L'INSTANT D'AIMER
Pour ma femme
Est-ce le vent
que tu entends
à l'angle de ces rues
où le rire des marins
a gout de saumure et de songe
Est-ce le temps
que tu retiens
au bord de ces rires
où le corps des amants
fait ravage sous la toile du ciel
Est-ce toi
Est-ce moi
cette foule étrange
cette fête lointaine
cet ailleurs
cette extrême tension
de la mer et du blé
de la nuit et du jour.
À toute heure
cette absence
cette présence
Où sommes-nous
Quel jour reste à naître ?
p.23
CLAIR-OBSCUR
Non, morte, ma morte,
tu n'es pas mangée sous la terre.
Tu m'appartiens, à peine plus pesante
qu'un souffle d'oiseau sur la neige
Ton souvenir me frôle — je n'y vois rien
et pourtant te voici
toi qui habites ma nuit
et tu respires un air plus vaste que la terre
tes yeux ont repris leur couleur de lilas tranquilles
ta marche redevient dansante
le ciel s'aventure à redresser les traits de ton sourire
Non,
ceci n'est qu'une bulle et fausse mort
une mort très vivante
qui ne nous quittera plus.
p.16
MIROIR
Prendre un fragment de silence
Le déposer sur les marches du temple
Repartir
Se dissoudre
Effacer toute trace
Renaître enfin
Nu sous les braises du poème.
p.29
L'INSTANT D'AIMER
Le bonheur,
mince comme l'est ton visage
ne craint pas de laisser
tomber les pierres sur la fontaine
emplie d'oiseaux.
Le veilleur garde les yeux ouverts
Les héros traversent la nuit écroulée de sable
L'éclaireur protège ce cœur
où l'homme vivant
s'échappe et rit.
Regard, cœur, visage,
Je signe ici votre inventaire
et me détourne de la nuit.
p.20
L'INSTANT D'AIMER
Les chevaux indécis qui traversent les songes
ont pour toi ces yeux surpris d'hommes fiévreux
et les guerres et la paix et les pires mensonges
sont le miel de l'enfer si je garde tes yeux
Si je garde tes yeux au fond de leur contrée,
c'est le feu qui mourra de t'avoir trop aimée
c'est le temps qui verra ses miroirs dérobés
Si je garde tes yeux au fond de leur contrée,
nul besoin d'inventaire ni de gestes tronqués
C'est le jour en otage quand la nuit devient bleue
C'est l'amour en orage quand tu ouvres les yeux.
p.22