Cette fille me donne des ailes. Il aura fallu une fée dans un fauteuil roulant pour que je retrouve le bonheur d'être jeune, libre et valide.
Le meilleur moyen de se débarrasser des tordus est d'entrer dans leur en leur donnant la marche à suivre.
J'avais une vie résolument vide, qui m'offrait chaque matin au réveil l'impression que tout pouvait m'arriver, puisque je n'étais retenu par rien.
- Thomas, souffle-t-elle.
- Oui?
- Je ne t'appelais pas; je te prononçais.
J'avais une vie résolument vide, qui m'offrait chaque matin au réveil l'impression que tout pouvait m'arriver, puisque je n'étais retenu par rien...
- Tu sais depuis combien de temps je suis amoureuse ? demande-t-elle en me rendant les avirons.
J’évite de risquer une réponse qui pourrait me faire passer pour inattentif ou prétentieux.
- Cinq minutes. Quand, après m’avoir embarquée, tu as loué un troisième ciré abriter mon fauteuil.
J’aurais pu l’emmener au Jardin d’Acclimatation. Percuter avec elle les enfants de Noël dans une autotamponneuse, glisser à ses côtés au fil du courant de la Rivière enchantée, hurler de concert dans le grand-huit… Enchaîner les attractions assises au milieu d’une foule normale où elle serait passée inaperçue. J’ai préféré l’intimité du lac désert sous la bruine. J’ai allongé ses jambes de part et d’autre des gilets de sauvetage et nous ramons à tour de rôle, à armes égales. Non pour lui donner l’illusion qu’on est un couple ordinaire, deux tourtereaux valides dans une situation de carte postale, mais pour qu’on soit enfin sur le même plan. Pour me sentir un peu moins inférieur, dans des conditions qui ne l’obligent pas à dominer son handicap. Elle a compris mon intention, je crois. Nous sentir aussi déraisonnables et incongrus l’un que l’autre dans ce paysage romantique haché par la pluie n’est peut-être pas le plus des cadeaux que je pouvais nous offrir, mais elle paraît l’apprécier à sa juste valeur.
Elle ne m'a pas entendu taper. Je m'approche lentement. Le temps qu'elle ait perçu ma présence, j'ai eu tout le loisir de déchiffrer le titre de son livre. A l'ombre des jeunes filles en fleurs.
- L'inconvénient, dit-elle en ôtant ses lunettes, quand on lit Proust à mon âge, c'est qu'en plus on est obligés de revenir en arrière pour se rappeler. J'en verrai jamais le bout. D'un autre côté, peut-être que ça conserve. J'ai un but, alors je me que j'ai le temps.
Ce qu'elle attend de moi est complètement fou, mais j'irai jusqu'au bout de son rêve, même si je finis en prison en morceaux ou chez les dingues.
Le vrai drame, la vraie injustice, c'est de survivre tout seul quand on se sent inutile.