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EAN : 9782707313850
125 pages
Editions de Minuit (30/08/1991)
4.07/5   29 notes
Résumé :
Un jour de printemps, trois prisonniers sont libres : un lutteur de cirque, un voleur de chevaux, un oiseau. Les grilles s'ouvrent et ils sortent. Dans la capitale, ils déambulent, évitant les patrouilles de salubrité frondiste. Malgré la douceur de l'après-midi qui incite à l'optimisme, ils voient mal ce que l'avenir leur réserve. Ils s'asseyent au bord du trottoir.
Ce soir là, un écrivain se rend au concert. En compagnie d'une amie très chère il compte écou... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Les quatre romans parus aux éditions de Minuit d'Antoine Volodine forment un passionnant témoignage d'une oeuvre en voie d'établissement.
Chacun défriche à sa manière des pistes en voie d'exploration, dont la cartographie future s'assemblera à leur impossible histoire commune.

Débutant par la voix de l'oralité, offrant au possible d'être racontée, son histoire glace de son vécu trop familier, cyclique cirque communo-fasciste, spectacle donné car bien trop véritable.

L'idéal totalitaire y entre en piste sans crier gare, la rumeur de sa venue précédant l'érection de son chapiteau, les affiches la vantant largement placardées sur ces murs, passifs témoins ne sachant l'arrêter.

Arméniens, Juifs, Cathares ou Doryphores, éternels sons du glas joués alors que la foule s'assemble autour d'idées bien trop simples.
Mais au moins, la musique reste.
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"Lorsque le monde lui déplaît sous tous ses angles, l'écrivain, sur le papier, métamorphose le tissu de la vérité."
(p.31)

"C'est l'histoire d'un homme. de deux hommes. En fait, ils sont trois. Aram, Matko et Will MacGrodno..."
... Mais c'est aussi l'histoire d'une altiste qui bouleverse son auditoire, d'un oiseau aux ailes coupées nommé Ragojine, d'un écrivain et d'une peintre épris de liberté, d'un clown de cirque obsédé par la mort et d'un voleur de chevaux qui a vendu son âme aux forces obscures.
Mais avant toute chose, c'est l'histoire d'un concert de musique classique qui a mal tourné.

Les noms étranges de toute beauté (pensez-en ce que vous voulez, mais j'ai toujours un frisson de plaisir quand je croise des personnages littéraires qui portent des noms comme Will MacGrodno, Baxir Kodek, Salvara Dradjia ou Hakatia Badrinourbat) ainsi que l'indéfinissable atmosphère qui nous enveloppe dès les premières lignes indiquent clairement que le monde dans lequel on se trouve n'est pas réel, malgré toutes les similitudes avec le notre. C'est le monde post-exotique de Volodine, hors de l'espace et du temps. Construit sur des ruines, incertain et plein de dangers.

Trois hommes sortent de prison, et errent dans la ville de Chamrouche gouvernée par les frondistes - parti populiste dirigé par un homme au nom évocateur de Balynt Zagoebel. L'araignée qui décore son brassard prend inexorablement la ville dans sa toile, tandis que quelque part dans "l'Hémisphère Sud" se trouve encore la "zone libre"... mais elle semble bien loin.
A Chamrouche, une étincelle de liberté pourrait potentiellement illuminer le théâtre où le concert d'un quatuor à cordes se prépare pour cette belle soirée printanière du 27 mai. le choix du répertoire est osé, loin du goût des dirigeants politiques. le spectacle n'est pas interdit, mais s'y rendre représente un défi : une affirmation publique de ses convictions.

Les divers protagonistes du drame final - tous des solitaires, étrangers dans leur propre pays - se croisent à peine au fil de pages, mais ils finiront tous par se retrouver le soir dans la même salle : les prisonniers politiques, les "oiseaux", les "nègues", les suspects opposants au régime, les artistes et les intellectuels qui ont tout juste le droit de se taire.
Or, désormais c'est Balynt Zagoebel qui décide à quoi doit ressembler la culture à Chamrouche, et il prépare à son tour un grand meeting-spectacle sur la place devant le théâtre. Les artistes du cirque Vanzetti (un bon nom italien pour un cirque, mais lourd de sens) seront recrutés de force afin de donner un peu de peps à cette manifestation d'abrutissement collectif : chanter, danser, hurler les slogans et rire de tout, même des saltimbanques poussés à l'extrême. le peuple n'a pas besoin de douteuses distractions élitistes, il a besoin de s'amuser. Panem et circenses, entrez dans la ronde ! Fournissez un amusement populaire à la population, et vous serez populaire. Et quand vous serez populaire, le monde sera à vous.
Les mélomanes au théâtre ne sont pas nombreux. Ils entrent la tête haute et le coeur serré, en pensant à la foule fanatisée qui se rassemble dehors. Les frondistes ont d'ailleurs acheté la plupart des places dans la salle, et ils s'installent en souriant, tandis que le malaise et l'anxiété montent, ainsi que le pressentiment d'une "soirée affreuse, angoissée et angoissante".

"Alto Solo" est un court roman - seulement trois chapitres, dont le deuxième est raconté à la première personne par l'écrivain Iakoub Khadjabakiro - et pourtant, tant est dit !
De tout ce que j'ai pu lire de Volodine, c'est le récit le plus "réaliste", ouvertement conçu comme un multiple avertissement, et presque dépourvu de cet humour détaché typique de ce gracieux barde du bardo. Mais tout est encore une fois soigneusement brassé dans le magique chaudron post-exotique rempli comme d'habitude d'un bouillon acide de merveilleux poétisme sombre, des néologismes et de l'atmosphère unique. Volodine (accessoirement Khadjabakiro ?) fait de la ville de Chamrouche une allégorie du régime totalitaire, avec sa pensée unique et sa culture unique.
Mais il y aura toujours des drôles d'oiseaux qui n'auront pas envie de se joindre à la beuglante queue leu leu, quitte à prendre un envol risqué, et c'est à eux qu'est dédiée cette histoire.

4/5 : dans mon palmarès privé, aucun autre roman de Volodine ne peut surpasser les lueurs éclatantes de "Terminus Radieux", mais ces événements du 27 mai à Chamrouche méritent une mention spéciale.
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Ca commence comme ça, tout doucement, trois types qui sortent de prison dans un grand fracas de grille. Trois hommes hagards, qui clignent des paupières sous un soleil « qui n'est plus grillagé ». Trois pauvres gars, paumés, déroutés, sans argent, qui retrouvent la ville, au bout de quatre années de détention plus ou moins justifiée.

Car la justice en ce pays, autant dire qu'elle n'est pas pour les « oiseaux » et les « nègues » comme eux, ces migrants qui viennent des régions du Sud, là où persistent encore quelques mouvements de rébellion contre le régime.
La justice, elle n'est pas non plus pour les travailleurs pauvres, les clochards, les intellectuels, les musiciens, les écrivains…. de la graine d'oiseau à dénoncer aux patrouilles de salubrité du parti !
«lntellectuels prétentieux, roitelets de la décadence, fainéants huppés », avec leur art dégénéré et leur musique classique….une engeance de contestataires à qui l'on fait la chasse et que l'on plume sous les vivats d'une foule de partisans barbares se languissant d'un « nouveau printemps de génocide »…

Ici, ce sont les frondistes, les adhérents au parti populiste, qui édictent les règles, à grand coup de harangues populaires, de discours xénophobes et d'encouragements à la violence.
« Quand les tribuns désignent, à l'intérieur des frontières, des boucs émissaires, les foules se tiennent bouche cousue devant les crimes. »
« Rien ne menace le parti », la machinerie totalitaire est bien huilée, « patriotes-pitres » et « sociales-marionnettes » fanatisés, radicalisés, galvanisés, exultent bras tendus sous l'étendard fasciste, enfiévrés de chauvinisme primaire et d'intolérance grégaire, fiers de « l'image que renvoient les miroirs de la camaraderie en brassard ».

Alors, ça commence comme ça, tout doucement, trois hommes qui sortent de taule et errent par la ville. A leur histoire, se greffent celles d'un oiseau blessé, d'un voleur de chevaux, d'un clown phobique, d'un quatuor de musiciens, d'un écrivain que le réel obsède.
Tous ces personnages vont se croiser, se rencontrer, se préparer et se mettre en place pour la grande représentation finale entre concert de musique et meeting frondiste.
Car ce soir le spectacle va battre son plein.
« L'heure avait sonné de raviver le flambeau des haines à domicile. Il convenait, chez soi, d'entamer un renettoyage radical ».
On est le 27 Mai et ce soir, c'est massacre et jeux de cirque…

Oui, ça commence comme ça, tout doucement…et pourtant, on sait qu'on va vers le drame, vers quelque chose qu'on sent inéluctable, quelque chose qui va nous bousculer, nous heurter, nous meurtrir, nous laisser le souffle court et la rage au ventre.
Dès les premières lignes, on est happé et suspendu au phrasé envoûtant de l'auteur, cette écriture limpide qui va crescendo, qui flirte entre poésie tendre et horreur absolu, entre le rêve bleu des oiseaux et le cauchemar régnant, cette langue qui se fait rude, sûre, distincte lorsqu'elle parle de nationalisme, et lumineuse, vulnérable et sensible lorsqu'elle s'adoucit au contact d'un archet de violoncelle, sur les cordes d'un alto ou sur les ailes d'un oiseau planant dans les contrées du Sud.

Nulle indication de lieu ni d'époque dans « Alto Solo » ; Volodine instruit son discours avec l'outil de l'écrivain qui sait utiliser tous les ressorts du symbolisme, du rêve et du romanesque pour arriver cependant à une dénonciation brutale et sans équivoque du totalitarisme.
Quand bien même l'époque serait incertaine et le thème universel, Antoine Volodine publiait son deuxième ouvrage aux Editions de Minuit en 1991 ; alors on ne peut s'empêcher de repenser aux affrontements qui, dans ces années 90, s'amorçaient en Ex-Yougoslavie, le nationalisme radical dans les territoires serbes et croates, le caractère génocidaire d'un conflit d'une violence insoutenable, la barbarie orchestrée sur les minorités, les oppositions ethniques, politiques, idéologiques et gouvernementales qui ont menées à tant d'inhumanité.

Parce que c'est aussi ça la littérature, ce pouvoir de malmener, de nous révolter, de nous indigner, de nous blesser dans la chair et dans l'âme…que dire de plus, sinon que le pouvoir d'évocation de cette fable politique est tel, qu'il est bien difficile d'en sortir indemne, et puis reprendre, comme en un dérisoire hommage, ces quelques mots que l'écrivain rédige en un dernier concerto de défi à la face du tous les frondistes, de tous les radicalistes et de tous les mafieux en « brassards-araignées » :

« A la mémoire de Dojna Magidjamalian, je dédie ce texte.»
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« Quand des tribuns désignent, à l'intérieur des frontières, des boucs émissaires, les foules se tiennent bouche cousue devant les crimes, ou encore se radicalisent, s'amourachent follement des forts en gueule, languissent après un nouveau printemps de génocide. »

Alto Solo, c'est l'éternelle histoire des dictatures. C'est la force brutale, bestiale, stupide et admirée. C'est l'amour des bottes que dénonçait Albert Cohen dans ses pages inoubliables de Belle du Seigneur.
Mais sous les doigts de Volodine, le si grand et discret écrivain, cent vingt sept pages suffisent à conter le combat entre l'humanité aveugle et celle ouverte au monde, refusant la désespérance.
La fable politique se fait romantique, créatrice, poétique, limpide comme un ciel qui vire au bleu parmi la boue des torrents de haine.
Tout l'art de Volodine est d'extraire du chaos et du fracas décortiqués des éclats cristallins.

La ville de Chamrouge est hantée par le frondisme. Ici, la censure règne en tapinois.
Il y a l'art acceptable, abêtissement des masses et tous les autres arts, moins acceptables, ceux qui paillettent les yeux, ébouriffent les plumes, enchantent les oreilles, émerveillent l'esprit. Pas interdits, non. Suffisamment discrédités.

Lorsque les grilles claquent sur quelques années d'incarcération arbitraire, trois hommes débutent leur première journée de libération, journée qui à elle seule emplira le roman. En ce jour de mai, un concert est annoncé où doit jouer la violoniste qui inspire le titre du livre. Elle, elle porte la musique vers les sommets des dieux lorsqu'elle joue pour son amour perdu.

Les histoires se mêlent; il y a le fier voleur de chevaux qui a abdiqué sa liberté, l'oiseau blessé qui se cache, l'écrivain amoureux, la peintre, le clown. Il y a leurs noms aussi beaux qu'étranges, Bieno Amirbekian, Aram Bouderbichvili, Ragojine, Baxir, Tchaki Estherkhan, Dojna Magidjamalian... La magie de l'écrivain Volodine crée un univers à la marge, différent et révélateur, fantastique et réel. Chimérique et vrai. Comme l'araignée qui rampe sur le brassard du parti frondiste.

Volodine ne se contente pas d'une dénonciation du système dictatorial. En ce jour de mai, le parti frondiste a délaissé le pouvoir. Il a remis les institutions légales entre les mains des patriotes-pitres et des sociales-marionetttes. Pour lui, il conserve la rue, la presse. le pouvoir politique social-démocrate est modéré.
Mais derrière cette modération, embusquée, vigilante, la manipulation inconsciente des masses englue la rue de haine, incite à la xénophobie, flatte l'infinie vulgarité.
Vulgarité qui explosera dans un bouquet d'abjections lorsque viendra l'heure du concert programmé et fortement déconseillé. L'art contre le fanatisme politique. La musique contre l'excitation massive. L'élévation harmonique contre le populisme grossier.

Face aux contrées bleues des oiseaux, Volodine peint le tableau criard des masses abêties sans rien omettre de l'horreur de l'oppression. Mais au bout de cette fable, singulière et éblouissante, demeure le rêve, l'espoir, une plume qui lentement retombe, une note qui s'élève.

Et si nous devions défendre notre liberté, quelle place prendrions-nous?
Cent vingt sept pages limpides comme un torrent de montagne, à la beauté chimérique de la licorne ailée, au réalisme lucide. Cent vingt sept pages indispensables.
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D'un abord plus simple que «Lisbonne dernière marge», ce roman d'Antoine Volodine (le deuxième publié aux Editions de Minuit en 1991) met en musique de façon limpide cette phrase de l'auteur : "Le pessimisme le plus lugubre et le désastre absolu sont une pâte inerte avec quoi on peut façonner des objets extrêmement lumineux", car «Alto Solo» est sans doute l'un des romans d'Antoine Volodine où le désastre et la barbarie sont montrés de la manière la plus frontale.

Alors que les révolutionnaires faiblissent mais se battent encore dans un sud toujours libre, ils ont été défaits dans la ville de Chamrouche. La ville est passée sous la coupe d'un parti fasciste qui, pour maintenir sa popularité au zénith, contrôle le pouvoir depuis les coulisses et attise la haine de masses dévoyées vers le pire, envers les étrangers, les gueux, les oiseaux et tous ceux qui ne rejoignent pas leurs rangs. Ce parti populiste, barbare et xénophobe, le frondisme, qui nous rappelle des ombres répugnantes et terriblement familières, est tragiquement et si justement décrit par l'un des personnages : «Le frondisme, lui avait-il confié, c'est quand tu es battu devant une foule et que tu tombes, et que la foule rit aux larmes.»

L'histoire est raconté ici en une seule journée, le 27 mai, une histoire où l'on croise trois individus libérés d'une prison surpeuplée, Aram, Matko et Will MacGrodno, sous-hommes dans ce monde, insultés et exclus, l'altiste virtuose Tchaki Esterkhan habitée lorsqu'elle joue par le rêve magnifique d'un amour passé, Bieno un ancien voleur de chevaux qui fait maintenant le coup de force pour le frondisme, et enfin l'écrivain Iakoub Khadjbakiro, une mise en abîme de la fiction volodinienne à l'intérieur du récit.

«L'histoire se complique, parce qu'il s'y mêle un écrivain, Iakoub Khadjbakiro, et que, lorsque le monde lui déplaît sous tous ses angles, l'écrivain sur le papier, métamorphose le tissu de la vérité. Il ne se contente pas d'énoncer, sur un ton d'amertume dépitée, ce qui l'entoure. Il ne reproduit pas trait pour trait l'élémentaire brutalité, l'animale tragédie à quoi se réduit le destin des hommes. S'il procédait ainsi, il se dégoûterait vite, il se lasserait. Il composerait seulement de petits tableaux anecdotiques, il étofferait médiocrement la médiocre réalité. Il n'éprouverait aucun plaisir à son art et vite cesserait d'écrire. Au lieu de cela, il choisit, de la vie réelle, les brins les plus ténus, ombres et harmoniques, et à ses souvenirs il les entremêle, à des visions qu'il a eues pendant son sommeil et qu'il chérit, à son passé il les entrelace, aux impatiences, aux erreurs, aux croyances déçues de son enfance. Selon son humeur il reconstitue et remodèle, dans sa tête, ce qu'il a vu.»

Les fils entremêlés de l'histoire vont se nouer le soir du 27 mai sur la place de Chamrouche, là ou doit se dérouler un concert du quatuor, alors que le dirigeant frondiste Balynt Zagoebel a décidé d'imposer une culture populaire unique, et de mettre au pas ou bien de détruire les intellectuels et les quelques sous-hommes qui lui résistent encore.

La seule échappatoire à cet univers totalitaire et tragique est l'envol vers le rêve, qui fait d'Alto Solo un livre d'une beauté déchirante.

«Quand ils étaient allongés l'un contre l'autre, mollement chauds, ou qu'ils ouvraient les yeux avant l'aube, glissant enlacés du songe à la nuit, il lui décrivait le pays où il avait vécu son enfance, une lande compliquée par des montagnes et des falaises à pic. Au milieu des rochers abrupts s'étaient installées des colonies troglodytes. le basalte était truffé de galeries. Certains couloirs aboutissaient sur le versant sud. Depuis les grottes on dominait alors un extraordinaire ensemble de volcans, des cratères que moirait un azur intense. Lorsque l'altiste, lisérant de mélancolie la netteté de son timbre, ressemblait à une dormeuse sans regard, elle revoyait sans peine Kirghyl Karakassian.»

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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Nous nous tenions au sommet d'une pente dont l'ascension avait été rude. Des couples, l'allure raidie et les lèvres tremblantes, des hommes isolés, en habit de soirée ou en tenue plus simple, continuaient à émerger de la foule, à traverser les mailles du service de sécurité et à escalader lentement, comme en un ralenti cinématographique, les marches. Une solidarité spontanée naissait entre ces gens. Sans se connaître, ils se saluaient, s'adressaient des gestes discret, dépourvus d'emphase, des sourires rassurants, tandis que dans leur dos s'amassait l'orage. Nous pénétrâmes dans l'atrium, le hall. Tout était éclairé normalement. Les vestiaires fonctionnaient, mais le climat d'incertitude, de précarité, incitait le public à ne pas se déshabiller.
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Ils sont trois, cinq cents, mille, ils sont légion, des millions.
Leur nombre s’explique par des facteurs économiques et sociaux, mais il faut avoir le courage de compléter l’explication en disant que quelque chose d’instinctif, inscrit sans doute dans le patrimoine génétique de l’espèce, pousse les grandes masses humaines à cautionner ce qui promet la désolation et le carnage.
Un élan mystérieux anime collectivement les esprits et les dévoie vers le pire. Il suffit qu’aux opinions publiques on désigne un ennemi hors des frontières pour qu’en une nuit, elles se bellicisent et fassent bloc autour de nos soldats ; pour qu’après une seule journée d’orchestration du mensonge, elles plébiscitent les bombardements, réclament à n’importe quel prix la victoire ; goulûment elles s’abreuvent à la propagande martiale.
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Il regarde par la fenêtre.
En fait, ce n’est pas une fenêtre, mais l’ouverture d’une caverne où habitent des oiseaux.
Dehors, tout est à pic, tout est bleu : nuages bleus, soleil bleu, abîmes bleus. Quand il se penche, il aperçoit des volcans, des lacs, des coulées de lave, des montagnes que couronne une neige d’azur. La brise est légère, tiède, embaume. Il se penche un peu plus à la lisière du précipice. Les étendues d’herbe scintillent, les oiseaux planent, traversent le ciel, plumes frémissantes.
Il sait que, malgré son aile blessée, il pourra voler.
Il écoute la musique.
Il écoute le murmure de Tchaki Estherkhan qui chante autour de lui et, quand il s’élance, il la voit.
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Lorsque le monde lui déplaît sous tous ses angles, l’écrivain, sur le papier, métamorphose le tissu de la vérité. Il ne se contente pas dénoncer, sur un ton d’amertume dépitée, ce qui l’entoure. Il ne reproduit pas trait pour trait l’élémentaire brutalité, l’animale tragédie à quoi se réduit le destin des hommes.
Au lieu de cela, il choisit, de la vie réelle, les brins les plus ténus, ombres et harmoniques, et à ses souvenirs il les entremêle à des visions qu’il a eues pendant son sommeil et qu’il chérit, à son passé il les entrelace, aux impatiences, aux erreurs, aux croyances déçues de son enfance.
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La physionomie de Balynt Zagoebel plaira à des millions de gens jusqu'à sa mort. Elle remuera en eux des souvenirs. Elle leur rappellera à la fois leur instituteur, leur garagiste, leur chef d'atelier, elle leur rappellera un acteur de cinéma, une vedette des années cinquante dont ils auront oublié le nom et les films : une tête ordinaire, donc, familière, et même temps une tête liée à toute la magie des salles noires.
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Rencontre animée par Pierre Benetti
Depuis plus de trente ans, Antoine Volodine et ses hétéronymes (Lutz Bassmann, Manuela Draeger ou Eli Kronauer pour ne citer qu'eux), bâtissent le “post-exotisme”, un ensemble de récits littéraires de “rêves et de prisons”, étrangers “aux traditions du monde officiel”. Cet édifice dissident comptera, comme annoncé, quarante-neuf volumes, du nombre de jours d'errance entre la mort et la réincarnation selon les bouddhistes. Vivre dans le feu est le quarante-septième opus de cette entreprise sans précédent et c'est le dernier signé par Antoine Volodine. On y suit Sam, un soldat qui va être enveloppé dans les flammes quelques fractions de seconde plus tard, quelques fractions de seconde que dure ce livre, fait de souvenirs et de rêveries. Un roman dont la beauté est forcément, nécessairement, incandescente.
À lire – Antoine Volodine, Vivre dans le feu, Seuil, 2024.
Son : Axel Bigot Lumière : Patrick Clitus Direction technique : Guillaume Parra Captation : Claire Jarlan
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