Quant à la peur de l’hôpital, elle était ancrée en lui depuis que ses parents étaient morts, l’un comme l’autre, d’une maladie nosocomiale foudroyante contractée cinq ans auparavant dans une clinique en Italie, à Bellagio, un village sur le lac de Côme. Depuis il ne supportait même pas d’entrer dans un hôpital et il détestait tout ce qui pouvait évoquer le monde médical. Même quand il voyageait au bout du monde, il préférait se soigner seul plutôt que de voir un toubib. Il travaillait pour une O.N.G, il s’occupait d’enfants des rues, dans le Kerala, au sud de l’Inde. L’humanitaire, c’était gratifiant, mais ça ne suffisait pas pour gagner sa vie, aussi, de temps en temps, il revenait en Europe pour se renflouer en plaidant sur quelques affaires de droit commun.
- (...) la 'Caatinga'.
- Avec un K ?
- Un C. La lettre K existe peu dans notre idiome.
- Dommage. Je trouve ça plus exotique avec un K.
- Faites comme bon vous semble, l'orthographe des noms n'a pas d'importance, et les Indiens ne s'en offusqueront point, il en reste si peu de toutes les façons. 'Caatinga' donc, avec un C ou un K, signifie " forêt blanche ".
Elle détestait quand on se mêlait de sa vie privée, comme le faisaient Joëlle et ses autres collègues à l’hôpital, ou comme le faisait tout le monde en ville, mais Malek c’était différent, elle aimait savoir qu’il s’inquiétait pour elle, tel un ange de soixante-dix-sept ans à la peau ridée par toute une vie de travail sur les chantiers.
« Comme des renards ». Elle ne savait pas ce que ça pouvait vouloir dire, mais c’était joli. Il parlait aussi toujours de baiser, pour la tester, voir comment elle réagissait. Mais elle n’avait pas encore décidé de le faire. Peut-être le jour de ses quinze ans.
C’est essentiel de savoir qui on est. Et qui on est, c’est en premier lieu comment on s’appelle. C’est d’ailleurs ce que l’on se dit lors d’une rencontre. Ou en se faisant arrêter par la police. Ce nom, on doit pouvoir le clamer avec force, avec fierté.