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Critique de Butterflies


On entre dans ce roman comme le Petit Poucet dans la forêt. En suivant des miettes de pain qui courent de la cuisine à la chambre, où repose une ex-­accro du ménage que son mari a fini par étouffer après cinquante ans de mariage. il introduit parfaitement à l'univers du conte dont l'auteur se réclame avec constance. La magie opère immédiatement.
Car les livres de Fred Vargas ont le pouvoir d'attraction des « histoires » que l'on se raconte de toute éternité, celles dont le mystère résiste, à mi-chemin entre légende et réalité, suffisamment intrigantes et extra­ordinaires pour qu'on les écoute bouche bée, suffisamment proches du quotidien et des angoisses de tout un chacun - celle de la mort en particulier -pour qu'on y croie dur comme fer.

Le mystère, cette fois-ci, va s'incarner en la personne d'une petite dame embarrassée, vêtue d'une blouse à fleurs assez inusitée dans le quartier de la brigade criminelle de Paris où officie Adamsberg. A peine sorti de son enquête aux miettes de pain - les miettes, c'est tout lui qui ne se plaît jamais autant que dans les détails saugrenus, les interstices et les à-côtés où se logent souvent les « perles les plus rares » -, le commissaire fétiche de l'auteur voit donc arriver Valentine Vendermot. Elle vient d'Ordebec, près de Lisieux, pour l'appeler à l'aide. La nuit, sur le chemin De Bonneval, dans la forêt d'Alance, sa fille Lina a vu passer l'« Armée furieuse », une cavalcade de revenants, à moitié putréfiée, hurlante et féroce, dont le mythe tenace remonte au XIe siècle. Personne n'y croit, évidemment, mais on y croit quand même. D'autant plus que Lina a vu quelques vivants au milieu de la horde, que ceux-ci sont réputés mourir dans les trois semaines, si l'on en croit la légende, et que le premier d'entre eux, justement, a disparu depuis plusieurs jours... Que croyez-vous qu'il fasse, Adamsberg ? Foncer évidemment, ­direction la Normandie, abandonnant à Paris une histoire d'industriel richissime brûlé dans sa voiture.

Car entre « l'aigre réalisme » des affaires politico-financières, « secrets sans surprise, lassants de pragmatisme », et la musique « inintelligible et ­dissonante » de la cavalcade de ­chevaux noirs à travers les bois ­millénaires, le héros comme l'auteur n'hésitent pas. C'est l'inconscient collectif, l'éternel de la vie et des rapports humains qui intéressent Fred Vargas. Et la dissonance, effectivement, le pas de côté, le regard en biais. Foin du réalisme et de la critique sociale généralement attachés au genre policier. ­Vargas laisse aller sa fantaisie, son goût des digressions et des ­dialogues qui ne font pas « avancer l'action », son sens du détail inutile. Elle imagine une brigade criminelle où se croisent une boulimique, un hyper­somniaque, un zoologue passionné d'ichtyologie, un puits de science et d'érudition porté sur le vin blanc. le chat, mascotte de l'équipe, dort sur la photocopieuse pendant qu'on se défonce pour découvrir la brute qui a entravé les pattes d'un pigeon, le condamnant à une mort atroce.

Et qui dit que tout cela ne ­révèle pas aussi l'état d'une ­société, et une vision du monde où l'homme et ses blessures tiennent la place centrale ? C'est une poétique du roman policier qu'elle propose ainsi, une façon d'appréhender le monde, d'en faire surgir la beauté malgré tout. Pour le lecteur, c'est un plaisir sans fin.

le 14/05/2011 - Mise à jour le 18/09/2013 à 17h41
Michel Abescat - Telerama n° 3200
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