Les nombreux cas cliniques de plasticité cérébrale apportent la démonstration que les capacités mentales ne dépendent pas directement de la forme du cerveau, ni de l’épaisseur du cortex. Il s’agit là d’une notion importante à considérer pour interpréter les études en IRM. Voir des particularités anatomiques dans le cerveau d’un individu ne permet pas de prédire son futur, ni d’expliquer son passé. C’est pourtant ce que soutiennent certains courants scientifiques, principalement nord-américains, qui cherchent à localiser dans le cerveau les zones du mensonge, du jugement moral, du comportement antisocial, etc. Prétendre que les techniques d’imagerie permettront un jour de lire dans les pensées relève avant tout du fantasme. Mais l’idée est séduisante, tout comme l’était la phrénologie au XIXe siècle, qui affirmait que les capacités mentales se reflétaient dans les « bosses » du crâne. L’idéologie sous-jacente est toujours celle d’un déterminisme biologique des aptitudes intellectuelles, qui seraient précâblées dans le cerveau et immuables. Dans cette vision, les comportements « hors normes » des enfants ou des adultes seraient le reflet d’anomalies spécifiques de circuits neuronaux. L’IRM permettrait de les détecter, pour ensuite les corriger grâce à des traitements pharmacologiques. Ces conceptions sont en totale contradiction avec les progrès des connaissances sur la plasticité du cerveau. L’être humain, de la naissance à l’âge adulte, ne se réduit pas à une machine cérébrale autonome programmée pour assurer des actions et des comportements. C’est dans la relation avec le monde et avec les autres que se forge la personnalité et que se structure la pensée. Si des troubles du comportement se manifestent, c’est d’abord dans le contexte familial, social et économique qu’il faut aller chercher pour comprendre les problèmes et aider la personne en souffrance.
Chez l’enfant, c’est l’interaction avec l’environnement familial, social et culturel qui va orienter le développement de certaines aptitudes et contribuer à forger les traits de la personnalité. Plus tard, la plasticité cérébrale nous permet d’acquérir de nouveaux talents, de changer d’habitudes, de choisir différents itinéraires de vie…
Notre cerveau se construit tout au long de la vie, avec ses réseaux de neurones qui se font et se défont en fonction de l’apprentissage et de l’expérience vécue par chacun. Rien n’est jamais figé, ni dans le cerveau, ni dans les idées. Comme l’exprimait à sa façon le peintre Francis Picabia, « notre tête est ronde pour permettre à la pensée de changer de direction. »
Quoi qu’il en soit, les données épidémiologiques sur les modes de vie et le vieillissement soulignent le rôle des stimulations intellectuelles, sociales et physiques pour conserver un cerveau en bonne forme. Il n’y a pas d’âge limite pour la plasticité cérébrale. Il n’y a pas non plus de recette miracle pour conserver la mémoire. L’important est de rester ouvert sur le monde, d’interagir avec l’environnement, d’échanger et d’apprendre, avec et grâce aux autres. Bref, il suffit d’aimer la vie…
Ces exemples sont très instructifs pour repenser nos conceptions du fonctionnement cérébral. Ils remettent radicalement en question les théories des années 1960, qui attribuaient des fonctions spécifiques à chaque hémisphère, gauche et droit. L’ablation de l’hémisphère gauche, où prédominent les aires du langage, n’empêche pas les jeunes patients de récupérer toutes les fonctions du langage parlé et écrit. À l’IRM, on constate que l’hémisphère droit s’active dans des régions homologues des aires du langage de l’hémisphère gauche. Le même phénomène de suppléance a été décrit pour la vision. L’étendue du champ visuel couvert par les deux yeux n’est pas rétrécie chez les enfants dépourvus d’un hémisphère. C’est l’hémisphère restant qui assure la vision binoculaire.
Hommes, femmes, avons nous le même cerveau ?
Neurobiologiste, Catherine Vidal est directrice de recherche à l'Institut Pasteur. Elle se consacre à la diffusion du savoir scientifique pour s'attaquer aux idées reçues sur les différences "innées" entre hommes et femmes.