- A-t-elle semblé de meilleure humeur depuis ?
- Elle va bien, je crois (à part un peu d'automutilation, des mélopées sans queue ni tête et la création de sa propre bande de cinglé).
Le prince se glissa à travers la meurtrière, prit la princesse entre ses bras et l'éveilla d'un baiser. Redescendre et repasser devant le dragon ne présentait aucun intérêt, car il s'agissait d'un rêve et non d'un film ou même d'un conte de fées. Tout se terminait par un baiser - une fin heureuse et classique. A l'exception d'un détail.
Le prince était moche.
- Je pars.
Elle embrassa très vite Peris, puis passa une jambe pas dessus la rambarde
- Tally ! (Il lui agrippa la main) Tu risques d'y rester ! Je ne veux pas te perdre…
Elle se dégagea violemment, et Peris recula, pris de peur. Les Pretties n'aimaient pas les conflits. Les Pretties ne couraient pas de risques. Les Pretties ne disaient jamais non.
Tally avait cessé d'être Pretty.
- Tu m'as déjà perdue, dit-elle.
Et, empoignant sa planche, elle se jeta dans le vide. »
Elle eut la chair de poule devant les imperfections, les touffes éparses de barbe, les dents non corrigées, les éruptions du front. Elle voulut s'écarter, mettre de la distance entre elle et cette mocheté triste, crasseuse.
Un nom lui revint pourtant...
- Croy ? fit-elle.
Il existait une catégorie de grands Pretties qui souriaient en toutes occasions : sourire joyeux, sourire déçu, sourire tu-vas-avoir-de-gros-ennuis...
Rappelez-vous que les plus belles choses de ce monde sont les plus inutiles.
Chacun en ce bas monde était conditionné par son lieu de naissance, engoncé dans ses croyances, mais on devait au moins tenter de penser par soi-même. Sans quoi, autant vivre dans une réserve, et adorer une bande de dieux foireux.
L'humanité est une maladie, un cancer de l'organisme planétaire.
-Mais nous sommes meilleurs aujourd'hui qu'autrefois. Ils ont peut-être de bonnes raisons de nous transformer, Tally.
-Leurs raisons n'ont aucune valeur si je n'ai pas le choix, Peris. Et ils ne
laissent aucun choix à personne.
-Pourquoi suis-je malheureuse ? répéta Tally. Parce que la ville fait de toi ce qu'elle veut que tu sois, Peris. Et je veux être moi-même. Voilà pourquoi.