du livre a connus avec les politiciens, tel le président
Sarkozy, relèvent de la politique intérieure française que je préfère ne pas aborder ici. Il va de soi qu'une personnalité comme ce magistrat "dérange" occasionnellement en haut lieu.
Marc Trévidic, qui a été juge d'instruction au tribunal de grande instance de Paris au pôle antiterrorisme de 2006 à 2015, bénéficie d'une expertise au sommet de cette lutte, qui est rare. Comme l'a noté un journaliste du Nouvel Observateur très correctement à mon avis " (Il) a trouvé un habile subterfuge qui respecte à la fois le secret entourant la lutte antiterroriste et la nécessité d'édifier les foules". Cela a été, je présume, aussi le cas lors de ses apparitions à la télé et ses ouvrages antérieurs : "
Au coeur de l'antiterrorisme" (2011) et "
Qui a peur du petit méchant juge ?" (2014). Son premier roman "
Ahlam" de 2016 couronné du Prix Maison de la Presse, je ne l'ai pas encore lu, mais il a reçu un paquet d'appréciation sur notre site. Quoique son langage ne soit parfois pas précisément des plus faciles.