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EAN : 9782080704078
273 pages
Flammarion (07/01/1993)
3.56/5   33 notes
Résumé :
Un poète qui meurt de faim, un autre qui se tue pour échapper à l'humiliation d'un emploi servile, un autre qui finit sur l'échafaud : Gilbert, Chatterton, André Chénier. Le statut social de l'artiste, sa situation économique, son indépendance, sa fragilité devant le pouvoir, autant de questions que «loin des bruits affreux du jour» se posent Stello et son compagnon, le faustien Docteur Noir, quelques décennies avant Baudelaire, son albatros et son guignon. Le roman... >Voir plus
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Bizarre, curieux et intéressant ce roman d'Alfred de Vigny publié en 1832, sous le titre original « Les Consultations du Docteur-Noir. Première consultation : Stello ou les Diables bleus (Blue Devils) ».

Bizarre car c'est un dialogue entre le docteur Noir et Stello dans lequel le médecin raconte les tragiques décès de trois poètes Nicolas Gilbert, mort à 29 ans en 1780, Thomas Chatterton, mort à 17 ans en 1770 et André Chénier, guillotiné à 31 ans en 1794. Ce dialogue entre un pseudo psychologue et un artiste neurasthénique n'est pas, à mes yeux, l'aspect le plus passionnant de cet ouvrage. Cet artifice n'est ni crédible, ni convaincant.

Intéressants, les trois récits sont fort bien écrits :
- Histoire d'une puce enragée nous mène à la cour de Versailles et raconte la mort tragique de Nicolas Gilbert qui aurait avalé une clé dans son délire.
- Histoire de Kitty Bell, nous mène en Angleterre, où Thomas Chatterton, qui écrit sous le pseudonyme de « Rowley », pseudo moine moyenâgeux, est accusé d'être faussaire et se suicide à l'arsenic.
- Une histoire de la terreur, évoque 1974, la tyrannie de Robespierre et l'exécution d'André Chénier car « la république n'a pas besoin de poète ».

Curieux car Alfred de Vigny plaide pour le statut de l'artiste, le respect de la propriété intellectuelle et contribue ainsi aux lois de 1841 qui garantissent une relative sécurité aux créateurs.

Moins connu que « Cinq-Mars » ou « Servitude et grandeur militaires », cet ouvrage fait mémoire de trois poètes mythiques aujourd'hui en voie d'oubli et ce triple hommage vaut le détour. Stello incarne un artiste désabusé et pessimiste qui est un reflet de l'auteur qui, heureusement pour lui, vivra jusqu'à 66 ans en échappant à la fatale destinée promise aux artistes de génie…
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En voilà un très beau roman. Composé de trois récits distincts sur trois poètes morts jeunes: Gilbert, Chatterton (qui sera aussi le héros d'une pièce du même auteur) et le plus connu d'entre les trois André Chénier. Ces récits sont racontés par le Docteur Noir à un jeune mélancolique (l'un des personnages qui illustre ce fameux mal du siècle) qui a un talent de poète. le poète est condamné et étouffé par sa société, voilà l'idée majeure de ce roman. L'une des parties que j'avais appréciée surtout est celle concernant Chénier avec ce cadre épique de la Terreur (que j'ai rencontré aussi dans "Les dieux ont soif"). On appréciera aussi cette ordonnance du Docteur Noir pour guérir son ami Stello de son mal poétique "séparer la vie poétique de la vie politique". Mais surtout ce style pittoresque de Vigny le poète.
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Stello est sans nul doute l'incarnation du poète lui-même qui dans un de ses accès de mélancolie se voit tenté par l'Action et l'entrée dans la vie politique.
Le brave docteur-noir lui diagnostique la maladie des diables-bleus (blues-devils en anglais) et pour le dissuader lui raconte histoire de trois poètes malmenés, par la bonne société, persécutés, voire mis à mort.
Nicolas Gilbert meurt après avoir avalé une clé dans une crise de délire, Thomas Chatterton lui se suicidera après avoir été humilié, et André Chénier sera guillotiné sous ordre de Robespierre pendant la terreur.
On a droit à un portrait de Robespierre et de Saint-Just sans concession. Mais cela va bien au-delà puisque l'auteur ira jusqu'à évoquer les philosophes à travers Platon et sa volonté sans équivoque de bannir les artistes de la cité sous le prétexte qu'ils ne sont d'aucune utilité et ne sont que de pâles imitateurs.
S'ensuit une critique sur la politique, science du mensonge (qui semble étrangement d'actualité) que l'on peut opposer à l'intemporalité des oeuvres poétiques (notamment à travers Homère) :
« Comme le Pouvoir est une science de convention, selon les temps, et que tout ordre social est basé sur un mensonge plus ou moins ridicule, tandis qu'au contraire les beautés de tout Art ne sont possibles que dérivant de la vérité la plus intime, vous comprenez que le Pouvoir, quel qu'il soit, trouve une continuelle opposition dans toute oeuvre ainsi créée. de là ses efforts éternels pour comprimer ou séduire. »
L'ordonnance du Docteur-noir est savoureuse :
Dans un premier temps, « séparer la vie poétique de la vie politique », puis chérir la solitude et accomplir sa mission, sans jamais oublier le destin des trois poètes.
« le Poète, apôtre de la vérité toujours jeune, cause un éternel ombrage à l'homme du Pouvoir, apôtre d'une vieille fiction, parce que l'un a l'inspiration, l'autre seulement l'attention ou l'aptitude d'esprit […] »
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Commençons par la fin. Dans la dernière phrase du livre Vigny fait semblant de se demander : « Stello ne ressemble-t-il pas à quelque chose comme le sentiment ; le Docteur à quelque chose de pareil au raisonnement ? Ce que je crois, c'est que si mon coeur et ma tête avaient entre eux agité la même question, ils ne se seraient pas autrement parlé. » le Docteur noir représente donc la raison de Vigny et Stello son sentiment. Et comme le dit le Docteur : « Si Dieu nous a mis la tête plus haut que le coeur, c'est pour qu'elle le domine ».
Stello est un poète hyper-sensible, maniaco-dépressif, comme on dirait aujourd'hui. Lors d'un épisode de dépression il fait appel au Docteur noir, un « médecin des âmes » à l'attitude glaciale. le Docteur reconnait tout de suite la maladie de son patient, il la nomme : les « diables bleus ». Stello lui avoue qu'il en est arrivé à un tel point qu'il envisage d'écrire un livre sur la politique, « Dieu du ciel et de la terre ! s'écria le Docteur noir en se levant tout à coup, voyez jusqu'à quel degré d'extravagance les diables bleus et le désespoir peuvent entraîner un poète ! » Et on entrevoit donc la question qui va agiter nos deux protagonistes durant tout le reste du roman : la politique.
Stello a des tendances républicaines et on verra que le docteur est en fin de compte plutôt monarchiste. Mais ce qu'il prétend éviter, dans un premier temps, c'est que le poète se mêle de politique et pour cela il se propose de lui raconter trois histoires de poètes méprisés par les hommes de pouvoir : le presque oublié Nicolas Gilbert dans la monarchie absolue, Chatterton et la monarchie parlementaire, enfin André Chénier et les premiers républicains français, autrement appelés les Terroristes. Aucun de ces systèmes politiques n'est favorable aux poètes, mais il y a quand même une graduation dans ces histoires et il est évident que le véritable sujet est dans la dernière histoire sur la Révolution française. Sans perdre le sarcasme de la première histoire, ni le romantisme de la deuxième, le docteur noir ajoute de la gravité et de la méthodologie à la troisième.
En 1832, quand Vigny a publié ce roman, la seule république connue des Français était celle fondée par les Terroristes. Aussi, les portraits de Robespierre et Saint-Just, peints par le Docteur noir, font songer aux pires dictateurs du vingtième siècle. La haine féroce et ordinaire, la soif du sang derrière une façade de vertu sont les symptômes du despotisme.
La raison de Vigny conseille à son coeur de ne pas se mêler de politique et de se réfugier dans la solitude. L'organisation sociale, quelle qu'elle soit, est toujours un mensonge, il n'y a rien à faire avec elle, seuls le hasard et le destin la dirigent en fin de compte. La vérité se trouve toujours dans la solitude et s'il y a une liberté elle est dans l'imagination du poète.
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Étrange personnage que ce Docteur Noir, plus présent dans l'échange que son patient, qui n'a qu'à rôle d'auditeur quasi passif, et plus intéressant finalement que les différents poètes dont il fait le portrait, car c'est le sien qu'il dessine en creux en présentant les autres. C'est une démarche très poétique de parler des autres pour parler de soi...
Ce n'est certes pas un docteur ordinaire que cet homme, introduit aussi bien dans le Pavillon aux Cerfs au milieu des soirées galantes de Louis XV, décrivant en libertin les attraits physiques d'une ravissante idiote, que dans le temple de Robespierre, le logement des Duplay à la gloire du Tyran, ou que client d'une pâtisserie anglaise. Oui, c'est un amoureux des femmes que ce Docteur, sensible à la beauté où qu'elle soit, chez une duchesse comme chez une citoyenne sans-culotte.
C'est enfin un philosophe que ce Docteur aux étranges ordonnances, traitant de la place du Poète dans la société et de l'importance de l'art.
Le chapitre le plus saisissant est sans doute le dernier, celui consacré plus à la Terreur et à Thermidor qu'à Chénier qui n'apparaît qu'assez peu, et est plus un prétexte. La Terreur elle-même devient acte poétique avec les principes de Saint-Just, et le sang qui coule de la terrible machine devient oeuvre d'art. Une description à la fois sensuelle, onirique, et terrible - forcément.
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Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
J'entendis la voix creuse et douce de Chatterton, qui fit cette singulière réponse en saccadant ses paroles et s'arrêtant à chaque phrase :

« L'Angleterre est un vaisseau : notre île en a la forme ; la proue tournée au nord, elle est comme à l'ancre au milieu des mers, surveillant le continent. Sans cesse elle tire de ses flancs d'autres vaisseaux faits à son image et qui vont la représenter sur toutes les côtes du monde. Mais c'est à bord du grand navire qu'est notre ouvrage à tous. Le Roi, les Lords, les Communes, sont au pavillon, au gouvernail et à la boussole ; nous autres, nous devons tous avoir la main aux cordages, monter aux mats, tendre les voiles et charger les canons ; nous sommes tous de l'équipage, et nul n'est inutile dans la manœuvre de notre glorieux navire. »

Cela fit sensation. On s'approcha sans trop comprendre et sans savoir si l'on devait se moquer ou applaudir, situation accoutumée du vulgaire.

« Well, very well ! cria le gros Beckford, c'est bien, mon enfant ! c'est noblement représenter notre bienheureuse patrie ! Rule Britannia ! chanta-t-il en fredonnant l'air national. Mais. mon garçon, je vous prends par vos paroles. Que diable peut faire le Poète dans la manœuvre ? »

Chatterton resta dans sa première immobilité : c'était celle d'un homme absorbé par un travail intérieur qui ne cesse jamais et qui lui fait voir des ombres sur ses pas. Il leva seulement les yeux au plafond, et dit :

« Le Poète cherche aux étoiles quelle route nous montre le doigt du Seigneur. »
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Ne pas espérer qu'un grand œuvre soit contemplé, qu'un livre soit lu, comme ils ont été faits.

Si votre livre est écrit dans la solitude, l'étude et le recueillement je souhaite qu'il soit lu dans le recueillement, l'étude et la solitude : mais soyez à peu près certain qu'il sera lu à la promenade, au café, en calèche, entre les causerîes, les disputes, les verres, les jeux et les éclats de rire, ou pas du tout.

Et, s'il est original, Dieu vous puisse garder des pales imitateurs, troupe nuisibles et innombrable de singes salissants et maladroits !

Et, après tout cela, vous aurez mis au jour quelque volume qui, pareil à toutes les œuvres des hommes, lesquelles n'ont jamais exprimé qu'une question et un soupir, pourra se résumer infailliblement par les deux mots qui ne cesseront jamais d'exprimer notre destinée de doute et de douleur :

POURQUOI ? et HÉLAS !
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C'est en effet une chose toute commode aux médiocrités qu'un temps de révolution. Alors que le beuglement de la voix étouffe l’expression pure de la pensée, que la hauteur de la taille est plus prisée que la grandeur du caractère, que la harangue sur la borne fait taire l’éloquence à la tribune, que l’injure des feuilles publiques voile momentanément la sagesse durable des livres : quand un scandale de la rue fait une petite gloire et un petit nom ; quand les ambitieux centenaires feignent, pour les" piper, d'écouter les écoliers imberbes qui les endoctrinent ; quand l'enfant se guinde sur le bout du pied pour prêcher les hommes ; quand les grands noms sont secoués pêle-mêle dans des sacs de boue, et tirés à la loterie populaire par la main des pamphlétiers ; quand les vieilles hontes de famille redeviennent des espèces d’honneurs, hérédité chère à bien des Capacités connues ; quand les taches de sang font auréole au front, sur ma foi, c'est un bon temps.
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« Donnez-moi un verre d’eau : j’ai quatre-vingts ans, moi ; cela me fait mal.
— Ce ne sera rien, monseigneur, lui dis-je : seulement, il y a dans ce pouls quelque chose qui n’est ni la santé ni la fièvre de la maladie... C’est la folie », ajoutai-je tout bas.
Je dis au malade :
« Comment vous nommez-vous ? »
Rien... ses yeux demeurèrent fixes et mornes...
« Ne le tourmentez pas, Docteur, dit M. de Beaumont, il m’a déjà dit trois fois qu'il s’appelait Nicolas-Joseph-Laurent.
— Mais ce ne sont que des noms de baptême, dis-je.
— N’importe ! n’importe ! dit le bon archevêque avec un peu d’impatience, cela suffit à la religion : ce sont les noms de l’âme que les noms de baptême. C’est par ces noms-là que les saints nous connaissent. Cet enfant est bien bon chrétien. »
Je l’ai souvent remarqué, entre la pensée et l’œil il y a un rapport direct et si immédiat, que l’un agit sur l’autre avec une égale puissance. S’il est vrai qu'une idée arrête le regard, le regard, en se détournant, détourne aussi l’idée. J’en ai fait l’épreuve auprès des fous.
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Près du lit des mourants, les parents m'ont toujours importuné.

— Et pourquoi cela ? dit Stello...

Quand une maladie devient un peu longue, les parents jouent le plus mediocre rôle qui se puisse voir. Pendant les huit premiers jours, sentant la mort qui vient, ils pleurent et se tordent les bras ; les huit jours suivants, ils s'habituent à la mort de l’homme, calculent ses suites et spéculent sur elle ; les huit jours qui suivent, ils se disent à l'oreille : Les veilles nous tuent ; on prolonge ses souffrances ; il serait plus heureux pour tout le monde que cela finît. Et s'il reste encore quelques jours après, on me regarde de travers. Ma foi, j’aime mieux les gardés-malades ; elles tâtent bien, à la dérobée, les draps du lit, mais elles ne parlent pas.
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Vidéo de Alfred de Vigny
*RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE* : Alfred de Vigny, _Journal d'un poëte,_ recueilli et publié par Louis Ratisbonne, Paris, Michel Lévy frères, 1867, 310 p.
#AlfredDeVigny #JournalDUnPoëte #LittératureFrançaise #XIXeSiècle
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