Un très beau livre que j'ai eu grande joie à lire d'une traite.
Tout d'abord, cette aventure nous ouvre les yeux sur l'espace du possible de l'homme, espace trop souvent inexploré parce que pensé comme inaccessible aux communs des mortels dont la vie normée manque cruellement de référence humaine au-delà de l'ordinaire. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours aimé les récits d'aventure et plus généralement les biographies : pour ouvrir ma vision de l'espace du possible. Ce livre sincère et humain y contribue.
Au-delà de l'aventure on y trouve aussi – et c'est rare dans ce genre de récits – une réflexion poussée extrêmement intéressante sur la vie, nos vies ; là encore dans une grande sincérité, honnêteté, sans artifice. J'ai ainsi beaucoup appris de cette confrontation incessante qui ressort du livre entre d'une part l'orgueil fou du marcheur qui dans ses actions de l'immédiat jouit d'une liberté totale mise en relief dans ce monde humainement figé qu'il traverse (monde reléguant le mouvement au rang de la technique) et puis d'autre part la grande humilité de ce même marcheur, homme seul, qui à chaque instant dépend de l'autre et plus généralement de l'humanité entière. Orgueil, volonté de puissance, indépendance totale, ego contre humilité, sagesse, acceptation des finitudes : allers-retours incessants dans nos vies à tous que l'auteur énonce ici avec une grande lucidité et clarté – renforcées, je trouve, par cette excellente trouvaille du dialogue avec Don Pedro, personnage imaginaire et fantasmatique qui apparaît de temps à autre au cours du récit.
Enfin et surtout, j'admire le courage de l'auteur de livrer aux autres ces parts intimes de lui-même. Dans son dialogue avec Peggy, une jeune femme de rencontre sur le mont Sinaï, il s'interroge sur le sens de la vie, la question de l'être. L'auteur lui répond n'avoir rien trouvé "qui ne figure déjà dans les livres", ces livres "parfois très beaux, mais ce sont les autres qui les ont écrits". Je trouve cette réponse d'autant plus belle qu'elle est écrite ! écrite dans un livre qui apporte des débuts de réponses. Là justement cette force de la publication, de pouvoir s'exprimer, dire, crier au monde ce que l'on est. En somme au-delà de l'aventure elle-même, l'écriture du livre et sa publication apparaissent peut-être comme la réponse la plus aboutie. Une réponse dans l'affirmation de soi et le partage avec les autres.
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Ce livre, beaucoup moins exposé que les gros calibres qu'il côtoie sur les rayons "aventures" des librairies, est pourtant l'un des meilleurs. Pas tant par l'exploit en tant que tel (dans ce domaine on peut toujours faire plus), que dans la profondeur des réflexions, subtil dosage de l'expérience quotidienne et d'une quête spirituelle qui élève le vécu vers les questions essentiels de l'existence : que faire de ma vie ? comment concilier mes aspirations personnelles et ma volonté de puissance à la coexistence avec autrui ? L'élément religieux dans ce livre a l'importance du fond sans briser la forme et encore moins enfermer la pensée dans un carcan moraliste et castrateur. le tout avec un art du récit qui fait de FXV un admirable conteur. On attend le prochain livre avec impatience.
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Moi qui n'achète presque jamais de livres autres que des romans, je viens de dévorer le récit authentique d'un mec qui est allé de Paris à Jérusalem à pied. Un voyage passionnant et surtout très bien écrit ! Sans jamais lasser, l'auteur nous livre ses impressions les plus marquantes sur les lieux qu'il traverse et les gens qu'il rencontre. Il expose son orgueil sans complaisance tout en se posant beaucoup de questions pour tenter de trouver un sens à sa vie (il est cadre supérieur dans le secteur bancaire). Une histoire très prenante qui se lit comme un roman.
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Un banquier qui devient pèlerin après un burn-out.
On le suit de Paris à Jérusalem, dans ses réflexions, ses prières. Friande de ce genre de textes, récits de voyages au goût initiatique, je ne me suis pas attachée au personnage, peut-être parce que trop loin de moi...
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Antioche : je la nomme ainsi car je ne suis pas venu voir l'Antakya moderne des Turcs, mais plutôt la ville des premiers chrétiens, celle où saint Pierre et saint Paul ont parlé du Christ aux païens qui s'éveillaient à la foi. Dans une immense caverne au pied des montagnes qui surplombent l'Oronte, la tradition situe la première église du monde. Pierre, Paul et Barnabé y ont prêché. J'ai ajouté 150 kilomètres à mon périple pour venir ici. Dans mon parcours à remonter les siècles, Antioche représente, après Nicée, ma véritable porte d'entrée en Terre sainte, celle des premiers apôtres. La Palestine est toute proche. La terre du Christ.
Au petit matin, après une nuit pénible dans l’arrière-salle enfumée du café, je trouve toutes les portes closes. Impossible de m’attarder jusqu’au réveil de mes hôtes car une dure et longue étape m’attend. Après avoir déposé un mot de remerciement sur le comptoir pour Quasimodo, j’ouvre la fenêtre, l’enjambe et m’éloigne rapidement, comme un voleur.
Cette journée restera l’une des plus éprouvantes de mon périple. Je suis malade depuis trois jours et l’âcreté de l’atmosphère enfumée du café a achevé de me prendre à la gorge. Chaque goulée d’eau pourtant tellement indispensable devient si douloureuse que je préfère souffrir de la soif. En trois jours, j’ai parcouru 140 km et j’en ai prévu 45 de plus pour aujourd’hui, y compris le passage du col de Gezbeli à près de 2 000 mètres. La raison aurait dû m’arrêter, mais où ? À Develi, j’aurais pu coucher une nuit supplémentaire à l’hôtel, mais j’ai voulu profiter de la fenêtre météo favorable. À Bakirdagi, je n’aurais pas pu abuser plus longtemps de l’hospitalité de Quasimodo. Si l’on m’accueille parfois à bras ouverts, mon passage doit rester bref. La meilleure volonté s’épuise rapidement devant un étranger qui s’incruste.
Avancer. Avancer toujours. Je n’ai pas d’autre choix.
La route de terre battue zigzague en pente douce au-delà du col, épousant le flanc des montagnes qui, après la nudité absolue des versants anatoliens, commencent à se piqueter de pins noirâtres. Ce devrait être du gâteau, la cerise sur le gâteau d’un franchissement réussi, mais, en ce jour éreintant, même la descente est éprouvante.
Je suis exténué.
Je m’arrête de plus en plus souvent, doublé par quelques véhicules traînant derrière eux un nuage de poussière. Malgré mon accablement, je n’ai aucune envie de monter à bord, mais comme la route est dure ! À l’épuisement des derniers jours s’ajoute le contrecoup d’avoir mis derrière moi ce fichu Taurus qui m’effrayait tant. Ce passage ouvre béantes les vannes de la fatigue indéniablement accumulée depuis Istanbul. Je craignais tellement ce col que j’en ai rêvé toute la nuit : comme si ce n’était pas suffisant de le passer une fois !
- Tu as peur de ne pas exister suffisamment, n'est-ce pas ? Peur de n'être que le jouet de Dieu ? Tu voudrais ne plus sentir les ficelles du marionnettiste te diriger du Ciel ?
Peu avant l'entrée dans Baalbek, une mésaventure vient soudainement justifier mes appréhensions : une Mercedes déglinguée freine brusquement et pile devant moi après une queue-de-poisson. De l'intérieur, deux barbus m'apostrophent en arabe. Ils paraissent avoir une trentaine d'années, et leur tête ne m'annonce rien qui vaille. Ils semblent vouloir me prendre en voiture. Je repousse leur offre avec de larges sourires et maintes protestations de gratitudes :
- Je préfère la marche à pied, dis-je avec une naïveté feinte.
Les barbus ne l'entendent pas de cette oreille. Le ton s'élève d'un cran et ils se montrent de plus en plus agressifs. Un des deux hommes ouvre alors violemment la portière arrière de la voiture et m'ordonne de monter. Il n'est plus temps de chicaner.
A ce moment, un 4x4 s'arrête à ma hauteur et son conducteur s'enquiert en anglais :
- Est-ce qu'il y a un problème ?
- Ces gens veulent m'embarquer dans leur voiture, et moi je refuse. Je veux continuer à pied jusqu'à la ville.
Le nouveau venu entame alors une discussion animée avec les barbus. Au bout de longues minutes d'échanges assez vifs, la Mercedes repart en brinquebalant d'un air rageur. Mon bon Samaritain patiente à mes côtés jusqu'à ce qu'elle disparaisse à l'horizon et s'assure que je n'ai besoin de rien avant de redémarrer. Je respire de soulagement et remercie la Providence d'un soutien si opportun. J'ai hâte d'arriver à l'étape et presse le pas, comme si cela devait réduire le risque de rencontre similaires.