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EAN : 9782707313393
244 pages
Editions de Minuit (31/08/1990)
4.29/5   24 notes
Résumé :
Cette femme qui marche dans la nuit, un manuscrit sous le bras, le long d’une avenue déserte, a-t-elle ou non rendez-vous avec la mort ? Elle semble connaître la réponse mais que sait-elle exactement ? Toute son existence est liée à un livre, une immense anthologie dont les pages tracent le portrait d’une époque fictive – le II° siècle –, et tentent d’élucider les sombres mystères d’une société – la “ Renaissance ” – ; comme le ferait une mémoire contrainte, sous la... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Alors que l'époque pousse toujours plus au bilan, confortant l'hypothèse auto-destructive d'une Fin de la Littérature, polarisant un spectre national réduit à sa plus petite expression, partagé entre un aride libidineux aux frustrations toujours plus réactionnaires, et une pétroleuse racialiste jalousant sa boite d'allumettes, demandant à chacun d'y choisir son camp, le non-alignement apparait comme la seule voie raisonnable…

Volodine devrait s'y substituer et incarner ce chemin.
Laissons de côté l'affect et la subjectivité.
Voici une Oeuvre, initiée il y a presque quarante années, se bâtissant sous nos yeux inattentifs et fatigués, édifice aux composants bien équilibrés, dont l'élément en question y figure comme première arche — point de passage soutenant tout ce qui suivra — premier livre aux intimidantes Editions de Minuit, venant après quatre romans chez Denoël simplement étiquetés « science-fiction ».

La cohérence de cet ensemble patiemment construit est telle que l'on ne sait pas bien quoi en faire.
On lui donne parfois un prix : ici le Médicis, là le Wepler ; on écrit quelques articles ; on l'affuble de chaman ; on le regarde un peu de biais ; puis on l'oublie à nouveau.
Ce ne sera sans doute pas le dernier à être quelque peu boudé de son vivant.
Sans doute, fait-il un peu peur.

Alors que les genres littéraires ne correspondent plus qu'à des cibles visées, catégories spectrales d'une civilisation individuelle et publicitaire, Volodine se propose d'en agréger un nouveau.
Ce roman en fournit les premiers jalons.
Paradoxe, encore : ce ne sont pas des inventions, mais bien la révélation de formes anciennes auxquelles le créateur redonne vie en les réorganisant.

Un roman dont l'apparente complexité s'expliquera bien plus tard ; où certaines formes seront ré-employées, clarifiées, quand d'autres resteront à quai, parenthèse lusophile nous rappelant les talents de traducteur du bonhomme : tels « Soufre » de José Luís Peixoto, « Dribble » de Sergio Rodrigues, etc.
Un roman qui se lirait comme le premier, alors qu'on en a déjà tant parcouru, rempli des fantômes de Rosa Luxemburg et de la Bande à Baader, bien que ta mère reste sauve.

Mais réjouissons-nous : vous disposez d'encore tant de temps pour venir visiter cette cité… à défaut de l'entreprendre… encore moins de la « faire »…
À bientôt.
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«Lisbonne dernière marge», premier roman publié par Antoine Volodine aux éditions de Minuit (1990), après ses quatre premiers livres parus chez Denoël, est un récit extraordinaire et vertigineux, dont chaque lecture approfondit l'abime.

Se fondant dans la foule des touristes de Lisbonne, Ingrid Vogel, militante de la guérilla urbaine, est en fuite après le démantèlement de son groupe par le BKA, accompagnée de Kurt Wellenkind, qu'elle appelle son dogue, un policier allemand membre du "Sicherheitsgruppe" qui a organisé par amour sa disparition et son exil. Elle doit embarquer d'ici quelques jours, seule, sur un bateau en direction de l'Asie pour échapper à la police allemande, après la défaite et l'écrasement de son mouvement.

«Elle aimait Lisbonne, et pas seulement à cause de la lueur rouge qui s'y était allumée, lors de ce fameux été, pour d'ailleurs presque immédiatement se ternir et agoniser ; elle aimait Lisbonne, ses habitants des années trente l'avaient conquise, son atmosphère d'Atlantide passive, de ville méditerranéenne transplantée, condamnée, par un mauvais sort, à la non-exubérance et au remâchement anachronique des souvenirs.»

Regardant avec terreur ce qui l'attend, l'exil lointain et solitaire sous une fausse identité, la fuite vers une forme d'inexistence, et se retournant sur l'histoire du XXème siècle, elle imagine une nouvelle forme de résistance par l'écriture après le désastre de la défaite, un roman crypté pour qu'on ne puisse pas remonter jusqu'à son auteur, assemblage vertigineux d'histoires qui sont emboîtées - table des matières et récits - à l'intérieur de ce roman où la mémoire d'Ingrid et la culture de la guérilla sont transposées en littérature, une littérature hantée par la passion jusqu'au-boutiste de la lutte, l'angoisse du combattant solitaire, et par l'horreur de la propagande et de la répression.

«Rue de l'Arsenal, à Lisbonne, les potences abondent.
"Les quoi ?" demanda-t-il, s'étonna-t-il. "Qu'est-ce que tu as dit ?
- Les potences", confirma-t-elle, avec un mouvement provocant de l'épaule.
Et : J'ai toujours voulu faire démarrer ainsi mon roman, par une phrase qui les gifle. Et lui : Ton roman ? Tu as vraiment l'intention d'écrire ? Qui gifle qui ? Et elle : Qui les gifle, eux, les esclaves gras de l'Europe, et les esclaves boudinés, et les cravatés, et les patrons militarisés par l'Amérique, et les serfs du patronat, et tous ces pauvres types asservis par tous, et les sociaux-traîtres et leurs dogues, et toi aussi, mon dogue, toi aussi.»

Alors qu'elle est au bord de la folie, reflet de sa rage et de son angoisse devant la vie aux marges qui l'attend, son récit éclaté en de multiples narrateurs hétéronymes, collectif de voix qui sert à brouiller les pistes, fait surgir par fragments un monde fictif et noir, la Renaissance du IIème siècle, se situant après un désastre qui ressemble à la seconde guerre mondiale et pose cette question obsédante de la fabrique de l'histoire, tout en faisant exploser, comme autant de feux d'artifice, des visions et un imaginaire foisonnant.

«La solitude de la lune des pirates, lorsque la nuit marbrée de bleu s'engrave, étouffante et elle-même vidée de toute substance, exsangue, la solitude de la lune des pirates est infinie.»
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Dehors, l'air vibrait, bruissait, scintillait. A l'intérieur des murs, par contraste, les néons éclairaient mal des entrepôts nains où régnaient l'entassement et l'étroitesse, où trônaient les sacs ouverts et, sur les sacs, des tiroirs en équilibre, sur des fûts d'huile, des dames-jeannes. Une multitude d'épices en vrac, safran, curry et poivres de diverses qualités, corrigeaient les effluves lancinants de bacalhau, les tempéraient d'un piquant oriental. Ils burent un café au comptoir d'une pâtisserie et reprirent leurs zigzags au milieu de la foule. Avec une bonne heure et demie de retard, les bureaucrates portugais , tirés à quatre épingles, se hâtaient vers les ministères de la place du Commerce. p 14
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Il arrive que les lampadaires ne soient pas allumés, et que seule la lune consente à dispenser un peu de sa clarté sur la rue à l'abandon. Le vent chaud soulève un morceau de papier illisible, aux caractères décolorés, brouillés. L'homme s'accroupit, il se sent plus en sécurité lorsque sa cervelle se rapproche de l'asphalte ou de la terre. Presque invisible, à l'autre extrémité de la rue, la police vient également de s'accroupir. Là encore, il est impossible de dire qui a imité l'autre, si c'est la police qui a reproduit les gestes de l'homme, ou le contraire. Tout se calme, excepté cette feuille qui palpite contre une fenêtre avec des spasmes d'oiseau aveugle. Si la lune disparaissait derrière un nuage, que resterait-il ici-bas ? p 48
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"sale connard, sale, sale connard de flic" , ronchonna Ingrid. Et elle ajouta: "pour moi ce sera une açorda de mariscos, comme avant hier à Cascais. et tachons de ne pas nous assoir à coté de touristes allemands". Mais, pendant ce temps, elle pensait :

tout d'abord, ce fut seulement une révolte torrentueuse d'un petit nombre contre les riches, contre les puissants, contre les verrats et les truies de l'Atlantique nord, mais assez vite, et tandis que nous avions déjà commencé à vivre à notre rythme de clandestinité et de rapines, nous découvrîmes que l'ensemble de la chair sociale était pourri, que tout puait jusqu'à la moelle, que le corps immense de l'Occident était bon à détruire, non pas à reconstruire sur des bases plus saines mais bel et bien à détruire, et soudain nous nous aperçûmes que la fibre prolétaire sur laquelle nous avions fondé nos espoirs et nos théories, que même le tissu prolétaire était irrécupérable, et, tandis que nous nous attaquions aux grandes articulations de la guerre américaine et que nous tentions de casser les dents des grandes machineries orchestrées par le capital industriel, nous sentions cette pestilencegénéralisée rejaillir sans cesse sur nous depuis les intérieurs feutrés des maisons ou se terrait la populace, nous luttions contre l'arrogante fliquerie nord-américaine et contre les fourgueurs de napalm en Asie du sud est et contre les même fourgueurs qui, en Occident, coulaient du goudron culturel sur les paupières de tous, afin qu'elles ne s'écartent pas, et coulaient sur la pensée une poix épaisse, afin qu'elle ne fonctionne pas et ne hurle pas, mais la masse profonde et innombrable, dont nous avions au début souhaité voir le réveil, ne se réveillait pas et continuait à ruisseler de boues ordurières et à exhaler d'intenses bouffées de viande gâtée, et nous nous étions dressés en face de la porcherie occidentale et nous surgissions de ci de là avec nos ridicules pistolets mitrailleurs, nous pillions les banques du roi des banques et nous médaillions de plomb la poitrine du roi des médailles, mais nous ne pouvions nier que ce que nous devions affronter jour après jour, à chaque heure de ces jours qui ne tombaient pas, c'était surtout l'haleine fétide des populations dont nous avions proclamé haut et fort l'innocence, et, tandis que nous tapions à coups redoublés sur des objectifs militaro industriels, la population soufflait sur nous un vent de décomposition que nous avions honte de renifler, honte d’interpréter et honte de reconnaitre, et nous preferâmes alors conserver le silence entre nous sur ce désastre idéologique, chacun et chacune d'entre nous supposant qu'il ou elle avait désormais le regard obscurci par la poudre, l'âme déformée par les combats, et qu'il ou elle n'était pas le meilleur juge, et tandis que nous rédigions ensemble une explication historique globale de la bauge occidentale, nous trouvions ensemble des justifications à sa pestilence, nous pérorions sur son origine qui remontait à la guerre mondiale et au nazisme, et nous démontrions que les falsifications avaient été indispensables à la survie de chaque famille allemande et à l'équilibre mental de chaque foyer allemand après la guerre, et, bref, nous trouvions ensemble des raisons pour excuser les populations des métropoles, mais individuellement nous ne trouvions aucune excuse ni aux porchers du monde occidental ni au cochon occidental lui même, et nous commençâmes à nous cacher les uns aux autres, et les unes aux autres ces pensées qui contenaient à l'égard du peuple autant d'arrogance et de mépris que la pensée des rois de l'Atlantique Nord ou celle des rois des bombes à billes, et la nuit survenait ponctuée de sirènes de police et de rondes de jeeps américaines ou françaises, et bien que chacun de nous eût rejoint la guérilla avec un enthousiasme lugubre, sans enthousiasme était désormais le regard que nous posions sur les métropoles assoupies, et seul le caractère lugubre demeurait, chacune de nous s'enfermant désormais en elle même, ressentant fort l'impossibilité de communiquer à ses compagnes l'étendue de son désappointement, refusant même de se l'avouer, ce désappointement écœuré, de l'admettre de façon intime, refoulant avec hargne son nihilisme dans des poubelles closes de la conscience, et après la nuit filtrait le jour, suintait une solitude effroyable parmi les pourceaux, et, lorsqu'une nouvelle nuit survenait, l'aube semblait à tout jamais inaccessible
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On a en soi des raisons essentielles de dégout et on les fait taire sous une couche de détails affreusement secondaires
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Vidéo de Antoine Volodine
Rencontre animée par Pierre Benetti
Depuis plus de trente ans, Antoine Volodine et ses hétéronymes (Lutz Bassmann, Manuela Draeger ou Eli Kronauer pour ne citer qu'eux), bâtissent le “post-exotisme”, un ensemble de récits littéraires de “rêves et de prisons”, étrangers “aux traditions du monde officiel”. Cet édifice dissident comptera, comme annoncé, quarante-neuf volumes, du nombre de jours d'errance entre la mort et la réincarnation selon les bouddhistes. Vivre dans le feu est le quarante-septième opus de cette entreprise sans précédent et c'est le dernier signé par Antoine Volodine. On y suit Sam, un soldat qui va être enveloppé dans les flammes quelques fractions de seconde plus tard, quelques fractions de seconde que dure ce livre, fait de souvenirs et de rêveries. Un roman dont la beauté est forcément, nécessairement, incandescente.
À lire – Antoine Volodine, Vivre dans le feu, Seuil, 2024.
Son : Axel Bigot Lumière : Patrick Clitus Direction technique : Guillaume Parra Captation : Claire Jarlan
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