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Critique de Woland


La Ciudad y Los Perros
Traduction : Bernard Lesfargues
Préface : Albert Bensoussan

ISBN : 9782070372713

Premier roman édité par Vargas Llosa, "La Ville et les Chiens" est aussi celui qui se rattache le plus à la veine autobiographique. Mis à part que, sauf si l'on cherche à se renseigner dans une biographie, on éprouve pas mal de difficultés à calquer l'image de l'écrivain péruvien sur un personnage bien précis. Finalement, on conclut qu'il a beaucoup à voir avec le cadet Alberto, surnommé "le Poète", qui, désormais en cinquième année au Collège Leoncio Prado, à Lima, s'y fait un peu d'argent de poche en écrivant à la demande pour ses condisciples petits romans pornographiques ou simples lettres d'amour.

Bien que ne préparant pas forcément à embrasser la carrière des armes, le Collège Leoncio Prado est dirigé par des militaires et applique une discipline et des bizutages en conséquence. Son objectif : faire des jeunes qu'on lui confie, le plus souvent après qu'ils aient passé un temps dans des établissements tenus par l'Eglise, se véritables "hommes." En ce pays et sur ce continent machistes, c'est tout un art.

Cinq années sont nécessaires pour obtenir son diplôme de fin d'études. Vargas Llosa nous plonge dès le départ dans l'ambiance de la dernière classe, celle qui va bientôt être libérée si tout va bien pour ses notes. L'action, qui va et vient en de fréquents retours en arrière - avant Leoncio Prado et après - se situe entre quatre cadets : le Jaguar, chef incontesté et meneur d'hommes, toujours prêt à se rebeller et appliquant à merveille les techniques de combat, rackettant aussi ceux qui sont trop faibles pour lui rendre ses coups et ses menaces ; Alberto, notre Poète, qui se fait respecter mais est tenu par tous, y compris par ses professeurs, plus pour un intellectuel que pour un futur militaire ; le Boa, ainsi appelé pour diverses raisons dont un sexe impressionnant, et qui, malgré la brutalité dont il fait preuve dans un monde qui ne lui réclame que cela - car être brutal, c'est se conduire en homme - ne s'en est pas moins attaché à une petite chienne qui s'est installée un jour au collège sans qu'on sût trop d'où elle venait et que les cadets, toujours obsédés par le sexe et le mauvais goût, ont baptisée "la Malencouille" ; et enfin l'Esclave, dont le surnom dit absolument tout, un être doux, paisible, qui pourrait se battre mais n'y tient pas et a le plus grand mal là supporter les consignes qui s'éternisent, d'autant qu'il est amoureux d'une jeune fille de son quartier, Teresa.

Mais justement, une punition va s'éterniser et mettre le feu aux poudres parce que le Jaguar a chargé l'un des cadets du petit "Cercle" qu'il a créé, le dénommé Cava, un serrano d'origine [= un fils de paysan mâtiné fortement de sang indigène] de dérober les résultats d'un examen de chimie que tout le monde tient à passer sans problèmes. le larcin s'effectue la nuit, alors que veille la garde traditionnelle mais Cava, pris entre l'excitation de l'adrénaline et la peur toute bête, après avoir retiré la vitre du bureau où dorment les résultats tant espérés, casse tout simplement ladite vitre en ressortant, sa mission par ailleurs réussie. Une fois la chose découverte, éclate la colère des dirigeants qui se traduit par une privation de sortie jusqu'à ce que le coupable se dénonce - ou soit dénoncé ...

Peu à peu - et c'est en cela que réside une bonne part du charme du roman - les cadets, qui nous paraissent au début presque tous comme des brutes ou des lâches, prennent un visage et adoptent une personnalité qui, comme pour tout être humain, a aussi bien ses qualités que ses défauts. Les retours en arrière que j'évoquais plus haut donnent une idée de leur vie familiale antérieure : un père qui manque, une mère trop sévère, pas ou peu d'argent au foyer, rêves et espérances, flirts avec les filles des quartiers où ils habitent, etc, etc ... L'on finit par s'attacher à eux, y compris au blond et félin Jaguar qui, en définitive, terminera dans la délinquance, comme son frère aîné avant lui, à moins qu'il ne devienne un véritable "caïd" de la pègre locale et n'y réussisse fort bien. Même le Boa, partagé entre la brutalité qu'il se doit d'afficher et son affection pour la Malencouille, finit par nous devenir familier et presque sympathique.

Autre personnage qui aura son mot à dire dans le drame qui va bientôt se nouer - car la dénonciation n'est rien à côté de ce qui va suivre : le lieutenant Gamboa. Il est de ces gens que l'on retrouve dans n'importe quelle carrière et qui sont en général respectés par les adolescents parce que, bien que sévères, ils se montrent toujours justes. En filigrane tout d'abord, puis de plus en plus nette, croît sous les yeux du lecteur l'idée que se font de l'honneur - car tous croient à l'honneur - les cadets impliqués et Gamboa. le plus étrange, c'est qu'on se retrouve à partager leur point de vue tandis que, de leur côté, ils s'aperçoivent qu'ils ont beaucoup de choses en commun, effectivement, sur cette question.

"La Ville et les Chiens" est un roman tout à la fois dur et poétique, où l'auteur pointe du doigt cette malédiction qu'est, en Amérique latine, la tradition ibérique, qui s'y est fort bien adaptée, du machisme et de la virilité à tout prix. C'est aussi un hymne à la réorganisation de la société péruvienne et une déclaration d'amour et de tendresse de l'auteur à son pays. Certains auront peut-être du mal à y entrer mais, une fois franchis les chapitres d'exposition, l'adrénaline monte aussi en nous et nous n'avons que deux désirs : voir comment tout cela se terminera déjà au Collège mais aussi à quel personnage correspond en fait tel ou tel flash-back. A découvrir. ;o)
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