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EAN : 9782912107077
189 pages
Raisons d'agir (09/11/1999)
3.74/5   21 notes
Résumé :

Dénonciation des " violences urbaines ", quadrillage intensifié des quartiers dits sensibles, répression accrue de la délinquance des jeunes et harcèlement des sans-abri, couvre-feu et " tolérance zéro ", gonflement continu de la population carcérale, surveillance punitive des allocataires d'aides : partout en Europe se fait sentir la tentation de s'appuyer sur les institutions policières et pénitentiaires... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Emprisonnez ces pauvres que je ne saurais voir !

Dans ce bref essai, le sociologue Loïc Wacquant traite, pour résumer de manière succincte, de la politique de la « tolérance zéro », de ses origines (think thanks étasuniens), de son développement, de sa constitution (présupposés sociaux-politiques, choix politiques…) ainsi que de sa diffusion à l'extérieur et notamment en Europe par les très gauchistes travaillistes anglais et sociaux-démocrates allemands ou français.

Évidemment, comme chacun s'en doute, la tolérance zéro ne vient pas de nulle part. Pour l'auteur, les zélateurs de la tolérance zéro sont tout d'abord des individus, pour qui, se sont en premier lieu, les politiques d'aides sociales (considérées comme trop généreuses) d'assistance aux plus démunis qui sont responsables de la pauvreté (toujours actuel n'est-ce pas ?). Faisant le lien entre pauvreté et délinquance, le social rend possible le criminel.

Cela, c'était pour la main droite, de l'autre côté du désinvestissement social c'est la main gauche qui prend le relai, la carcérale, chargée du redressement et de la sanction, meilleur moyen de contenir et cadrer les populations déviantes et finalement inutiles (voire nocives) à la société. le carcéral comme palliatif à la dégénérescence de l'Etat Providence. Ce sont donc bien les classes populaires qui sont la cible de cette politique de pénalisation, mais, de manière insidieuse.

Finalement, baisse du social et hausse du carcéral sont pour Loïc Wacquant liés de manière très forte. Il faut donc voir, selon lui, ce projet comme une nouvelle vision globale de la société, où le carcéral est intimement lié à l'évolution des autres domaines d'intervention de la puissance publique, qui, comme on s'en doute, ne profitent pas de la même largesse budgétaire (celui de la Justice stagne, celui du social fond comme neige au soleil tandis que celui du carcéral explose).

L'ouvrage est aussi intéressant dans le sens où il permet de contredire par les faits plusieurs axiomes de la pensée banale. Par exemple, l'idée défendue, mais aussi, pouvant sembler aller de soi, que le taux d'incarcération suivrait la courbe du taux de criminalité. Les deux n'ont bien sûr rien à voir, ou en tout cas, il n'y a pas de lien de causalité de l'un envers l'autre.

Il est d'ailleurs amusant de constater que le développement de la politique de la tolérance zéro aux États-Unis s'est fait dans un contexte global de stagnation voire de baisse de la criminalité. Et encore, on ne parle pas du déclassement de New York dans la hiérarchie des villes les plus criminelles du pays, pourtant parangon du tout sécuritaire …

Sur la hausse des incarcérations, évidemment, il s'agit encore ici d'un choix politique. C'est l'idée de décider de criminaliser un acte qui ne l'était pas, ou, de pénaliser de manière plus forte tel ou tel acte déjà condamnable. Résultat, ¾ des emprisonnements dans les prisons américaines concernent la petite délinquance (stupéfiants, troubles à l'ordre public, petits vols…) et comme l'auteur l'écrit « des familles du sous prolétariat de couleur des villes frappés de plein fouet par la transformation conjointe du salariat et de la protection sociale ».

Ainsi, Loïc Wacquant en profite pour revenir sur la question raciale. Car, pour l'auteur, les différences de taux d'incarcération entre blancs et noirs ne résultent pas, évidemment, d'une propension plus ou moins grande au crime de manière, je ne sais pas comment dire, biologique, mais bien des politiques d'ordre discriminatoires mises en place par le pouvoir politique (ça me rappelle un documentaire qui montrait que les drogues consommées par les noirs-pauvres étaient plus sanctionnés que celles consommées par les blancs). Nonobstant ce que pouvait dire Mark Twain sur les chiffres, certains sont particulièrement évocateurs. Ainsi, les noirs, à l'époque du bouquin représentaient 13 % des consommateurs de stupéfiants (et 13 % de la population en générale) mais constituaient les ¾ des individus emprisonnés pour infraction à la législation sur les stupéfiants.

En dehors de ces brefs points susmentionnés, l'ouvrage aborde tout un tas d'autres éléments, mais je vous laisse la découverte. Sinon, l'auteur se répète un peu trop, sa thèse n'étant finalement pas, en elle-même, si épaisse que ça. Mais, la lecture de cet ouvrage n'en demeure pas moins plaisante, toujours utile pour le débat public, la réflexion personnelle et permet de bien contredire les discours creux qu'on peut entendre dans son entourage ou dans les médias sur la délinquance et le système carcéral (je peux en témoigner).
Allergiques aux jargonneux vous pouvez y aller, tout est clair et compréhensible. Un beau travail d'accessibilité.

PS : Sorte de résumé de la thèse de l'auteur trouvée dans un article scientifique en parallèle de ma lecture de l'ouvrage :
« La montée en puissance et l'exaltation de la police, des tribunaux et des prisons sont une composante à part entière de la révolution néolibérale. Dans les périodes et les régions où celle-ci progresse sans entrave, la dérégulation du marché du travail à bas salaires nécessite la réorganisation restrictive de la protection sociale pour imposer l'emploi précaire au prolétariat post-industriel. Ces deux processus, à leur tour, déclenchent l'activation et le renforcement de l'aile pénale de l'État, d'abord pour réduire et contenir les dislocations urbaines causées par la diffusion de l'insécurité sociale au bas de la hiérarchie des classes et des places, et ensuite pour rétablir la légitimité des dirigeants politiques discrédités pour avoir organisé ou acquiescé à l'impuissance du Léviathan sur les fronts social et économique. »
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Ce livre est une charge virulente contre les conséquences des politiques sociales et pénales liée au développement du conservatisme aux États Unis à partir des années 90 et ses répercussions sur les pays satellites.
Surpopulation carcérale, tous les types de délits ayant été mélangés, on se retrouve avec des cohabitations malheureuses.
Surreprésentation des populations immigrées, avec de plus une surreprésentation des populations laborieuses, l'une allant malheureusement avec l'autre.
Récupération économique de l'industrie carcérale, aussi bien exploitation de la main d'oeuvre que business privé de la construction et de la gestion des prisons.
Oui ce livre est tout ça!
Mais malheureusement que ça! Il a un peu tendance à enfoncer des portes ouvertes.
Ce constat, certes je le partage mais ce que j'attends plutôt c'est les remèdes et les solutions pour s'en sortir!
Mais là, malheureusement ce livre n'a rien à proposer.
Ça m'énerve un peu, non vraiment beaucoup....
Ces donneurs de leçon sur l'état policier, en opposition avec l'état social ....
Cet état qui devient paternaliste .... Je traduis ce que j'ai cru comprendre "je donne mais le moins possible et il faut rentrer dans le moule .... Je contrôle ce que tu fais ou ne fais pas et tu dois respecter les règles que je décide ...."
On arrive à quoi avec ces théories ....aux élections de 2002 en France eh oui, la droite ou la peste brune, on a le choix!
Est ce là que mènent ces théories fumeuses sur la politique sécuritaire qui a coupé le peuple de ses intellectuels .... Bah c'est pas bien de faire l'apologie du respect de règles de vie ensemble ..... Si tout s'explique par la désespérance sociale, mais alors pourquoi toutes les couches populaires ne sont pas devenues des voyous? .... Il y a des bornes à ne pas dépasser, le respect de l'autre en est un!
Je crois voir dans ce livre, l'arbitraire intellectuel qui nous empêche au nom de valeur morale, de dénoncer des dérives inadmissibles : l'incivilité est insupportable, et il faut tout faire pour apprendre à tous le respect!
Je te respecte et tu me respectes!
C'est la seule façon de pouvoir commencer à vivre ensemble.
Et je préfère voir des commissariats à chaque croisement plutôt que de voir des zones de non droit s'installer.
J'ai honte quand je lis "Là où on a renoncé à mettre des emplois, on mettra désormais des commissariats, en attendant sans doute de bâtir des prisons."
J'ai honte que l'on puisse accepter l'idée qu'un commissariat ne sert qu'à faire de la répression! Notre responsabilité n'est elle pas d'obliger la police a avoir un comportement respectueux envers tous les citoyens et éducatif pour le vivre ensemble!
J'ai honte que l'on transforme
Un "Que la police se mette au service des habitants, que l'école soit le lieu de vie d'un quartier, que la lutte contre la délinquance devienne aussi l'affaire des habitants, et l'on voit poindre un autre horizon dans la cité"
En "une gestion policière et carcérale de la misère".
Culpabilisons le gouvernement de gauche qui a identifié un problème de société et n'a pas su le régler. le résultat a été 5 ans de montée du populisme, puis à 5 ans de dérive droitière et
de politique spectacle!
On peut continuer à tirer sur notre gauche molle, et nous continuerons à ouvrir les portes à un matin brun!
Prenons le temps de réfléchir à la société que nous voulons et essayons de trouver le chemin étroit qui devrait nous permettre d'y arriver, en posant les bonnes questions, en ne se cachant pas derrière des y'a qu'à ou des faut qu'on, il y a urgence.
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
On sait, depuis les travaux pionniers de Georg Rusche et Otto Kirscheimer, confirmés par une quarantaine d'études empiriques dans une dizaine de sociétés capitalistes, qu'il existe une corrélation étroite et positive entre la détérioration du marché du travail et la montée des effectifs emprisonnés – alors qu'il n'existe aucun lien avéré entre taux de criminalité et taux d'incarcération. Toutes les recherches disponibles sur les sanctions judiciaires selon les caractéristiques des justiciables dans les pays européens concourent en outre à indiquer que la chômage et la précarité professionnelle sont, comme aux États-Unis, sévèrement jugés par les tribunaux au niveau individuel. Il en résulte, à crime ou délit égal, une « sur-condamnation » à la prison ferme des individus marginalisés sur le marché du travail. Non seulement être privé d'emploi augmente à peu près partout la probabilité d'être placé en détention préventive, et pour des durées plus longues, mais encore, pour un même type d'infraction, un condamné sans travail est plus fréquemment mis sous les verrous, plutôt que puni par une peine avec sursis ou par une amende. (Aux États-Unis, une enquête suggère que le fait d'être sans emploi est encore plus pénalisant au stade de la détermination de la peine que celui d'être noir). Enfin, l'absence ou la faiblesse de l'insertion professionnelle du détenu rallonge la durée de l'incarcération en diminuant ses chances de bénéficier d'une réduction de peine ou d'une libération conditionnelle ou anticipée.
« L'amende est bourgeoise et petite-bourgeoise, l'emprisonnement avec sursis est populaire, l'emprisonnement ferme est sous-prolétarien » : la célèbre formule de Bruno Aubusson de Cavarlay résumant le fonctionnement de la justice française entre 1952 et 1978 est encore plus vraie à l'ère du chômage de masse et du creusement des inégalités sociales. Ainsi, la moitié des personnes incarcérées en France au cours de l'année 1998 avaient un niveau d'éducation primaire (contre 3% qui avaient fait des études universitaires) et on peut estimer qu'entre le tiers et la moitié d'entre elles étaient dépourvues d'emploi à la veille de leur mise sous écrous ; en outre, un prisonnier sur six se trouvait sans domicile fixe.
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Mais, dans ce domaine comme dans bien d'autres depuis la dénonciation du contrat social fordiste-keynésien, le secteur privé apporte une contribution décisive à la conception et à la réalisation de la « politique publique ». De fait, le rôle éminent qui incombe aux think tanks néo-conservateurs dans la constitution puis l'internationalisation de la nouvelle doxa punitive mettent en exergue les liens organiques, tant idéologiques que pratiques, entre le dépérissement du secteur social de l’État et le déploiement de son bras pénal. En effet, les institutions de conseil qui, sur les deux rives de l'Atlantique, ont préparé l'avènement du « libéralisme réel » sous Ronald Reagan et Margaret Thatcher par un patient travail de sape intellectuelle des notions et des politiques keynésiennes sur le front économique et social entre 1975 et 1985 ont également, avec une décennie de décalage, alimenté les élites politiques et médiatiques en concepts, principes et mesures à même de justifier et d'accélérer le renforcement de l'appareil pénal. Les mêmes – pays, partis, politiciens et professeurs – qui hier militaient, avec le succès insolent que l'on peut constater des deux côtés de l'Atlantique, en faveur du « moins d’État » pour ce qui relève des privilèges du capital et de l'utilisation de la main-d’œuvre, exigent aujourd'hui avec tout autant d'ardeur « plus d’État » pour masquer et contenir les conséquences sociales délétères, dans les régions inférieures de l'espace social, de la dérégulation du salariat et la détérioration de la protection sociale.
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Videos de Loïc Wacquant (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Loïc Wacquant
La boxe, un sport d'hommes ? Un sport en déclin ? Sur Mediapart, “La boxe n'est pas qu'un sport de combat” une discussion qui balaie les idées reçues. Avec la vice-championne olympique Sarah Ouhramoune et le sociologue Loïc Wacquant, auteur de “Voyage au pays des boxeurs” (Editions La Découverte ) https://mdpt.fr/3ROQe1J
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