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Critique de belcantoeu


Ce livre poignant est l'autobiographie, inachevée en raison de sa mort, de celui qui m'a formé à la psychanalyse et envoyé en stage à la clinique psychiatrique de la Borde, dirigée par Jean Oury, dans le Loir et Cher, mais aussi à la Société Ferenczi de Budapest et à la Société Szondi de Zurich. Je lui dois beaucoup, énormément, comme à Oury.
Encore enfant, Zoltan Veress, fils de pharmacien, et ses parents ont été chassés de leur maison de Budapest, près du pont des chaines en couverture du livre, face au Danube (1 rue des pêcheurs, Halász utca), maison "offerte" à un membre du parti lors de l'occupation soviétique. Zoltan n'a même pas pu prendre ses vêtements ni ses livres scolaires. Comme «fils de bourgeois», l'université lui est interdite. Il doit travailler comme manoeuvre puis ouvrier. En octobre 1956, lors de l'invasion de la Hongrie par les chars de l'URSS contre le gouvernement (communiste) d'Imre Nagy (condamné à mort), Veress participe aux combats. Quand les chars écrasent la révolution, il réussit à fuir l'enfer avec un ami, conducteur de locomotive. Il a 24 ans. Ils ont volé un train qui les a amenés à la frontière autrichienne. Au début, seules la Belgique et la Suède ont accepté les réfugiés hongrois. Veress a commencé des études universitaires à Louvain, la plus ancienne université de Belgique. Il ne parlait pas français et il n'existait pas de dictionnaire français-hongrois. Il devait étudier avec deux dictionnaires, via l'allemand, et en même temps gagner sa vie, travaillant notamment dans un restaurant universitaire, mais lui et d'autres réfugiées hongrois ont été fort aidés. Il parle beaucoup de cette solidarité qu'il a rencontrée pour les Hongrois (et que Viktor Orban, aujourd'hui, n'a pas envers les réfugiés dans son pays). Plus tard, contrairement à beaucoup de psychanalystes qui ont besoin de se mettre en avant dans des livres ou des articles, il n'a jamais rien écrit, sauf ce témoignage autobiographique, pour ses amis et ses enfants, devoir de mémoire. C'était en effet un clinicien pur, dont l'écoute était incomparable, mais qui savait aussi beaucoup parler judicieusement.
A la chute du communisme, et alors qu'il n'a jamais fait de politique, il a découvert que deux de ses meilleurs amis hongrois, déjà scouts avec lui, avait été recruté par la police secrète AVO pour l'espionner et faire des rapports sur lui de 1960 à 1989, sans doute forcés sous peine de représailles, mais la trahison n'en est pas moins décevante. La soeur de Veress, restée en Hongrie a été convoquée pour espionner ses collègues. On se méfait des membres de la cellule du parti et on comptait sur elle pour recueillie des confidences, car on ne méfiait moins d'elle. C'était le système. Elle a refusé, et ses enfants ont été victimes des représailles scolaires annoncées, mais elle a tenu bon.
Le livre raconte la vie quotidienne sous l'occupation soviétique, ensuite ce qu'il appelle «retourner la peau du destin» à Louvain, sa rencontre avec d'autres psychanalystes. Récit poignant d'une vie, d'une revanche sur le destin. En 1995, il reçoit à l'ambassade hongroise de Bruxelles la médaille des héros. Il combinait la patience et l'intransigeance d'Antigone.
Psychanalyste, puis ami, il me conseillait les bons restaurants, l'opéra, le quartier de Norma Fá (l'arbre de Norma) sur les hauteurs de Buda, et me mit en contact avec ses amis lorsque, à mon tour, je suis allé plusieurs fois faire des conférences à l'Université E. Lórand de Budapest. Je lui ai même téléphoné depuis sa maison natale, l'ancienne pharmacie, transformée en restaurant.
Voici la dernière page du livre, baptisée Épilogue.
«Zoltan Veress n'a pas eu la force d'achever son livre... Il est mort le 13 décembre 2010, comme il le souhaitait... grâce à la bienveillante complicité de son amie médecin, Chantal, en toute lucidité, dans la dignité, entouré de son épouse et de ses trois enfants, après avoir trinqué du champagne à sa belle vie. Ses derniers mots furent «aimez-vous».
Le 18 décembre, dans l'église du quartier, à Etterbeek, une cérémonie réunit famille, amis et collègues de toutes les obédiences psychanalytiques.
Zoltan avait choisi l'accompagnement musical de cet adieu. Comme pour exprimer toute la complexité de ses racines, résonnèrent la mélodie du «Vieux Tzigane», un chant transylvanien, le Kaddish de Ravel, une cantate de Bach et une poésie d'Aragon.
Pour accomplir ses dernières volontés, un mois plus tard, Anne, Matyas, Natacha et Tatiana ont rejoint à Budapest la famille hongroise... du haut du pont des chaînes, ils ont dispersé les cendres de Zoltan dans le Danube».
Extrait de la préface par un ami: «Un bel exemple à méditer pour rappeler que, même plongé dans la tragédie et l'horreur, l'homme, toujours, peut s'insurger s'il est mené par une juste révolte et une exigence éthique... il me rendit visite en Cévennes et m'offrit des roses trémières rapportées de Hongrie. Les graines ont éclos et les roses de Hongrie continuent à fleurir en cette Cévenne opiniâtre, comme l'était Zoltan».
Ce qu'il a semé comme psychanalyste ne cesse pas non plus de fleurir.
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