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EAN : 9782253019800
222 pages
Le Livre de Poche (01/01/1978)
3.5/5   4 notes
Résumé :
Dans les années 1882 et 1883, deux terribles hivers provoquèrent, chez les Eskimos de la côte orientale du Groenland, une épouvantable famine qui porta ces hommes paisibles aux dernières extrémités : les plus âgés se sacrifièrent, des mères entraînèrent avec elles leurs enfants dans une mort volontaire, les survivants dévorèrent leurs parents ...

Cette histoire est vraie : Paul-Emile Victor l'a recueillie de la bouche des fils et des petits-fils de ce... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Les Survivants du Groenland est un roman historique écrit par Paul-Emile Victor en 1977. L'histoire se déroule au Groenland, le pays des extrêmes : 9 mois d'hiver (la température y descend à -25 ou -30°C), de la glace partout, des fiords en quantité innombrables, des falaises tombant à pic dans l'océan, du vent soufflant en tempête, des côtés extrêmement découpées, quelques torrents (où le saumon peut abonder), pas de voies de communication (on se déplaçait alors à pied ou en kayak), des distances colossales entre les moindres zones de peuplement, une densité incroyablement faible (400 Eskimos vivaient sur la côte Est pour 350 km de côte), des conditions de vie précaires (une vie sous tente en peau de phoques), une alimentation parcimonieuse et très déséquilibrée (de la viande de phoque toute l'année, des airelles, du cresson, des mousses et du pissenlit en été), pas de végétation durable, des goélands et des corbeaux en pagaille, quelques rares perdrix des neiges, des renards invisibles et des ours menaçants, une chasse continue aux phoques, sur terre avec les chiens de traineaux, sur mer avec des embarcations que les glaces flottantes peuvent constamment bloquer. Bref, un exercice d'équilibre quotidien et périlleux pour la survie de l'espèce humaine.

Basé sur un témoignage recueilli en 1953 de la bouche même de la vieille Ayatok, ce récit « totalement véridique » (page 7) retrace les deux hivers consécutifs de famine ayant affecté, en 1882 et 1883, les Eskimos de la côte Est du Groenland. Ayatok était alors une très jeune femme. Sur 50 Eskimos vivant à Nounaguitsek, elle fut la seule à survivre au prix de souffrances et de sacrifices extraordinaires. Durant ces deux terribles hivers, la famine porta des hommes et des femmes paisibles aux dernières extrémités, dans une lutte féroce pour leur survie : après avoir réduit leurs portions de nourriture au strict nécessaire, les Eskimos durent manger peu à peu les réserves qu'ils avaient stockées en vue d'épisodes difficiles, puis ils durent manger leurs chiens (page 72), leurs bottes et leurs vêtements en peau de phoque, jusqu'à devoir absorber les peaux leur servant d'abri et manger les rares morceaux de bois qu'ils pouvaient trouver. En désespoir de cause, en proie à d'intolérables douleurs et des hallucinations monstrueuses (page 76), n'ayant rien absorbé depuis plusieurs semaines, certains se sacrifièrent en se jetant dans les eaux glaciales de l'océan arctique, des mères entrainèrent avec elles leurs enfants dans la mort, d'autres furent exécutés (page 166) puis mangés par leurs proches.

Si on se réfère à la quatrième de couverture, l'ouvrage « montre que l'homme, devant la vie et la mort, est partout le même, quels que soient ses origines, son environnement, son éducation ». Ça n'est pas complètement faux mais je crois pour ma part que ce livre démontre simplement que l'homme est prêt à tout pour sa survie, quitte à devoir surmonter ses peurs et enfreindre des tabous. Quand sonne l'heure de l'instinct de conservation, l'être humain se préoccupe de sa famille puis, très vite, de lui-même. Voilà l'instinct de survie : d'abord, penser à soi car il faut égoïstement rester en vie. La grande peur du noir, de l'absence d'avenir, de sa propre disparition fait que l'homme va tout tenter pour assurer sa survie. Cet instinct ramène l'homme à ses origines : croissez et multipliez ! Doté d'un cerveau complexe, l'homme est efficace mais fragile. Agressé, menacé dans sa survie, il peut, comme tout animal, fuir ou attaquer. L'anthropophagie occasionnelle peut survenir en cas de pénurie grave, et c'est une tragédie qui remonte à la nuit des temps, une pratique récurrente dans toutes les sociétés. Elle est donc dans ces conditions tout à fait excusable.

Paul-Émile Victor écrit avec justesse car il sait de quoi il parle. Explorateur polaire, scientifique, ingénieur, ethnologue, il a tout d'abord été déposé chez les Eskimos de la côte Est du Groenland par le commandant Charcot, à bord de son « Pourquoi pas ? » Les hivernages, les traversées du grand désert de glace, à pied ou en traineaux à chiens, et dans des conditions particulièrement difficiles, en tant que civil ou comme officier, voilà ce que fut ensuite son lot quotidien pendant de nombreuses années. En 1977, au moment où il écrit ce livre, Paul-Émile Victor a réalisé 45 expéditions polaires. Ce livre nous fait toucher du doigt les caractéristiques de l'explorateur qu'il était : ethnographe, il nous montre, cartes et croquis à l'appui, une réalité difficilement imaginable ; explorateur, il nous confie des détails « filmés » et odorants (l'odeur de graisse brulée et d'urine fermentée – page 39) de tout ce qu'il a pu observer ; artiste, il fait preuve d'humour dans les traits de caractère des personnages qu'il met en scène, dans les portraits (page 39 – Kâra tresse du tendon de phoque avec ses dents pour en faire du fil) et les scènes d'expéditions (partie de pêche – page 130), les visages d'Eskimos (contents quand ils font de la musique sur leur tambour de peaux – page 131) mais aussi les paysages entrevus. La description qu'il fait d'Ayatok au moment où d'autres Eskimos la découvrent, squelettique, les côtes saillantes (page 47), les mains noires de sang séché et puant le cadavre (page 61) est saisissante.

En introduction, Paul-Emile Victor écrit : « Ce livre est dédié aux Danois, à tous les Danois qui ont donné au monde l'exemple d'une colonisation altruiste et désintéressée, celle du Groenland. » En voie d'extinction, les Eskimos ont dès 1894 été pris en charge par les Danois. La faim a progressivement disparu avec la distribution systématique de vivres ; les meurtres ont progressivement disparu avec l'apport du christianisme ; la civilisation et le confort moderne se sont progressivement installés. le livre de Paul-Emile Victor nous oblige à un double voyage : un voyage dans un passé lointain avec, à la clef, la preuve évidente que la vie de l'homme est sacrée et que le sens de la communauté constitue une aide précieuse dans l'adversité, mais aussi un voyage dans le futur car l'auteur aimerait qu'il y ait un vrai réveil de la fierté Eskimo, une volonté farouche de ne pas se laisser absorber et uniformiser (page 14).

Un livre émouvant et bien écrit : un vrai plaisir.
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Parfois très cru et très dur mais sans tricherie. Ce livre retrace les conséquences dévastatrices des deux grandes famines consécutives de 1882 et 1883 subies par le peuple eskimos au Groenland, cette terre des extrêmes, aux conditions de vie déjà naturellement rudes et précaires. Cette histoire, recueillie de la bouche des fils et des petits-fils de ceux qui en furent les tragiques héros, est vraie. Outre le fait que ce livre montre que l'homme, devant la vie et la mort, est partout le même, quels que soient ses origines, son environnement, son éducation, il révèle aussi une culture étonnante. Tout au long du récit, ces hommes et ces femmes parviennent à conserver un stoïcisme presque animal face aux événements tragiques qu'ils vivent, et un pragmatisme déconcertant, portés par leurs croyances. Et en arrière plan, on est bercé par le message d'optimisme de Paul Émile Victor sur une colonisation Danoise (eux qui ont découvert les 400 rescapés eskimos en 1894 et leur ont tant apporté sans rien demander ni piller en retour) qui aurait pu être réussie. Aurait pu. Mais la conclusion en 1977 n'a pas forcement été à la hauteur des démarches entreprises. Un très beau récit, poignant, très bien écrit, alternant dureté et poésie. Je recommande chaudement.
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
page 49
[...] Un jour de printemps, le frère de Sakatsiak, qui habitait quelque part dans le nord, ficela un paquet de graisse sur son traineau, y attela ses chiens et dit à sa femme :
"Je vais voir s'ils sont tous morts dans le sud."
La surface de la neige était dure, et le lendemain il arrivait à Nortsit. Il arrêta son traineau au bord de la banquise, au pied de la hutte. Son frère Sakatsiak attendait, les mains dans les poches, devant le couloir.
"Alors, tu es arrivé ? lui demanda-t-il.
- Oui, je suis arrivé.
- Il y a la faim chez vous, dans le nord ?
- Oui, il y a la faim. Mains nous avons encore quelques phoques en réserve sous des pierres. Et chez vous, il y a la faim ?
- Oui, il y a la faim. Mais nous avons encore quelques phoques en réserve et du requin."
Alors, Sakatsiak dit à son frère :
"Monte et entre."
Dans la hutte il faisait chaud. Une lampe à huile était allumée.
"Vous avez encore de la graisse ?
- Tu vois", répondit la femme de Sakatsiak. Elle lui tendit un morceau de viande de phoque, froid et odorant.
"Comment êtes-vous dans le nord ? demanda Sakatsiak.
- Assez bien. Il y a la faim. Mais ça va assez bien. Dans l'ouest, à Sermidik, il y a la Grande Faim, et ils se nourrissent d'hommes." [...]
Quand il eut mangé, le visiteur dit :
"Merci.
- A toi aussi. Ce n'est rien. Nous voudrions avoir autre chose à t'offrir. Mais il y a la faim ...
- Oui, je sais. Il y a la faim ..."
Après un silence, il ajouta :
"Et ceux de Nounaguitsek, est-ce qu'ils ont la faim aussi ?
- Ils avaient la faim, répondit son frère. Maintenant, il ne reste plus personne là-bas. Ils sont tous mort.
- Tous ?
- Oui, tous.
- Pas un ne reste ?
- Pas un !"
Alors, comme il n'y avait plus rien à ajouter, il se leva.
"Je vais partir ...
- Oui. Bonne route !"
Devant la hutte, les chiens dormaient, fatigués par l'étape. Il les réveilla à coups de pied. [...]
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Tout proche, de l'autre côté du fjord, je distinguais le dos rond de Noudou. Nous allons y cueillir des airelles en été. Au sommet de cette montagne, l'eskimo Gâba et moi nous avions découvert des ossements humains sous quelques pierres jusque-là inviolées. Un tibia, un péroné, une rotule et trois vertèbres, fragments dispersés suivant des règles bien établies, du corps d'un homme assassiné. Ainsi l'âme n'avait pu reprendre forme humaine pour se venger.

2715 – [Le Livre de poche n° 5124, p. 23/24]
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Il n'y a pas de guerre (chez les eskimos), car ils n'ont jamais su ce que c'était : ils n'avaient pas de mot dans leur vocabulaire pour désigner ce fléau.

2714 – [Le Livre de poche n° 5124, p. 8]
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Videos de Paul-Emile Victor (6) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Paul-Emile Victor
Issu de l'école Louis Lumière, Jean-Jacques Languepin se forme au métier de réalisateur lors du tournage de Karakoram (1937) de Marcel Ichac. Suite à cette expérience, il va réaliser des films éloignés des thématiques néo-coloniale et nationaliste, comme Terre de glace (1948) et Groenland : vingt mille lieues sur les glaces (1952), sous la houlette de l'explorateur Paul-Emile Victor. À travers ses films, « il cherche à être un acteur des pays en reconstruction, au sortir de la Seconde Guerre mondiale ». Son cinéma se veut à la fois curieux et bienveillant sur le monde de l'extérieur, à la manière du cinéaste anglais John Noël. Son rôle de cadreur est à dénoter dans le film À l'assaut de l'Himalaya, où il alterne des plans serrés et des plans larges de paysages montagneux. L'ascension est racontée dans son ouvrage Himalaya, passion cruelle (1955) où figure notamment un poème testament de Roger Duplat, alpiniste disparu au cours de l'expédition.
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