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Critique de Soleney


Après l’accident qui a causé la mort de sa mère quand elle n’avait que cinq ans, la petite Dina est délaissée par son père et devient un véritable « oiseau sauvage », sans éducation. En grandissant, rien ni personne ne peut lui dicter sa conduite : elle fait ce qu’elle veut quand elle veut. Mais elle a beau être un véritable garçon manqué, elle marque les hommes par sa sensualité, et elle est loin d’être aussi insensible qu’elle le paraît.

C’est une histoire qui, malgré le fait qu’elle soit chronologique, est assez décousue. L’auteure s’attarde très longtemps sur des éléments du quotidien, puis fait des ellipses de plusieurs mois, ne faisant durer les saisons que le temps d’une phrase. Et parfois, elle donne la parole à son protagoniste dans quelques paragraphes en italique. Ce sont les passages les plus étranges et les plus touchants du livre. Dina ne s’exprime que de manière abstraite et imagée, elle est donc assez difficile à comprendre. Pour vous donner une idée, elle parle régulièrement de ses pieds qui s’enracinent dans la terre, de la lourdeur des âmes qu’elle porte, d’un poisson qui nage dans son ventre. Quand on ne connaît pas un peu le personnage, ça ne veut rien dire.
Elle vit dans un monde surnaturel, et c’est la preuve de sa sensibilité, car elle a une âme poétique. Mais elle est aussi un peu morbide, car elle est hantée par les fantômes de « ses » morts .
Je me suis donc longtemps demandée si Dina Grønelv était folle. Je pense qu’elle l’est – dans le sens où elle est atypique et où personne ne peut vraiment la comprendre. Peut-être qu’elle fantasme ces fantômes, qu’ils ne seraient que des projections de son esprit – des hallucinations. Mais un passage dans la première partie me fait douter.

Par moment, le roman lui-même rejoint le point de vue de son héroïne et glisse vers le surnaturel. Pour exemple, cette scène romantique où Dina croise, lors d’un dîner, un jeune homme qui lui plaît. Les deux se font la cour : « Elle rassembla ses deux iris sur sa fourchette et les mit dans sa bouche. Passa sa langue dessus. Doucement. Ils avaient un goût salé. Il ne fallait ni les avaler ni les mâcher. Elle les laissa tranquillement rouler sous son palais avant de les caresser du bout de la langue. Puis elle les rassembla dans un coin de sa bouche, ouvrit les lèvres et les relâcha.
Il mâchait tranquillement et avec un visible plaisir quand ses yeux reprirent leur place. Son visage était haut en couleur. Comme si leur plaisir commun se reflétait sur sa peau. Ses yeux reprenaient leur place. Et clignaient vers elle ! »
J’ai lu ce passage trois fois, chaque fois toujours plus stupéfaite. Normal, hein, moi aussi je bouffe les yeux des jeunes hommes qui me draguent… (À bon entendeur.)
Bon, évidemment, c’est un passage entièrement allégorique. Mais il est coincé entre deux scènes réalistes et nous prend par surprise.

Ce n’est pas pour l’aventure et les rebondissements que vous devez ouvrir ce livre, car l’auteure détaille surtout le quotidien des personnages. Cela aurait pu être très ennuyeux si elle ne se servait pas des événements pour dévoiler une partie de la personnalité de Dina – en particulier quand elle est jeune et que rien ne peut lui faire obstacle. Car petite Dina ne connaît aucune convenance sociale. Le regard des autres l’indiffère au plus haut point, elle est habituée à faire ce qu’elle veut. Elle est même capable des pires extrémités.
Quand elle grandit, c’est différent. C’est au moment de devenir la maîtresse de Reinsnes qu’elle change : elle a des responsabilités, des devoirs, c’est tout un petit monde qui dépend d’elle et de ses décisions. Ça la fait murir, et même si elle continue à fumer la pipe et à monter à cheval en pantalon, elle apprend à vivre en société. Malheureusement.

Les deux premiers livres étaient passionnants et choquants. Le dernier s’enlise. Dina, devenue presque « normale » a perdu de son pétillant et ne m’a plus surprise. Ce n’est que mon avis, évidemment, mais j’ai nettement préféré Les Limons vides, où on apprend dès le début que Dina va tuer son mari, et où le lecteur « mène l’enquête » pour savoir comment, et surtout pourquoi. Car, contrairement à ce qu’on pourrait croire, la jeune fille est attachée à ce mari plus vieux d’une trentaine d’années. Les Vivants aussi était intéressant car il apporte encore du nouveau, notamment au niveau des personnages.
En revanche, je me suis forcée pour terminer Mon bien-aimé est à moi. Il ne s’y passe rien (comme dans les deux autres, certes, mais ceux-là ont le mérite de nous faire découvrir le personnage principal). J’ai été déçue de voir que l’héroïne s’est « domestiquée ».
Cependant, elle garde toujours un fond assez égoïste. Elle piétine les sentiments de Tomas, un garçon d'écurie qui l’aime depuis l’enfance, se sert de lui pour prendre du plaisir de temps en temps, mais le rabaisse dès qu’il lui en laisse l'occasion. Encore une fois, fait-elle exprès pour l’asservir à sa volonté, ou est-ce son habitude de faire ce qu’elle veut ?
Question sans réponse.
Mais finalement, même l'auteure a un point de vue ironique et presque cruel sur lui, et le décrit comme étant « un chien bien dressé ». Et en effet, il subit les caprices de sa maîtresse sans une plainte, se tuant à la tâche dans l'espoir d'avoir un mot, un geste de remerciement. Un sourire, pourquoi pas. Si Tomas avait été un animal, il aurait effectivement été un chien. Le comportement de Dina envers lui me faisait d'autant plus serrer les dents.

La façon de parler des personnages est… presque désagréable. La traduction a fait le choix de leur faire avaler les voyelles, et on a l’impression que ce sont des paysans qui parlent. Pour Dina, je peux le comprendre (n’ayant pas reçu d’éducation), mais certains autres sont supposés être de la bonne société, et je n’ai pas compris ce choix.

Si j’ai mis seulement trois étoiles à ce livre, c’est uniquement à cause de la fin.
En relisant le passage plusieurs fois, je crois avoir une explication.
Le plus drôle, c’est que cette Dina est une fervente croyante – héritage de sa mère, qui ne lui a laissé qu’une Bible en mourant. À tel point que tous les chapitres commencent avec une citation biblique. C’est totalement contradictoire avec tout ce qui la constitue : les fantômes ne sont pas censés revenir sur Terre, ils vont au Ciel ou en Enfer ; on se doit d’être charitable envers les autres et ne pas les utiliser à ses propres fins ; on doit bien s’occuper de ses enfants et les élever dans la foi catholique, etc., etc.

Inclassable est ce roman. Ce n’est pas une fresque familiale, car on suit un seul personnage tout au long de sa vie. Ce n’est pas un roman d’amour, malgré les nombreuses aventures de la jeune femme. Ce n’est pas non plus un roman fantastique, bien qu’il y ait beaucoup d’événements étranges. Ce n’est toujours pas un roman sur la mort, malgré l’apparition récurrente des fantômes.
C’est le livre de Dina, un point c’est tout.
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