Génétiquement programmé-e pour apprendre…
« La question centrale de ce livre peut se résumer ainsi : existe-t-il des différences significatives dans les capacités intellectuelles, sociales émotionnelles, physiques entre les hommes et les femmes, et ceci quelles que soient l'époque et la société auxquelles ils appartiennent ? Et si de telles différences sont scientifiquement démontrées, sont-elles innées ou acquises ? »
Certain-e-s voudraient que les inégalités soient non historiquement et socialement, mais « naturellement », constituées. Elles et ils voudraient que la « biologie » justifie ces inégalités, transformant au passage les démarches scientifiques en démarche idéologique. Elles et ils désireraient surtout qu'un ordre social provisoire devienne « un ordre naturel incontournable ». Et récemment bien des opposant-e-s à l'extension du mariage à tous les couples, ont ouvertement exprimé leurs fantasmes d'un soit-disant ordre naturel pour refuser l'égalité des toutes et tous.
Les auteures montrent que « les sciences du cerveau sont sujettes à des modes, à des courants de pensée, à des jeux de pouvoirs ». Grâce à l'imagerie par résonance magnétique (IRM), la comparaison entre les cerveaux des femmes et des hommes fait surtout ressortir que « les différences ne sont pas flagrantes ».
Catherine Vidal et
Dorothée Benoit-Browaeys nous rappellent que la construction du cerveau se fait par incorporation des influences dans nos relations aux autres, « les circuits neuronaux sont essentiellement construits au gré de notre histoire personnelle ». Il n'y a pas d'explication « naturelle » aux différences sociales : « notre destin n'est pas inscrit dans notre cerveau ! ».
Hier comme aujourd'hui, les préjugés conduisent des scientifiques à des conclusions fausses. La traque de particularité anatomique se révèle particulièrement… inutile : « il n'existe pas de rapport entre le poids du cerveau et les aptitudes intellectuelles » ; ce n'est pas la quantité mais la « qualité de connexions entre neurones » qui prime ; les observations du cerveau lors d'une autopsie ne permettent pas « d'affirmer s'il est masculin ou féminin » ; nos cerveaux ont bien deux hémisphères mais de même poids et de même volume, sans oublier que « une fonction n'est jamais assurée par une seule région ». Il n'y ni cerveau ou hémisphère « rose » ni cerveau ou hémisphère « bleu ».
Les auteures soulignent que « C'est avant tout l'expérience individuelle qui oriente les stratégies cognitives et pas le sexe ! »
« le cerveau est en quelque sorte notre livre d'histoire personnel, témoin du passé et ouvert sur l'avenir ». Les images, représentations instantanées du fonctionnement cérébral ne « disent rien sur l'origine des différences ». La construction du cerveau dépend des apprentissages. Les études font ressortir « la grande variabilité individuelle du fonctionnement du cerveau », les différences dans le dessin des circonvolutions du cortex cérébral et « cette variabilité anatomique individuelle n'a que peu à voir avec les gènes ». Les potentialités, la plasticité du cerveau sont très importantes. Les auteures soulignent les périodes clés, les périodes critiques chez les petit-e-s êtres humains, « l'interaction avec le monde extérieur, tant physique que social » permettant le développement. Elles parlent aussi du remodelage chez l'adulte. « L'ensemble de ces résultats montre bien la dynamique du fonctionnement du cerveau dont les connexions se réorganisent en permanence dans le temps et dans l'espace, qu'il s'agisse de l'acquisition d'apprentissages ou de compensation de défaillances ».
J'ai particulièrement été intéressé par les chapitres « Les gènes, hormones et sexe » et « Affects et intellect sous la loi des hormones ? ». Les auteures décryptent des légendes et des fantasmes sur le pseudo-déterminisme génétique ou hormonale.
Catherine Vidal et
Dorothée Benoit-Browaeys poursuivent sur la femme préhistorique absente ou reconstruite sans base scientifique, sur l'invention du mâle chasseur, sur les mythes culturels, sur l'oubli des vestiges comme témoignages de « facultés de synthèse et d'abstraction, donc d'une pensée symbolique » qui suggèrent que ces femmes et ces hommes « avaient le même cerveau que nous ».
Si « nulle part il n'existe de population sans règles sociales, sans traditions, sans croyance », les constructions symboliques de la « différence des sexes face à la reproduction de la vie » sont liées à la volonté des hommes « de s'approprier le pouvoir procréateur des femmes ». Les moeurs sont des constructions sociales historiques et non des donnés naturels. « Prétendre que les inégalités entre hommes et femmes s'expliquent par un ordre biologique naturel, c'est ignorer l'histoire et nier la réalité. C'est la pensée humaine qui a construit des systèmes d'interprétation et des pratiques symboliques, constituant autant de manières d'organiser et de légitimer la primauté des hommes sur les femmes ».
Avec ironie, les auteures vont déconstruire le « gène de la fidélité », la « chimie de intelligence », la « molécule du suicide », les « signes distinctifs de l'homosexualité », etc… et autres interprétations et inventions fantaisistes. Sans oublier les questions illégitimes comme la localisation des jugements moraux, les illusions des réalités virtuelles.
Elles indiquent aussi que « le recours à la biologie pour expliquer les différences entre les êtres humains correspondant à un courant de pensée qui a un nom et une longue histoire : le déterminisme biologique ». Elles critiquent les « béquilles cérébrales » des neurosciences, le dopage humain par les psychotropes, sans oublier les délires des « neuromarketing », « neuroéthique » ou « neurophilosophie »
En épilogue
Catherine Vidal et
Dorothée Benoit-Browaeys reviennent sur la plasticité cérébrale, sur l'absence de rapport entre poids du cerveau et aptitudes intellectuelles, sur la communication permanente des deux hémisphères cérébraux et sur le fait qu'aucun ne fonctionne isolément, sur la construction historique et sociale des différences. Elles terminent sur des considérations sur la science « La science est présentée au grand public comme source de certitudes et de vérités. Or, la réalité de l'activité scientifique est au contraire, le doute, la remise en question, les débats qui font avancer les idées ». Elles ajoutent que « dire que les valeurs qui fondent nos sociétés sont situées dans la nature, c'est mettre l'accent sur les servitudes de la pensée et pas sur sa liberté ». Et justement c'est bien cette liberté et cette égalité qui sont insupportables pour celles et ceux qui inventent des déterminismes « naturels » pour justifier les constructions sociales inégalitaires et le pouvoir des uns sur les autres.
Un petit livre simple, mais non simpliste, et pédagogique pour dénaturaliser les constructions sociales de nos individualités.
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