J'ai plutôt bien aimé ce livre qui est très différent de ce que j'ai lu jusque là . c'est entre l'essai et la fiction.
D'emblée, le livre, habilement situé à la croisée des genres, séduit par la posture délicate de l'auteur qui se demande « comment avoir l'air d'être un auteur tout en dormant », et qui craint, du fait de son patronyme, de ne pas pouvoir échapper « à la qualification de pamphlétaire de droite ». le mélange entre essai et fiction, la fluctuation volontaire entre auteur, protagoniste et narrateur exposent aussi continuellement celui qui écrit, dont l'(auto-)ironie n'exclut pourtant pas une certaine tendresse, une sorte de pitié chrétienne pour ses personnages. Jean, le protagoniste qui forme un couple hilarant avec son épouse Athénaïs, opte pour l'abrutissement afin de s'accommoder du monde moderne.
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Une révélation bonnetière
Un soir de septembre, à la tendre requête de mon Élue (à moins que ce ne fût à son injonction comminatoire, je ne sais plus très bien), je me dirigeais vers un grand magasin de la rive gauche pour accomplir une mission. Cette mission m'avait été décrite comme nécessaire à la cohérence générale du décor de notre salon, et mon Elue considérait que son honneur d'hôtesse parisienne était engagé à ce qu'elle soit correctement exécutée. Il s'agissait d'aller récupérer deux coussins destinés à un canapé, qui permettraient audit canapé d'être plus encore en harmonie avec les rideaux qu'il ne l'était déjà. Je passe sur deux circonstances secondaires de cette mission : l'obscénité du prix des coussins, et le fait que je me demandais pourquoi c'était moi qui m'y collais, à cette corvée, qui m'obligeait à partir du bureau plus tôt que d'habitude. Si cela n'avait tenu qu'à moi, il n'y aurait eu ni rideaux, ni canapé, et encore moins de coussins dans mon salon. Mais voilà, le miracle de l'amour est ainsi fait qu'au début, vous avez un garçon tranquille qui lit «La Jérusalem délivrée» du Tasse ou l'équivalent dans son appartement mal rangé de célibataire, puis une femme divine arrive dans un torrent d'amour et avec des projets de décoration, et à la fin je vais chercher des coussins au Bon Marché alors que je n'aime pas ça
Le chef-d'oeuvre de l'abruti, c'est d'être un mort-vivant, un agité en état de sieste létale. Les abrutis ont généralement l'air fraîchement enterrés et très actifs à la fois, comme s'ils avaient absorbés un somnifère euphorisant (...)
"L'abrutissement est d'abord une réponse pratique à la contrainte sociale : il s'agit de trouver le moyen de dormir debout. D'éviter le réveil en prenant un air affairé aux choses de la sphère sociale. De tromper la vigilance de tous ces autres qui veulent vous voir en pleine conscience, pour votre bien.
Les abrutis ne sont pas comme les "envahisseurs" du vieux feuilleton américain, avec un petit doigt en "u" qui les trahit. Ils dorment en agissant, ils dorment en pensant. Mais leur habilité, c'est que du fond de leur conscience dormante, ils réussissent à projeter sur l'écran de leur visage une apparence de vie socialement satisfaisante, et conçue pour tromper l'exigence d'être vivant pendant la durée de vie (...)
Quelle place pour la culture?