La Guerre des Mondes, c'est d'abord un texte fondateur de la science-fiction. Ce sont ensuite des films mondialement connus, surtout ceux réalisés par Byron Haskin en 1953 et
Steven Spielberg en 2005 ; le même Spielberg qui, des années auparavant, avait brisé l'image cinématographique d'extraterrestres forcément mauvais en les présentant sous un aspect moins belliqueux à travers deux films : Rencontre du Troisième Type et E.T. Enfin,
La Guerre des Mondes renvoie au coup de maître du jeune Orson Welles qui, en 1938, en offrit une version radiophonique mémorable.
Il s'agit surtout d'un roman dystopique, écrit à l'époque victorienne, une époque où la littérature peut s'avérer particulièrement oppressante, voire angoissante, dans un empire britannique sur lequel le soleil ne se couche jamais. Dans deux registres distincts,
Les Hauts de Hurlevent, d'
Emily Brontë, ou
Dracula, de
Bram Stoker, attestent ce climat d'angoisse.
Angoisse prémonitoire, en ce qui concerne
La Guerre des Mondes, et qui deviendra une réalité à travers les deux guerres mondiales à venir, particulièrement la Seconde, lorsque Londres sera effectivement bombardée par les Allemands en lieu et place de Martiens, pendant le Blitz, c'est-à-dire le bombardement systématique de la capitale anglaise. de ce point de vue, ces passages sont édifiants : « Toute la ville semblait me regarder avec des yeux de spectre. Les fenêtres des maisons blanches étaient des orbites vides dans des crânes, et mon imagination m'entourait de mille ennemis silencieux. » Même si la volonté de renaître prend le dessus : « À la soudaine et impitoyable destruction qui avait menacé tout cela, quand je compris nettement que la menace n'avait pas été accomplie, que de nouveau les hommes allaient parcourir ces rues et que cette vaste cité morte, qui m'était si chère, retrouverait sa vie et sa richesse, je ressentis une émotion telle que je me mis à pleurer. »
Mais, au-delà des destructions,
H. G. Wells décrit un effondrement moral. de ce le chapitre XVI, « La panique », est à ce propos édifiant, où s'exprime violemment l'individualisme, parmi des foules agressives, des pillards, voire des meurtriers. La nature humaine est soudain rendue à ses instincts les plus sauvages dès lors que la société ordonnée et rassurante s'effondre : « Des coups de revolver furent tirés, des gens furent poignardés. […] La grand-route était un flot bouillonnant de gens, un torrent d'êtres humains s'élançant vers le nord, pressés les uns contre les autres. » La folie gagne aussi ce monde en plein chaos, folie incarnée par le personnage du vicaire, « accessible à aucune raison ».
En filigrane, se profile aussi la critique de la société anglaise de la fin du XIXe siècle : « Avant de les [les Martiens] juger trop sévèrement, il faut nous remettre en mémoire quelles entières et barbares destructions furent accomplies par notre propre race. Non seulement sur des espèces animales, comme le bison et le dodo, mais sur les races humaines inferieures. » Pour cette dernière remarque, rappelons que Wells est un homme de son temps et qu'il a donc une vision ethnocentrique du monde. Pour autant, l'auteur était anticolonialiste.
Dans son roman, Wells développe aussi son goût pour l'eugénisme, par la voix du personnage de l'artilleur, qui prépare théoriquement le monde de demain, comme il l'explique au narrateur : « Il ne nous faut ni incapables ni imbéciles. La vie est redevenue réelle, et les inutiles, les encombrants, les malfaisants succomberont. Ils devraient mourir, oui, ils devraient mourir de bonne volonté. Après tout, il y a une sorte de déloyauté à s'obstiner à vivre pour gâter la race. »
On peut donc avoir plusieurs lectures du roman, indiscutablement prodigieux, de Wells. Mais il serait stupide, comme le font certains imbéciles ignares de nos jours, de calquer notre société sur celle de l'auteur. Un auteur qui préconisait la fin des armes et l'éducation pour tous, par ailleurs. Ce qui, au moment où j'écris ces lignes, revêt un sens particulier puisque je viens d'apprendre qu'un énième tueur de masse, âgé de dix-huit ans, a massacré plusieurs enfants dans une école du Texas. Avec de l'éducation et sans arme, il n'aurait peut-être pas commis cette abomination. Ceci est un autre débat…
(Pour ce qui est de la présente édition, c'est un plaisir de voir ressusciter ces volumes d'autrefois qui faisaient du livre un objet de valeur et non un mouchoir jetable !)