Récit très inventif, dans une langue riche et inspirée par les mots du terroir (en hommage à la Haute Provence) et la structure de la langue italienne ; il relate le voyage d'un berger à la retraite qui pars à Paris, avec sa mule pour prendre le train. La course dans les cols, les visites aux "voisin(e)s", les non dits, sont un prétexte pour voyager dans cet espace magnifique. le récit surprend par sa forme, son architecture (traité comme une geste), la ponctuation et la structure des phrases, les dialogues. Vincent Benoit nous emporte avec brio dans cette aventure humaine, teintée d'humour.
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La ville est là, la douane de terre, au nord, la plus proche du monde. Mais ils n’en parlent pas, ne la fréquentent pas, à peine lui daignent un œil. Le bus déjà là, la soute, et il monte aussi, je crois qu’il ne se retourne pas sur elle.
Débutent alors les racines des monts, l’entrée des sables, la Lance, encore son capuchon de neige, la dernière, celle qui attend l’autre, pour elle sacrifiée. Comme si cette terre pas assez fertile pour ériger des cailloux, tout glisse dans les safres et arènes. Ou trop fertile, arasée par les moyens mécaniques, puisque maintenant les pierriers cèdent aux truffières et les lavandes aux vignes, on a les arbres qu’on mérite.
Les villages sont tout racrapotés autour d’un maître-château, c’est de la pierre fière et travaillée, tâcheronnée, et ça emberluque, oui. Et puis les horizons sont larges, ça permet l’œil de tafurer. Le voyage se poursuit en crau, ni court, ni long, et trop des deux, et déjà vers la Cité qui a encore grossi, mangé les ermes autour. C’est beaucoup de tendu et de rougi pour Farigoule Bastard qui revient depuis très, très loin.
Ses pieds portent lourd, lorsqu’ils s’étendent c’est une décharge dans leur plante, et le gourd s’installe. Les poches ébrouées, la gorge raclée, les mains crissent, il se pose en lui-même. Les bougies s’éteignent. Il se prend au velours du tabac, déjà sec, il fait si chaud dehors. Il y a ça aussi, que sans humidité, et constamment accablé de touffeur, le corps est projection, mais constante si perfectible. Le hibou s’égrène. Farigoule Bastard se ramène, il se rassemble, et tous ses plis s’embourbent les uns dans les autres, son dos : un levier. Il fait liquide. Épais. Poisseux.
Farigoule Bastard est objet de transition, ou moyeu, ou vérin. / Moyeu, qui porte et élance. / Vérin, qui gagne d’une chambre l’autre. / Dès le début, il a fallu négocier. Ce n’est pas qu’un concept comme l’autre. / En observant de près, on y décèle de petites surfaces, spongieuses, râpeuses, de celles qui accrochent les tissus puis ne lâchent plus, de celles qui abritent des microfaunes hérissées, des levures fuligineuses, de minuscules trafics monocellulaires, des bains, des bouillons.
Sommeil, quand tu mords la nuit, le corps ou le lit, et ne reposes guère. La peau ses poils ce sont des épines, au matin. Se lever c'est arracher. Le corps donne l'impression d'un incompatible, a dû glisser de lui-même, on n'a plus d'attache au paysage. Farigoule Bastard se demande d'où vient cette faculté que seuls les hommes cultivent – de se dissoudre ainsi dans la douleur, de nager à ce point au large du monde. Parfois le sommeil expulse. Parfois le sommeil pulvérise.
[...] et le garenne et le fusil connaissent bien les aléas du labyrinthe, on ne fait que se rendre, plus ou moins vite, plus ou moins bêtement, plus ou moins courageusement à ce qui ne fait pas sens, ne fait pas œuvre, à ce qui n'a pas bouche, ce qui [n'a pas voix], ce qui n'a pas timbre, et qui pourtant résonne, et qui pourtant répond, répond de moi, répond de toi, et mettra un point final, je ne sais pas pourquoi [...]