Parfois, le livre choisi, malicieux, aime à surprendre, à jouer des tours ...
Ici, dans cette édition bilingue de "The white Devil" de John Webster, la traduction, l'introduction et les notes ont, dans ma lecture, très vite pris le pas sur le texte de la pièce, dont je m'étais pourtant régalé à l'avance, et à laquelle je n'ai finalement trouvé de véritable intérêt que dans son style.
La pièce ne s'amorce qu'à la 76ème page.
Auparavant Robert Merle, encore professeur d'anglais à la faculté de Rennes, de Caen ou de Rouen, à moins que ce ne soit à celle de Toulouse ou d'Alger, nous convie à un cours magistral et passionnant que l'on peut trouver retranscrit dans les premières pages de ce volume.
Si l'on sait peu de choses sur la vie de Webster, on connaît un peu mieux son caractère.
On suppose qu'il naquit entre 1570 et 1580 et qu'il mourut entre 1625 et 1634.
Il était membre de la corporation des marchands-tailleurs.
On sait qu'il écrivit, en collaboration avec d'autres auteurs, un certain nombre de comédies et de drames.
"Webster n'eut du talent que pendant cinq ans, de 1611 à 1616" nous dit Robert Merle.
Il écrivit seul "The white devil" en 1612.
On sait que la pièce fut représentée au "Phoenix" devant un public clairsemé et peu compréhensif.
On ignore quel fut le succès de la pièce.
"Le démon blanc" raconte une histoire vraie, une sombre histoire de meurtre et de passion qui avait secoué l'Italie quelques années auparavant.
Cette histoire, aux détours multiples, est celle d'une vengeance : Le duc de Brachiano avait donné l'ordre de tuer la duchesse Isabella qui était sa femme et Camillo qui était le mari de la belle Vittoria dont il était amoureux.
Vittoria, Flamineo et Marcello, innocents témoins du crime, sont alors arrêtés sur ordre de Francisco de Medicis.
Vittoria se défend avec courage.
N'arrivant pas à prouver sa complicité, mais établissant ses relations coupables avec Brachiano, ses accusateurs la condamnent à être enfermée avec Zanche la mauresque dans une maison de filles repenties ...
Robert Merle analyse, explique et replace, avec talent, la pièce dans son contexte.
La leçon de littérature anglaise est passionnante
Et le cours terminé, le rideau se lève sur un élégant morceau de scène ...
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Dans le décor d'une rue à Rome, entrent sur scène le comte Lodovico, Antonelli et Gasparo.
Lod .- Banni !
Ant .- J'ai été très peiné d'apprendre votre condamnation.
Lod .- Ah ! Ah ! Ce sont tes dieux, ô Démocrite, qui gouvernent le monde entier.
Récompense et punition vraiment royales !
La fortune n'est qu'une catin.
Ce qu'elle donne jamais, elle le distribue par petits paquets, afin de tout reprendre d'un seul coup.
Voilà ce que c'est que d'avoir des ennemis puissants.
Que dieu le leur rende !
Les loups ne font figure de loups que lorsqu'ils sont affamés ....
MONTICELSO : Oh ! mon seigneur,
Une fois vidées ses innombrables coupes, l'ivrogne
S'arrête et redevient sobre ; de même, à la longue,
Lorsque vous vous réveillerez de ce rêve lascif,
Le repentir viendra ; comme chez la vipère,
Le poison est dans la queue. Malheureux les princes
Lorsque la Fortune fane une seule petite fleur
De leurs lourdes couronnes ; ou lorsqu'elle arrache
Une seule perle à leur sceptre : mais lorsque, hélas ! ils perdent
Leur réputation dans un naufrage volontaire,
Leur nom et les titres princiers vont à la mer.
Acte II, Scène 1.
Cet Elizabéthain n'aimait pas les drames élisabéthains.
Si ce n'eût été jeter des perles à des pourceaux, il eût aimé écrire des tragédies imitées de l'Antique, conformes aux règles, et comportant de nobles personnages, un style soutenu, un choeur, et des messagers.
Paradoxe nullement rare que celui d'un créateur chérissant une esthétique en opposition profonde avec son talent ...
Lodovico .- Quelle étrange créature est un niais qui rit ! Comme si l'homme n'avait été créé que pour montrer ses dents.
Flamineo .- Laisse moi te dire, il serait bon, au lieu d'un miroir, de faire sa toilette le matin en se regardant dans une soucoupe pleine du sang congelé d'une sorcière.
Lodovico .- Inestimable drôle ! Nous ne nous quitterons jamais ...
Il n'est rien qui soit pour un homme plus infinie torture que ses propres pensées.