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EAN : 9782020838078
233 pages
Seuil (14/11/2005)
3.72/5   61 notes
Résumé :
Présumant que le défunt est obligé par son karma de traverser les quarante-neuf jours du Bardo, et qu'il doit rencontrer, sur le chemin de la renaissance, de terribles visions et obstacles, un lama lit le Bardo Thöddol, le Livre des morts tibétain, pour l'aider à triompher des dangers qui le menacent. Mais que se passe-t-il lorsque le mort refuse d'écouter les conseils ? Ou lorsque l'existence dans le Bardo lui plaît au point qu'il ne veuille plus en sortir ? Où lor... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
"Noble fils, maintenant que ta respiration a presque cessé, voici pour toi le moment de chercher une voie, car la lumière fondamentale qui apparaît lors du premier état intermédiaire va poindre..."
(Bardo Thödol, le Livre Tibétain des Morts)

Sépulcrale lumière matinale d'octobre, paisible lamaserie deux-sévrienne...
Gong.
Noble lecteur, te voilà prêt à entamer une errance de 49 jours, à travers les sept chapitres du Bardo (or not Bardo ? toute la question est là !) volodinien. Prêt à être surpris et étonné par ce qui t'arrive, à te sentir perdu en passant d'un état intermédiaire à l'autre, et à t'approcher peut-être de la Claire Lumière. Dans le meilleur des cas tu entreras au Nirvana littéraire que peuvent apporter les romans post-exotiques... dans le pire (ce que je ne te souhaite pas), tu te réincarneras sans peine en lecteur de romans ordinaires, qui n'aura plus jamais envie de franchir la porte phosphorescente et délabrée du Volodinestan.

Gong.
"Bardo or not Bardo" est la création la plus drôle, la plus "théâtrale" et la plus tragiquement burlesque de tous les romans de Volodine que j'ai pu lire jusqu'au présent. Mais pour en profiter pleinement, il n'est peut-être pas inutile d'être déjà familier de l'univers du barde post-exotique, qui peut paraître aussi obscur et fantasque que le système de médailles babéliotes. Tous ses romans sont plus ou moins bardés de Bardo de façon sous-jacente, mais celui-ci nous fait entrer directement dans l'Espace Noir, et explorer ses affres en même temps que les personnages.
Selon la tradition bouddhiste, le défunt doit être accompagné pendant les sept semaines de son séjour au Bardo - dans un état entre la vie et la mort - par le lama, lui récitant les textes de "Bardo Thödol". Il sera ainsi guidé vers un reposant néant ultime, qui signifie la fin des souffrances. Si le travail est mal fait, il dévie de son trajet en prenant le chemin de la prochaine réincarnation, dans une matrice souvent peu enviable. Qui d'entre nous voudrait devenir pingouin ?
Et vous pressentez déjà que ça va barder... depuis l'ouverture par "Baroud d'honneur avant le Bardo", jusqu'à la rencontre finale au "Bar du Bardo".

Gong.
Dans une interview, Volodine disait ne pas supporter l'idée de la mort : c'est pour cela qu'elle est si souvent déclinée dans ses récits, de façon détournée et grotesque, qui permet d'exorciser ces craintes. Est-ce de l'humour noir ? Bien évidemment, mais c'est un humour noir qui n'appartient qu'à cet univers post-exotique brillamment conçu. Si la vie s'apparente à l'univers carcéral, qu'en est-il de la mort ? Une libération ? L'idée du néant, d'un Rien définitif et inaltérable, est presque aussi effrayante que l'idée même de mourir, et il n'est pas étonnant que les trépassés de Volodine se sentent quelque peu paumés et hésitants sur leur chemin vers la Claire Lumière. D'autant plus que leur mémoire est encore pleine des souvenirs terrestres. Ils sont tous dûment accompagnés, et leurs guides du passage dans l'au-delà sont pleins de bonne volonté, mais... voyez-vous, même dans la vraie vie il y a souvent une grande différence entre les choses telles qu'on les imagine, et telles qu'elles le sont vraiment. le Livre Tibétain des Morts devrait fonctionner, mais à quel point doit-on se fier à tous ces textes qui font office de loi ?

Gong.
Les sept scénarios sont tous minimalistes : un défunt et son guide à travers le Bardo, qui communiquent, ou du moins essaient d'entrer en contact dans l'Espace Noir. Mais cela suffit amplement à Volodine pour imaginer des situations aussi comiques que désespérantes. Comme d'habitude, tout foire.
Abram Schlumm alias Kominform se fait descendre dans le poulailler d'une lamaserie par une faction ennemie. le bon lama Drumbog se démène entre ses tourments gastriques, les reporters qui envahissent le poulailler et son assistant, incapable d'apporter le livre demandé. Les errances de Kominform seront donc accompagnées par un livre de cuisine : "l'Art d'accommoder les animaux morts", et par "Cadavres exquis, une anthologie surréaliste".
Glouchenko du chapitre suivant a une certaine chance, mais (un clin d'oeil à son nom) il reste sourd à la voix du lama, et continue à chercher obstinément une pile électrique.
Schmollowski, l'ancien terroriste, va sympathiser avec le banquier Dadokian, et malins comme ils sont, ils décident d'ignorer le délai des 49 jours. Après tout, c'est sympa, le Bardo, et rien n'empêche d'y rester pour l'éternité. Ah, vraiment ?! Et quand la voix du lama fait défaut, peut-être que le vieux juke-box pourri au fond d'une caverne pourrait délivrer un message fiable, le tout c'est de bien l'interpréter.
En passant par le "Micmac à la Morgue" (comment résister ?), "Le Bardo de la Méduse" interprété aux lapins et aux arbres par l'unique membre restant de l'ancienne corporation The Baba and Nyonya Theater (comment résister, bis), et autres "histoires dans l'histoire", on se dirige sans faute vers le bar du Bardo et l'affligé clown du cirque Schmühl, qui ferait tout pour que son défunt ami et collègue Grümscher trouve la voie de la Claire Lumière. A la fois triste et hilarant, comme toutes les histoires de Volodine.

Gong.
Toujours le même monde post-exotique, plein de grands idéaux et de petits moyens. On sait à peu près ce qu'on va trouver en franchissant sa porte, mais à chaque fois il nous réserve de nouvelles surprises, et nous fait retrouver des vieilles connaissances sous une autre identité... n'est ce pas, Dondog ? C'est pour cela qu'on y retourne encore et encore, avec plaisir. Excellent livre, rempli de "Cadavres exquis" cités plus haut, dont la qualité augmente encore à mes yeux par sa mise en valeur des lamas et des lamaseries. Une étoile pour chaque coup de gong.
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Sept nouvelles pour nous conter les quarante-neuf jours passés dans le Bardo, monde intermédiaire entre la mort et la vie de la tradition tibétaine.
Sept fois plongé dans une quasi-obscurité, un certain humour, à la limite de l'auto-parodie, comme fil d'Ariane pour y déployer toute sa mythologie.

Le post-exotisme volodinien est un oracle que l'on vient parfois consulter, un pilier bien esseulé d'une certaine littérature française.

Avec sa plume d'une apparente simplicité, il déploie toute sa capacité narrative et visionnaire, comme dans sa première nouvelle, où il trouve le moyen de multiplier les narrateurs, nous y incluant tous.

Il réussi toujours à évoquer, avec malice, les grands combats sociaux, dont il se sert comme glyphe pour raconter son histoire humaine, forcément emprunte de radicalité. En quelques mots et images, il y synthétise ce qu'une bibliographie complète, à force de tourner autour, n'arriverait qu'à éparpiller.

Il est le genre d'écrivain dont l'oeuvre entière est une et unique. Souvent copié, ses inspirés n'ayant toujours pas daigné lui rendre hommage en se réclamant de son mouvement d'après l'exotisme. J'avais déjà cité à ce propos Joël Casséus (« Crépuscules »); son nouveau livre, feuilleté dans une librairie « militante », s'enfonce davantage dans la parenté, mais toujours en restant de son côté, défaut quasi-patenté de celles et ceux voulant à tout prix déconstruire.

Lorsque les quarante-neuf portes d'entrée auront été ouvertes.
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On ne lit pas un nouveau Volodine comme n'importe quel autre auteur. On rentre dans un univers déjà connu, construit sur des lieux et des mythologies déjà exposés et développés dans d'autres ouvrages : Russie soviétique, Asie, communisme, révolution mondiale, bouddhisme, apocalypse. Alors, où est le plaisir, où est la surprise ? Chaque fois, l'auteur élabore une nouvelle approche, une variation nouvelle sur des thèmes connus, comme improviseraient un jazzman ou un barde à partir de récits ou de modes musicaux familiers du public. La surprise et le plaisir viennent de la reconnaissance, et nous sommes un peu comme ces enfants qui se font raconter mille fois la même histoire, jamais tout à fait la même.

Est-ce à dire que "Bardo or not bardo" n'apporte rien de neuf , d'absolument neuf ? N'ayant pas tout lu de l'auteur, je ne saurais le dire. Ce qui me frappe et m'amuse, c'est l'association et la collaboration des bouddhistes (ici, des "Bonnets Rouges Anonymes" d'obédience tibétaine marginale) et des extrémistes révolutionnaires de gauche : les deux groupes cherchent à imposer aux hommes l'égalité absolue dans la misère (ou la sobriété) et devant l'extinction du Soi dans la Lumière, après les 49 jours d'errance dans le Bardo post mortem. Bouddhistes et gauchistes sympathisent, et d'ailleurs on rencontre un Lama portant des pins d'extrême-gauche sur sa robe.

Une traversée réussie de l'âme dans le Bardo consiste à éviter la réincarnation, le retour à la condition souffrante mortelle, et le sort horrible de deux personnages, l'un réincarné en singe, l'autre en araignée (alors qu'il a la phobie des araignées), nous avertit de l'importance du Bardo Thödol, le livre des morts tibétain, sorte de guide de voyage qui doit être lu pendant les 49 jours après la mort. Mais les morts n'écoutent pas la lecture qu'on leur fait ou n'y comprennent rien, certains refusent de bouger et restent couchés pendant les 49 jours, etc ... Alors à quoi bon lire ce guide de voyage si le voyageur ne sait pas qu'il est mort, ou ne voit rien de ce qu'on lui décrit, dans cet espace noir sur noir du Bardo ? Volodine est un peu le Soulages de la littérature contemporaine, ses infinies variations sur le noir sont stupéfiantes. A quoi bon encore lire le Bardo, si cette fameuse Pure Lumière censée éviter la réincarnation, n'est jamais visible ? D'ailleurs, les personnages n'ont pas envie de disparaître et préfèrent vivre et souffrir.

Comme toujours chez Volodine, tout foire. Les monstres décrits dans le Bardo Thödol ne sont pas au rendez-vous, pas de nouvelles de la Pure Lumière (on a dû l'éteindre). Hamlet craignait, dans le célèbre monologue "To be or not to be" (d'où le titre de Volodine est tiré) de rater sa mort et sa disparition. Ici, tout rate, bien entendu, mais c'est aussi drôle que des numéros de clowns au cirque, qui ne cessent de tomber et de se faire des blagues qui tournent mal. D'ailleurs, il y a des clowns à la fin du roman (et ce n'est rien révéler).

Volodine nous fait rire de la mort et du malheur métaphysique, un peu comme Shakespeare, surnommé The Bard.
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Connaissez-vous Antoine Volodine ? Sans doute.
Drôle de personnage : Volodine est un nom d'emprunt ; jusque-là rien d'extraordinaire. Mais il publie aussi sous le nom de Lutz Bassmann et parfois sous un nom de femme : Manuela Draeger
Il écrit des livres pour enfant sous le nom d'Elli Kronauer et de Manuela Draeger.
Plus récemment il a présenté un recueil : « débrouille-toi avec ton violeur » textes enragés, violents sous une signature collective : Infernus Johannes
Il a créé un mouvement littéraire : le Post-Exotisme qui fait l'objet de colloques, de thèses.
« Son univers est fait de déserts, de steppes, de décombres de cités bétonnées par des siècles d'idéologie, un monde doté de son histoire, de sa géographie, de sa musique et de sa littérature ».
Volodine maîtrise merveilleusement l'art de se saisir de sa proie dès la première phrase de ses livres.
"Le livre traînait dans les déjections et le sang : il fallut, pour l'ouvrir, décoller au racloir la paille qui avait durci et coagulé le long des pages"
"La tortue écarta lentement une dernière brassée de lianes pourries ; le rideau s'accrochait à ses griffes"
"La boîte de conserve roulait sur le carrelage sale du couloir "
Voici l'incipit de « Bardo or not Bardo : "Les poules caquetaient tranquillement derrière le grillage, lorsque le premier coup de feu retentit."
Le Bardo est cet espace noir où, d'après le Bouddhisme Tibétain, le mort erre pendant 49 jours après son décès en allant soit vers sa réincarnation, ce qui pour les bouddhistes est la voie de l'échec, soit vers la claire lumière rompant ainsi le cycle des réincarnations.
Mais avec Volodine, le postulat n'existe que pour être détourné … Et ce, malgré les injonctions des quelques lamas tibétains qui jalonnent son livre. Humour noir et burlesque sont au rendez-vous. Les personnages ! Tous ingérables … Tueurs, mafieux, révolutionnaires, … que des fous et des sourds qui s'ignorent… car personne n'écoute personne.
Ce livre iconoclaste est ainsi très vivifiant. Jubilatoire. Et finalement très poétique. A l'image de ce Juke-box incongru de ce Bar du Bardo crépusculaire où on peut monologuer jusqu'au bout de la nuit tout en buvant un coup ! La seule rédemption du tragique reste le grotesque.

A quand le prochain ?



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Ce roman de Volodine paru en 2004 aux éditions du Seuil est sans doute un de ceux où l'humour du désastre est le plus omniprésent, depuis le premier chapitre complètement burlesque où le malheureux Kominform, égalitariste radical en bout de course, est abattu par des tueurs au milieu des volatiles d'un poulailler attenant à un monastère lamaïque. Une femme au corps d'ange assiste à la scène et commente les événements comme si elle était en direct à l'antenne d'une radio, Drumbog, un des moines est partagé entre ses problèmes intestinaux du moment et sa volonté de lire le Bardo Thödol à l'oreille de Kominform pour l'accompagner dans son avancée dans le Bardo, et enfin Strohbuch le tueur, qui est chargé par le moine d'aller chercher le livre des morts tibétains, revient, par ignorance de la langue, avec deux livres inattendus : un manuel de cuisine «L'art d'accommoder les animaux morts» et une anthologie surréaliste «Cadavres exquis».

Le Bardo est cet espace noir où selon les bouddhistes le mort erre pendant 49 jours après son décès en allant soit vers sa réincarnation, ce qui pour les bouddhistes est la voie de l'échec, soit vers la claire lumière rompant ainsi le cycle des réincarnations et entraînant la destruction de l'individualité. Pendant cette période, un lama dit au défunt le Bardo Thödol, le livre des morts tibétains, pour le guider, si possible, vers la lumière ou du moins vers une meilleure réincarnation.
Mais les morts de Volodine sont mécontents d'être prisonniers de cet espace noir, ils sont stupides, rarement clairvoyants, têtus et dans tous les cas désobéissants, absolument pas prêts à renoncer à leur individualité, à leur capacité de résister, de penser et de dire, même s'ils ne sont que des Untermensch ou des écrivains sans public.

« -Cet homme est comme sourd à ce qu'on lui serine avec patience et compassion, commente Mario Schmunck. Cet homme mort, au lieu de se préparer à rencontrer la Claire Lumière, il est en quête d'un compteur d'électricité !... Il promène ses mains sur le mur, il ne rêve que de descendre à la cave. Il s'appelle Glouchenko, il a trente-cinq ans, il a mené une vie normale… »

Il est difficile de ne pas s'égarer dans les chemins de ce «Bardo or not Bardo», car, à chaque chapitre, la narration prend un nouveau départ et que les voix des personnages, narrateurs, qui ont aussi souvent le statut d'écrivains, semblent se démultiplier et se superposer au cours du récit.

Mais pour peu qu'on accepte de cheminer dans cet espace fictionnel noir, dans ces histoires tragiques où le burlesque et le détournement de la parole sont constamment présents (il suffit de lire les titres du roman et les titres des chapitres 1, 4 et 7 pour s'en convaincre : Baroud d'honneur avant le Bardo, le Bardo de la méduse, Au bar du Bardo), on ressort (toujours plus) amoureux de la littérature post-exotique et ébahi de voir ainsi cohabiter dans un unique livre la puissance et les limites de ce que peuvent la parole et l'écriture.

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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Les pièces qui furent montées ces jours-là, en présence de coléoptères obscurs et d'arbres mouillés, appartiennent à l'ensemble des "Sept Piécettes bardiques", que Bogdan Schlumm intitule également "Le Bardo de la méduse", pour insister sur le caractère gélatineux des voix et des personnages qui s'y établissent. Ce sont des piécettes dont Bogdan Schlumm a toujours prétendu qu'elles devaient être interprétées simultanément, sur une scène susceptible d'accueillir à la fois les sept décors et les sept groupes d'acteurs. A ma connaissance, aucune compagnie théâtrale n'a joué "Le Bardo de la méduse" en respectant ces instructions extrémistes de l'auteur. De nombreuses aberrations ont été mises en scène dans le cadre du théâtre expérimental, certaines restituant avec un minimalisme nauséeux la réalité carcérale, certaines dangereuses pour les comédiens et le public, d'autres ignobles, d'autres enfin tout simplement ridicules, mais celle-là, cette aberration-là, non. Nulle part dans le camp ou dans le monde n'ont été représentées intégralement et simultanément les sept saynètes de Bogdan Schlumm. Celui-ci, pendant une période de son séjour au pavillon Zenfl, s'est ingénié à nous faire croire qu'une troupe d'amateurs de Singapour, le "Baba and Nyonya Theater", jouait régulièrement, le deuxième dimanche de chaque mois de novembre, les "Sept Piécettes bardiques" dans leur forme polyphonique la plus radicale. Selon les dires de Bogdan Schlumm, le public asiatique venait assister à ces représentations depuis Sydney, Hong Kong ou Nagasaki, avec ce même enthousiasme qui pousse les fanatiques d'opéra chinois à traverser le globe pour aller écouter l'intégrale en cinquante-cinq actes du "Pavillon aux pivoines". Renseignement pris, cette histoire de Singapour reflète surtout les désirs refoulés de Bogdan Schlumm, ses risibles songeries de gloire à grande échelle, en pleine contradiction avec ses discours hostiles au star system. En réalité, Schlumm exagérait les faits d'une manière éhontée. Le "Baba and Nyonya Theater" a donné UNE fois UNE piécette bardique, "Baroud d'honneur avant le Bardo". La salle étant restée vide jusqu'à la fin, les comédiens ont décidé d'annuler la deuxième séance, qui était programmée pour le lendemain.
p. 111
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Celui qui parle est un moine tantrique presque normal. Un lama comme on a appris à les aimer, à force d'en rencontrer à tout bout de champ dans cette histoire. Il est drapé dans une robe aux rapiéçures nombreuses, d'une tonalité globalement framboise. Il porte en travers de la poitrine une sacoche de toile indigo et diverses étoffes à la destination imprécise. De toute sa personne émane une grandeur poussiéreuse. Au premier coup d’œil, on constate que son impassibilité repose sur beaucoup d'humour, et aussi qu'elle n'est pas feinte. Il se fiche tranquillement de tout sans éprouver d'anxiété nihiliste.

p.161
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Ce mardi, ce mercredi et ce jeudi-là, ni les fanatiques du théâtre post-exotique, ni les promeneurs égarés, ni même les autres mammifères de la forêt n’assistèrent aux représentations pour lesquelles Schlumm avait fait une si tonitruante réclame.
À la décharge du public, il faut signaler que le lieu théâtral n’était accessible qu’après une longue randonnée à travers bois et que, sur les derniers kilomètres, les passages boueux se multipliaient. Le choix de cette scène marginale avait été dicté par des considérations idéologiques tout autant que par la rude timidité schizophrène de Schlumm. Personne ne l’avait questionné sur le sujet mais, si c’avait été le cas, il eût encore une fois proclamé son refus des littératures officielles et des facilités dont celles-ci bénéficiaient en échange de leur docilité. Schlumm haïssait le star system et ne souhaitait pas se faire happer par son engrenage, par exemple en se produisant dans une salle plus traditionnelle, comme le préau dans la cour du pavillon Zenfl, ou la cantine, ou les cabinets réservés au personnel soignant. De surcroît, Schlumm pensait que les profondeurs de la forêt l’autoriseraient à explorer son art sans concession, loin des snobismes et des préjugés des centres urbains, des zooparks ou des camps.
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- Le clown travaillait dans un cirque. Le cirque Schmühl. Tu connais ?
- Non.
- Il s'est suicidé, dit Freek. On l'a apporté au zoopark une heure après la fermeture des grilles. Après le départ des visiteurs, des enfants. Ils font ça. Une société d'entraide lamaïste. Il faut s'inscrire. Le clown en était membre, je suppose. C'est un service spécial. Ils obtiennent une autorisation de la municipalité... Ils entrent dans la volière avec le corps. Les funérailles célestes, ils appellent ça. Les funérailles célestes.
- Ils donnent le corps à manger aux oiseaux ? demande Yasar.
- Oh, pas en entier, précise Freek aussitôt. Ou sinon ils devraient attendre des jours en présence des vautours, des aigles, des condors. Ils ne restent pas longtemps. Les gardiens du zoopark disent que c'est surtout symbolique. Ils découpent quelques morceaux de chair sur le cadavre et ils les jettent devant les vautours. Des languettes, des tranches petites. Trois fois rien. Les rapaces ont peur. Ils ne s'approchent pas. Ils ne mangent pas n'importe quelle viande dans n'importe quelles conditions... Ils repartent avec le corps pour l'incinérer. Ils s'en vont, mais les odeurs de clown mort continuent à traîner de cage en cage. Elles sont puissantes dans la grande volière, mais pas seulement. Elles rôdent dans le zoopark pendant des heures, ça fiche la frousse à tout le monde. Si personne ne vient pour leur parler, les bêtes tremblent de peur tout la nuit ...
p. 209
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« Les poules caquetaient tranquillement derrière le grillage, à leur habitude, lorsque le premier coup de feu retentit. Certaines hochèrent la crête, d’autres suspendirent leur marche disgracieuses et figèrent au-dessus du sol une patte grisâtre ; ne se décidant pas à la reposer dans le grain et la crotte, d’autres encore continuèrent à glousser sans s’en faire. Les pistolets ne le concernaient pas. Les couteaux, oui, peut-être, mais les Makarov ou le Browning, non. Puis une deuxième détonation ébranla la quiétude de l’après-midi. Quelqu’un arriva en courant et s’effondra sur le grillage du poulailler, dont la structure mal conçue pour ce genre d’épreuve aussitôt se déforma. Les piquets fléchirent, une rangée de perchoirs se disloqua, et, cette fois l’ensemble des volailles se laissa gagner par l’hystérie, rousses et blanches, principalement, mais deux ou trois noiraudes, les poules en désordres se dispersèrent et à grands cris .Le blessé s’agrippait au tissu de fer. Il voulait à la fois avancer et rester vertical, mais il n’y réussissait guère .Il Progressait en oblique, indifférent au caquetage, préoccupe avant tout par les pas qui se rapprochaient. Car maintenant son poursuivant le rattrapait, un homme qui marchait vite, précédé par une poule qui zigzaguait sur le chemin, ventre à terre, ses moignons d’aile en émoi. le tueur rejoignit le blessé et il le considéra sans mot dire pendant un court instant, comme réfléchissant à ce qu’il faisait là devant une cible déjà touchée et même passablement bien touché, puis il lui tira dessus une troisième fois, presque sans viser, juste avant de repartir et de disparaitre. »
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Vidéo de Antoine Volodine
Rencontre animée par Pierre Benetti
Depuis plus de trente ans, Antoine Volodine et ses hétéronymes (Lutz Bassmann, Manuela Draeger ou Eli Kronauer pour ne citer qu'eux), bâtissent le “post-exotisme”, un ensemble de récits littéraires de “rêves et de prisons”, étrangers “aux traditions du monde officiel”. Cet édifice dissident comptera, comme annoncé, quarante-neuf volumes, du nombre de jours d'errance entre la mort et la réincarnation selon les bouddhistes. Vivre dans le feu est le quarante-septième opus de cette entreprise sans précédent et c'est le dernier signé par Antoine Volodine. On y suit Sam, un soldat qui va être enveloppé dans les flammes quelques fractions de seconde plus tard, quelques fractions de seconde que dure ce livre, fait de souvenirs et de rêveries. Un roman dont la beauté est forcément, nécessairement, incandescente.
À lire – Antoine Volodine, Vivre dans le feu, Seuil, 2024.
Son : Axel Bigot Lumière : Patrick Clitus Direction technique : Guillaume Parra Captation : Claire Jarlan
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