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Critique de Presence


Ce tome comprend une histoire originale parue en 2010 sur un scénario de Daren White avec des illustrations d'Eddie Campbell.

L'histoire met en scène un auteur de pièce de théâtre dénommé uniquement sous l'appellation de "Dramaturge". Elle se décompose en 10 scènes. Dans la première intitulée "Dans le bus", l'écrivain est assis dans un bus et il contemple une jeune femme assise non loin de lui dont le chemisier est légèrement serré. Il la catalogue comme matériau de référence pour l'une de ses futures pièces, ou autre écrit. Il s'invente une fantaisie sexuelle ayant pour thème sa poitrine et il se souvient d'une de ses précédentes conquêtes, de sa tentative d'avoir recours à une professionnelle, Puis il rentre prendre un thé dans la maison dans laquelle il loue une chambre au vieux propriétaire.

Dans le deuxième chapitre "En ligne", il surfe sur internet de page d'accueil en page d'accueil de site à caractère pornographique. Il dîne avec son agent littéraire et s'invente une liaison et une vie avec elle. Puis il repense à son frère attardé mental.

Chacun des chapitres (plus ou moins court) suit l'écrivain dans un des moments de sa vie quotidienne et fait partager au lecteur le ou les souvenirs qui remontent à la surface de sa conscience à ce moment là. Ce récit intimiste est raconté d'une façon très particulière. Il y a d'abord le format de cette bande dessinée : un format paysage, chaque page étant composée de 3 cases comme un strip d'un quotidien, sans phylactères. Chaque page se compose de cases peintes à l'aquarelle avec une phrase au dessus de chaque case. Il ya ensuite la forme narrative : le texte est raconté par un narrateur omniscient qui parle de l'écrivain comme d'une tierce personne en évoquant les faits, mais aussi les sentiments du personnage. Enfin il y a les thèmes abordés : l'acte de création (sujet périphérique, mais activité au centre de la vie de l'écrivain), le vieillissement (l'écrivain semble avoir une bonne quarantaine au début de l'histoire, une petite soixantaine à la fin) et des questionnements existentiels (la relation à l'autre, l'empathie, le sentiment éprouvé pour autrui, les liens familiaux, la sourde peur de l'autre, l'altérité).

À l'énoncé de ces thèmes, on peut craindre la bande dessinée à thèse ou le drame existentialiste lourdaud et pesant. À la lecture, on est étonné par la légèreté de l'histoire, son caractère éthéré, évanescent, passager, dépourvu de toute culpabilité, apaisé et serein. Daren White ne joue pas sur la fibre larmoyante du regret, du pessimisme ou de l'angoisse face à l'existence. Il compose son histoire par petites touches impressionnistes éclairant tel ou tel aspect de la vie de l'écrivain.

Pour mettre en image ce récit singulier, Eddie Campbell a proposé ses talents à Daren White (ils avaient déjà collaboré sur une histoire de Batman). Campbell est un professionnel de la bande dessiné avec un parcours singulier et éclectique : une autobiographie (Alec, l'intégrale), une illustration de la vie de Jack l'Éventreur selon Alan Moore (From Hell), d'autres collaborations avec Alan Moore (A Disease of Language), une variation sur les dieux grecs (Bacchus) et une adaptation de pièce de théâtre (Black Diamond Detective Agency). Il a conserve ici son style esquissé et rêche, mais qui est fortement atténué, voire gommé par la mise en peinture. Campbell a choisi d'être le plus factuel possible sans tomber dans le photoréalisme. Il aborde chaque case comme un instantané dont il ne fait ressortir que l'essentiel. La mise en page des différentes scènes varie d'une juxtaposition d'images qui ne forme une séquence que par le biais du texte, à des séquences plus traditionnelles décomposant un mouvement ou un déplacement, ou un zoom avant. La mise en couleurs sait rester sobre, sans être tristounette ou convenue, imaginative, sans être un kaléidoscope de couleurs improbables.

À l'évidence, cette oeuvre ne s'adresse pas aux plus jeunes, non pas à cause de son caractère sexué, mais plutôt parce qu'il faut déjà une expérience de la vie pour apprécier et reconnaître la justesse des sentiments dépeints. Elle constitue un vrai roman, avec un parti pris parfois déconcertant (l'apparente banalisation de chaque situation), un ton qui décrit les difficultés de la vie sans s'en émouvoir d'une manière faussement naïve et simpliste. Et malgré cette approche distanciée qui rend la lecture très facile, je me suis senti en pleine communion d'esprit avec cet écrivain qui éprouve l'incommunicabilité et l'altérité.
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