« Il suffit d'écraser un hérisson avec un petit dossard pour faire une millième anecdote improbable à raconter. Sauf que maintenant, ces histoires,
Pierre Wazem s'en fiche. Il n'a plus aucune envie de raconter quoi que ce soit. Il y a bien ce fameux projet qui traîne, Mars aller-retour, mais à quoi bon ? Il y a tellement d'excuses pour ne pas s'y mettre : les soucis d'argent, les soucis avec sa femme et ses enfants, les soucis avec ces autres femmes que la sienne, les soucis avec ses collègues dessinateurs qui dessinent sans dépasser, les soucis avec les chats de son père, les soucis avec sa mère qui a une tête de souris…
Acculé par la réalité, il s'enfonce dans la forêt, espérant y trouver un peu de calme et d'isolement. C'est là, sous le plancher d'une vieille cabane en bois qu'il va trouver Mars. Un déclic, comme une autoroute devant lui : reprendre ce projet de bande dessinée, le temps d'un voyage éprouvant mais nécessaire, sur une planète où tout et n'importe quoi semble s'être donné rendez-vous.
Pierre Wazem revient comme auteur complet après cinq ans d'absence pour livrer un album qu'il qualifie lui-même de sorte d'autobiographie mélancolique autocritique, auto-apitoyée, auto-flagellante, un genre de salon de l'auto » (synopsis éditeur).
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« Ceux qui ne savent raconter que la vérité ne méritent pas qu'on les écoute » :
Cette citation du grand-père de
Jonas Jonasson nous accueillait dans
le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire… Elle nous accueille de nouveau dans Mars aller-retour. D'ailleurs, je n'ai pas su déceler à quels moments la réalité prenait les chemins de traverse. Bien sûr, nous ne sommes pas dupes quant à la nature de certains éléments narratifs comme la présence d'un hérisson vêtu d'un dossard (numéro 16 !?) ou le fait de rejoindre Mars grâce à une vieille bicoque en bois. Mais dans l'ensemble, le fait que la frontière entre le rêve et la réalité soit si poreuse rend ce voyage atypique.
Cet album confronte le lecteur à un récit intimiste, à une mise en abyme de l'auteur. Ce dernier fait face à une importante crise existentielle… la « crise de la quarantaine » certainement. On pourrait représenter sa vie à l'aide d'une pelote de laine pleine de noeuds. Il est déprimé, en manque de reconnaissance professionnelle et en quête de repères personnels (crise de son couple, adultère…). Enfin, il questionne également sa place de fils et sa place de père :
" J'aimerais traverser cette pièce sans rien toucher. Sans rien casser. Sans rien abîmer. Parce que j'ai l'impression qu'il n'y a que ça que je suis capable de faire : abîmer ce que je devrais chérir ".
C'est autour d'une question centrale (la création artistique) que
Pierre Wazem tente d'y voir plus clair. On voit l'homme en proie à ses propres démons ; tétanisé par sa panne d'inspiration, il ne parvient plus à trouver l'envie d'écrire. Conséquence directe : l'absence de contrat l'enlise dans des difficultés financières et il devient le spectateur de sa propre vie. Recroquevillé dans ce fatras de problématiques, un projet d'album vivote tant bien que mal.
Wazem lui a déjà donné un titre depuis bien longtemps : Mars aller-retour. Reste à trouver la mobilisation nécessaire.
A l'instar de son état d'esprit mélancolique, les bruns, les kakis et les bleus imposent l'atmosphère sombre d'un quotidien qui ne parvient plus à lui apporter satisfaction.
Pour pallier à ce statu-quo,
Wazem s'enferme finalement dans une bulle créative. La métaphore est utilisée au sens propre comme au sens figuré puisqu'il va jusqu'au point d'imaginer que son personnage effectue physiquement le voyage sur la planète rouge. le dépaysement est de taille, la remise en question est en premier lieu personnelle… la prise de recul aidera à la réorganisation professionnelle. La modification de l'environnement géographique (paysages désertiques, ambiances ocrées, événements climatiques inconnus…) semble matérialiser le repli sur soi et l'isolement extrême, comme si la solitude était nécessaire à l'auteur pour retrouver l'inspiration et l'envie d'écrire.
Au passage,
Wazem n'hésite pas à faire le point sur ses relations privées et professionnelles : sa perception du couple, son environnement professionnel. Les noms des protagonistes ont été changé mais la modification est très artificielle dans certains cas (par exemple :
Tom Tirabosco devient ” Tim “). Cela m'a permis de reconnaître dans le personnage de ” Fritz ” un certain
Frederik Peeters que
Wazem arrange à sa sauce. Ainsi, le dernier album de Fritz – Hippopotame – serait en compétition avec un album de
Wazem à l'occasion d'un Festival International de Bande dessinée. Retour en arrière puisqu'en 2009,
Pachyderme a effectivement été nominé pour le Prix du Jury Oecuménique de la Bande dessinée… la compétition récompensera
La fin du monde (
Pierre Wazem et
Tom Tirabosco).
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