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Edmond Jaloux (Traducteur)Félix Frapereau (Traducteur)
EAN : 9782253002888
253 pages
Le Livre de Poche (19/12/1972)
  Existe en édition audio
4.14/5   13809 notes
Résumé :
Alors qu'il rend visite à son ami peintre Basil Hallward, Lord Henry rencontre le jeune Dorian Gray. Emerveillé par sa jeune beauté et sa naïveté, il se lie rapidement d'amitié avec lui et dit, en plaisantant, qu'une fois le portrait terminé, seul celui-ci gardera à jamais cette beauté tandis que Dorian vieillira peu à peu. Le jeune homme déclare alors qu'il donnerait son âme pour que ce portrait vieillisse à sa place. A ces mots, tous rirent... sur le moment.
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Critiques, Analyses et Avis (747) Voir plus Ajouter une critique
4,14

sur 13809 notes
Ça y est, je me décide enfin, après moult hésitations, à écrire un petit billet virtuel sur ce livre que j'aime tant. le portrait de Dorian Gray, bien sûr, c'est une histoire. Mais en regard du nombre impressionnant de commentaires sur ce roman, peut-être n'est-il point besoin d'y apposer ma propre défloraison de l'oeuvre.

Nonobstant, bien au-delà de l'histoire, le portrait de Dorian Gray c'est un ton, c'est une forme, c'est la quasi quintessence de ce qu'Oscar Wilde aura su faire de plus réussi, de plus noble et ciselé, de plus acerbe et aérien et d'ailleurs, dans son immodestie provocante et coutumière caractéristique, lui-même ne s'y est pas trompé dans sa préface : « Un livre est bien écrit ou mal écrit, un point c'est tout. »

Et effectivement, ce livre est une merveille stylistique, avec ce fameux ton dandy et pince-sans-rire de l'époque victorienne qui est devenu la marque de fabrique de l'auteur. le seul de ses contemporains à pouvoir parfois rivaliser avec lui sur ce registre est probablement l'autre grand monstre sacré du théâtre fin XIXème, j'ai nommé, Anton Tchékhov. Je n'insisterai donc jamais assez sur ce volet formel de l'ouvrage qui est une pure délectation.

Peut-être n'est-il pas vain de rappeler l'origine de ce roman. On sait que ce genre n'est pas le terrain de prédilection De Wilde, lui, le dramaturge dans l'âme. Mais comme Wilde n'a peur de rien, qu'il a un ego digne de faire de l'ombre à Napoléon, César et Louis XIV réunis, celui-ci n'hésite pas, lors d'une altercation verbale avec Sir Arthur Conan Doyle à mettre celui-ci au défi d'écrire un meilleur roman que lui et ce, dans un délai imparti.

Ce sera le portrait de Dorain Gray pour Oscar Wilde et Le Signe des quatre pour Conan Doyle : vous me direz, des altercations comme ça, on aimerait bien qu'il y en ait plus souvent en littérature !

Il fallut donc écrire vite, et dans un style non coutumier pour Oscar Wilde. Aussi est-ce peut-être la raison intime pour laquelle le portrait de Dorian Gray fait toujours un peu figure d'OLVNI (le L c'est pour Littéraire), car il y a une spontanéité, un élan et à la fois des « répliques » cinglantes et savoureuses, telles qu'on les désignerait dans une pièce de théâtre. Évidemment, vous me rétorquerez, que Wilde a passablement remanié son texte après que le défi fut terminé, mais il n'empêche que les conditions de sa gestation en font, du moins c'est la thèse que je défends, son intérêt et son originalité.

Un Wilde non pris de court, asseyant minutieusement un projet d'écriture romanesque n'aurait probablement pas effectué les choix d'écriture qui furent retenus pour le portrait. À propos, ce « portrait », comme on dit en français, j'ose encore vous ennuyer à mettre le doigt sur l'incomparable supériorité du titre original « The picture of Dorian Gray » qui joue sur la richesse sémantique du mot « picture », impossible à rendre en l'état en français, désignant à la fois le portrait et l'image, avec toute la connotation du mot « image » sous-jacente, « n'être que l'image de », et tout ce rapport à la forme par opposition au fond, déjà contenu dans le titre.

Le titre, justement, parlons-en encore. Dorian Gray. Ça sonne bien n'est-ce pas ? On sait que l'auteur aimait à choisir des titres dont les sonorités étaient pleines de sens, voire, de doubles sens (Cf : The Importance of being Earnest). Que peut bien nous dissimuler ce titre ? Bon, en ce qui concerne le nom de famille, Gray rappelle étrangement grey : il y aurait donc une nuance de gris là-dedans. C'est un début.

Dorian ? Hmm, c'est plus compliqué. L'étymologie nous enseigne que cela vient du grec signifiant " don " au sens de cadeau. Donc, " le don du gris " ? Mais, tiens, tiens, tiens ça me rappelle étonnement l'une des répliques de Dorian à Lord Henry : « Vous m'offrîtes naguère un livre empoisonné. » Mais, ce n'est peut-être pas tout, continuons…

Nous savons qu'Oscar Wilde connaissait bien assez de français pour jouer aussi avec les sonorités de cette langue. " D'or and grey ", c'est-à-dire d'or et de gris. Tiens, tiens, tiens, comme ça colle bien à l'histoire et au personnage. Et comme ça correspond, également, à l'un des grands succès anglosaxons de l'époque ; j'ai nommé L'Étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde, publié seulement quatre ans auparavant et dont on pourrait également dire que le protagoniste principal est fait d'or et de gris… Et si finalement cela voulait dire que…

Bon, j'arrête ici mes élucubrations, qui d'ailleurs ne représentent pas grand-chose, seule compte l'oeuvre, et cette oeuvre-là, elle compte.
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A mon tour donc de vous parler de cet homme irrésistiblement jeune, incroyablement beau, merveilleusement sensuel, immensément riche, impeccablement habillé et empreint d'un esprit dominateur, j'ai nommé... Christian Grey ! euh, non, mille pardons, j'ai nommé... Dorian Gray !

Un personnage dont la personnalité offre bien plus de cinquante nuances et dont la complexité a toutes les chances de davantage vous séduire...

Dans ce roman, 50, c'est le nombre de citations qu'on serait tenté d'en extraire pour en faire profiter les autres lecteurs. D'ailleurs, pour ma part, je pense que, bien que m'étant auto-disciplinée sur ce point, je n'ai jamais autant cité un roman ! le coupable ? Oscar Wilde en personne ! qui semble avoir voulu écrire une "Anthologie des aphorismes" ! Laissant à Blaise Pascal et à François de la Rochefoucaud la paternité des recueils de maximes, notre écrivain so british a choisi le roman pour transmettre à ses contemporains quelques pensées et visées philosophiques bien senties, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs (d'aujourd'hui).

Je ne peux pas, en conscience, mettre moins de quatre étoiles bien que seul le dernier tiers du roman m'ait véritablement captivée car, côté action, ce n'est quand même pas la panacée. « Le Portrait de Dorian Gray » est avant tout un roman psychologique ; son action est essentiellement mentale. Cependant, l'écriture est si fine, si sculptée, si savoureuse et elle atteint si bien la cible en son centre à chaque page, que, rien que pour cela, il est absolument impossible de prétendre que ce roman n'est pas bon.

Bon, il l'est, indubitablement. Déjà sa structure est audacieuse ; contrairement à Bel-Ami qui agit seul face au monde qui l'entoure, ici Dorian Gray n'est, si je puis dire, que l'un des personnages du roman ; en réalité, il y a bien trois personnages de premier plan, Lord Henry, Basil et Dorian, qui sont unis dans une formation triangulaire au centre de laquelle se trouve le véritable personnage principal de l'oeuvre : le Portrait lui-même (d'ailleurs, dans le titre original (The Picture of Dorian Gray) ou dans sa traduction, le fameux portrait est toujours écrit avec une majuscule, comme un nom propre). Cette chaîne invisible qui unit les trois hommes est solide, elle résistera même aux fractures et survivra à la mort de l'un de ses maillons. C'est une chaîne forgée par l'admiration mutuelle que les trois hommes se portent. le Portrait est encore plus puissant qu'un miroir même s'il fonctionne à peu de choses près de la même façon. Il sert de base à Wilde pour développer une très belle thématique sur l'ego et ses répercussions dans les existences individuelles.

Dorian inspire Basil ; Basil peint Dorian ; Henry influence Dorian ; Dorian suit Henry ; une amitié pérenne lie Basil et Henry, Henry et Dorian, Dorian et Basil. Les trois hommes vouent le même culte à la jeunesse, à la beauté, à l'art, à la culture, à l'esthétisme ; les trois hommes vouent le même culte à Dorian Gray qui semble sublimer en lui tous ces trésors. La passion de Basil pour le corps, ô combien charmant, de Dorian, la passion d'Henry pour l'esprit, ô combien façonnable, de Dorian et l'amour narcissique de Dorian pour sa propre personne constituent pour Wilde le terreau idéal pour planter ses piques dans les flancs de la société anglaise de cette fin de XIXème siècle.

Et le Portrait dans tout ça, me direz-vous ? le Portrait est là pour donner un peu d'action palpable au récit et justifier sa nature romanesque, lui épargnant ainsi le destin moins heureux qu'aurait pu connaître un « traité cynique sur la fin du romantisme en Angleterre ».

***ALERT SPOILER***

Étrangement, ce qui m'a le plus marquée au cours de ma lecture fut moins la série d'aphorismes pourtant délectables dont elle fut truffée que la découverte d'un style très sensuel. J'affirme d'ailleurs que ce roman est un roman érotique.

Wilde, ce grand écrivain dont la vie fut mouvementée et dont la carrière littéraire fut ternie par un scandale suivi d'un procès perdu, puis qui, ayant été reconnu coupable du « crime de sodomie », fut incarcéré deux ans avant de connaître l'exil et le déclin, n'a pas hésité à décrire de façon très lumineuse et forte la passion qu'un homme peut inspirer à un autre homme et, une fois replié le paravent de l'art, il n'a pas craint de mettre à jour, noir sur blanc, des liens « d'amitié » bien proches de ceux de l'amour. Je cite Dorian quand il songe aux sentiments que Basil lui a déclarés : « L'amour qu'il lui portait - car c'était vraiment de l'amour – n'avait rien en lui qui ne fût noble ou spirituel. » Et cette déclaration d'amour du peintre à celui qui fut sa plus belle source d'inspiration est elle-même d'une grande intensité que je trouve suggestive, jugez par vous-même, je cite Basil, enflammé par ses aveux : « Les semaines et les mois passèrent, et je devins de plus en plus obsédé par toi. […] Je t'avais représenté en Pâris revêtu d'une armure raffinée, et en Adonis portant habit de chasseur et tenant un épieu poli. le front couronné de lourdes fleurs de lotus, tu avais pris place sur la barque d'Hadrien, portant tes regards sur l'autre rive du Nil aux eaux vertes et troubles. Tu t'étais penché au-dessus d'un étang immobile, dans un bosquet grec, et tu avais vu dans le silence argenté de l'eau cette merveille qu'est ton visage. »

De surcroît, il faut bien reconnaître que le roman ne plaide pas du tout en faveur des femmes qui y sont décrites comme les créatures les plus laides, rébarbatives et sottes. Aucune ne trouve grâce aux yeux de Lord Henry et le chapitre 8 où Dorian apprend le suicide de celle qu'il aimait est imprégné de la plus franche misogynie : « - Je crains que les femmes n'apprécient plus que tout la cruauté, la cruauté pure et simple. Elles ont des instincts prodigieusement primitifs. Nous les avons émancipées, mais elles restent des esclaves qui cherchent leur maître. Elles adorent être dominées. » (Christian Grey, sors de ce corps !).

Pour en finir (car il le faut bien même si ce roman mériterait de très longs développements), je dirais que le trio pensé par Wilde avec d'un côté Lord Henry, viveur endurci qui incarne le cynisme et la corruption d'une société fantoche, d'un autre Basil, l'artiste sensible, éperdu d'idéal et empreint de compassion, et, entre ces deux-là Dorian Gray, ce dandy immuablement jeune que ses aspirations narcissiques condamnent à perdre ses illusions et à céder aux vices que sa position sociale lui présente sur un plateau d'argent, symbolise à merveille la pensée humaine dans ses doutes, ses rêves et ses contradictions.


Challenge ABC 2012 - 2013
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De la bouche d'un ami,
Son esprit juvénile fut perverti,
De la main de l'artiste,
Naquit la jeunesse éternelle,
Mais le peintre a périt de la main du modèle
Rongé par la culpabilité,
Dorian Gray a succombé....

Écrit avec un génie indiscutable, ce roman m'a ennuyé, impossible d'accrocher au style d'antan, quelle tragédie. Pourtant j'ai persisté avec conviction et volonté, page après page, je n'avais qu'une seule envie, le finir au plus vite.

Comme je suis déçu de ne pas savoir apprécier ces chefs d'oeuvres, ces classiques de la littérature, ça me mine...

Ce qu'il faudrait pour que je me sente mieux :

M'aider à déloger la jolie statue grecque en haut de l'affiche (que je soupçonne de coucher avec un ours ou deux) qui squatte ma place depuis trop longtemps... il fut un temps ou j'étais classé critique d'or (jusqu'en 36 ème position), puis la déchéance, l'humiliation causées par tous ces arrivistes avec leurs jolies phrases, leur talent critique et rédactionnel, branlette intellectuelle je vous dis, privilégiez le petit peuple bordel de dieu.

A plus les copains
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"Le Portrait de Dorian Gray" est l'un de ces livres rares desquels on peut tirer plusieurs autres livres de genres divers : drame, nouvelle, essai, aphorismes, tous s'y trouvent et coexistent. Oscar Wilde a exploité tous les genres qu'il aime dans son unique roman. Expérience qui a produit un ensemble harmonieux.

"Le Portrait de Dorian Gray" est un roman sur le pouvoir de la fascination, l'influence maléfique, la tentation du mal, la métamorphose ou la déchéance d'un ange, mais aussi sur la désillusion et la vanité de l'existence.

Ce roman profond et complexe à la fois a été écrit à une époque où l'apparence masculine était un sujet d'actualité. Les dandys étaient très bien vus. de nombreux écrivains passaient pour les maîtres du dandysme. "Le Dandy doit aspirer à être sublime sans interruption, il doit vivre et dormir devant un miroir", comme le disait Baudelaire. Oscar Wilde lui-même dandy et véritable chef de fil de l'esthétisme remet en question cette conception de la vie. Il oppose ainsi Lord Henry, l'hédoniste machiavélique, au bon Basil, le peintre. Tous deux essaient de s'arracher Dorian le jeune homme naïf aux traits angéliques. Or, les deux ont leur part de la corruption de ce narcisse moderne. Ce dernier trouve plus convaincantes les maximes du Lord Henry et se veut son disciple zélé. Commence alors sa décente frénétique aux enfers. Sa première victime est une jeune actrice. Cette première offrande aux autels du vice ne sera que le départ. Et bientôt Dorian Gray devient un modèle de la corruption et des moeurs légères dépassant même son maître. Rien ne le ralentit, ni les leçons de morale de son ancien ami Basil, ni ses propres crises de conscience. Tout cela a commencé le jour où Basil décide de faire le portrait de Dorian Gray. Il sera son chef-d'oeuvre ultime. Il ne veut pas l'exposer et l'offre à son ami. Ce dernier émet le voeu de ne jamais vieillir au prix de livrer son âme (n'est-ce pas familier ?). le jeune garçon qui voit pour la première fois toute la grandeur de son charme, tremble à l'idée de perdre tout cela et de vieillir. Mais ce n'est pas seulement la vieillesse qui amène la laideur, mais aussi la débauche, le vice et la dépravation. Il deviendra un ancêtre de Patrick Bateman, il deviendra assassin !
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« Une abeille entra et bourdonna autour du bol bleu-dragon, rempli de roses d'un jaune de souffre qui était posé devant lui. Il se sentit parfaitement heureux ».

Percevez-vous le calme et la volupté de ces vers ? Heureuse, moi aussi je le suis assurément après avoir lu ce livre. Mais comment rendre compte d'un récit magnifique dont les relectures futures mettront sans aucun doute en valeur d'autres perceptions ? Sens multiples et sens nouveaux en éclosion incessante, propre à tout grand livre. Tout ce que je pourrais écrire n'arrivera pas à rendre compte de la force de cette oeuvre, tous mes mots seront vains et fades pour exprimer le génie de ce chef d'oeuvre, alors me contenterai-je de faire le portrait en aplats grossiers du Portrait, pâle esquisse brossée à gros traits reflétant un vague dessin se voulant figuratif de l'émotion ressentie. Écrire sur un livre superbement écrit n'est pas lui rendre justice. Comme tout ce qu'on adore, sans doute, vaudrait-il mieux se taire pour ne pas le rendre vulgaire, banal, commun ?

« Peut-être ne doit-on pas exprimer son adoration par des mots ».

Le portrait de Dorian Gray est tout d'abord poésie. L'écriture ciselée d'Oscar Wilde a l'élégance raffinée des milieux aisés, la délicatesse des matériaux et des tissus nobles utilisés, touchés, caressés cohabitant avec une nature savamment domptée, l'air de rien, jardin à l'anglaise dont on perçoit les jeux d'ombre et de lumière, dont on devine les senteurs florales mêlées de parfum vert, odeurs végétales entremêlées à celle plus neutre du linge propre, ou encore celle plus amère du thé noir à la bergamote, dans lequel on entend les froissements des feuilles au vent, la vie secrète des insectes, par les fenêtres entrouvertes, aux rideaux faseyant. Un entrelacement sensuel et sensoriel de la nature et des objets précieux, quintessence d'un style qui a le don de rendre heureux, tout simplement. Béatitude dandy. Un nectar divin que cette écriture.

« Dans de grands vases bleus de Chine, des tulipes panachées étaient rangées sur le manteau de la cheminée. La vive lumière abricot d'un jour d'été londonien entrait à flots à travers les petits losanges de plombs des fenêtres ».


Le portrait de Dorian Gray est réflexion passionnante sur la peinture, la littérature, et même la musique. Statut du peintre et de son modèle, sens du tableau en ce qu'il révèle ou au contraire cache son auteur, puissance des mots, pouvoir de la musique qui fait naitre un nouveau chaos en nous, c'est une lecture qui nourrit et qui ouvre tout un ensemble de perspectives. Oscar Wilde a l'intelligence de développer ces réflexions, puissantes et denses, comme des moments de respiration au milieu du livre avant que le coeur de l'intrigue ne prenne en otage son lecteur, puis avant le dénouement final, pour lui proposer une pause. Capter l'attention de son lecteur, suspendre le temps, mieux le capturer pour le métamorphoser lui-même, Oscar Wilde maîtrise la temporalité du récit et sait allier narration haletante et digressions lentes érudites et passionnantes.

« Tout portrait peint compréhensivement est un portrait de l'artiste, non du modèle. le modèle est purement l'accident, l'occasion. Ce n'est pas lui qui est révélé par le peintre ; c'est plutôt le peintre qui, sur la toile colorée, se révèle lui-même ».


Le portrait de Dorian Gray est en son coeur en effet histoire fantastique. Oscar Wilde, avec cette façon classique et raffinée, toute anglaise, ourlée d'une pointe de dandysme, dont nous venons de souligner la sensibilité et l'élégance, nous propose une histoire complètement folle, une véritable histoire fantastique qui tient le lecteur en haleine. Il est temps de parler de ce fameux Dorian Gray. La critique savoureuse de @Nastasia-B met en valeur le choix de ce prénom et de ce nom…d'or et de gris nous explique-t-elle avec brio (et là je résume bien entendu sa démonstration, je vous invite à aller lire sa critique qui met également en valeur le contexte dans lequel a émergé le livre), mais oui, que c'est bien vu ! Un personnage d'une beauté renversante, comme doré par la jeunesse, mais dans lequel le gris et ses différentes teintes vont venir s'insinuer.

Le jeune homme aux traits angéliques, aux lèvres écarlates finement dessinées, aux clairs yeux bleus, à la chevelure aux boucles dorées, semble tiraillé entre deux hommes qui veulent tous deux se l'accaparer, hypnotisés par cette beauté : une sorte d'ange gardien, le peintre Basil, homme bon qui ne veut que du bien à Dorian et qui voit en lui la Beauté suprême, le modèle ultime ; et un petit démon, comme assis sur l'épaule de Dorian, Lord Henry, cynique, misogyne, hédoniste, tentation du mal incarnée qui veut faire de Dorian son objet sur lequel exercer son emprise.
Dorian est davantage attiré par Lord Henry et va devenir son disciple fidèle. Commence alors pour Dorian une véritable descente aux enfers dans laquelle il va devenir peu à peu un modèle de corruption et de vice dépassant même son maitre, spectateur de sa propre vie pour échapper aux souffrances terrestres, avec indifférence et dédain. Malgré les conseils de Basil et ses moments douloureux de lucidité, rien ne l'arrête.
Cette descente aux enfers a commencé lorsque Basil a réalisé un superbe portrait du jeune homme, sans doute sa peinture la plus aboutie, son chef d'oeuvre ultime. le portrait est troublant de justesse, Basil a vraiment réussi à capter l'essence de la jeunesse, que le jeune homme, perturbé et terrifié à l'idée de la perdre peu à peu, cette jeunesse qui est tout, selon les dires de Lord Henry, exprime alors à haute voix, le souhait de rester comme ce portrait à jamais, de ne jamais vieillir, et que ce soit son portrait, cette image de lui, qui changent avec les assauts du temps et de la vie. Ne jamais vieillir au prix de livrer son âme. Qu'il en soit ainsi, le portrait va peu à peu changer, « symbole visible de la dégradation qu'amenait le péché », « le plus magique des miroirs » pour le jeune homme beau et jeune à jamais…C'est une histoire narcissique fascinante !


Le portrait de Dorian Gray, vous l'aurez compris, est avant tout philosophie. Au travers cette métamorphose d'un être simple, naturel, tendre, le moins souillé qui soit, en jeune homme sans coeur et sans pitié, de multiples questions sont soulevées par Oscar Wilde. Sommes-nous le résultat de nos rencontres, le fruit de nos influences, sans aucun libre-arbitre ? Qu'est-ce que la fascination, à quoi nous réduit-elle, quelle influence a-t-elle sur l'objet de notre fascination ? Comment survivre à la métamorphose qui s'opère sans relâche en nous ? La déchéance physique peut-elle être contrecarrée par les nourritures spirituelles et de celles de l'esprit ? La laideur est-elle seulement le fruit de la vieillesse ? N'est-elle pas surtout et avant tout le reflet de nos vices et d'une âme impure ? Une vie éternellement jeune serait-elle une vie acceptable ?
Un questionnement sur la déchéance humaine, tiraillée entre ascétisme qui amène la mort des sens et dérèglement vulgaire qui les émousse, questionnement posé à l'aune d'une nature enchanteresse immuable décrite dans une poésie renversante, antagonisme qui renforce le désarroi dans laquelle cette décrépitude inéluctable nous plonge.


Roman sur les désillusions, ce livre soulève dans un format assez court, dans un style étonnant mâtiné de fantastique, et au moyen d'une écriture incroyablement ciselée et poétique, de riches interrogations universelles. Que ce soit Oscar Wilde, dandy et chef de file de l'esthétisme, proclamant la modernité absolue de la Beauté, qui remet sa propre conception de cette vie en question, est d'autant plus troublant et émouvant.

« Un livre est bien écrit ou mal écrit, un point c'est tout. » écrit Oscar Wilde dans sa préface. Ce livre, indéniablement, est superbement écrit. Un point c'est tout.

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critiques presse (2)
Sceneario
29 décembre 2022
Le roman de Wilde est merveilleux et fantastique. La lecture et la relecture de cette oeuvre reste toujours un grand moment. Le récit reste prenant et surprenant. Wilde était un excellent conteur. Les illustrations de Corominas sont incroyables. Elles sont très belles et merveilleuses à voir. Elles sont à l'image du roman. Elles font bien ressortir l'ambiance et l'atmosphère du livre.
Lire la critique sur le site : Sceneario
LigneClaire
20 décembre 2022
Un travail somptueux de Enrique Corominas qui transcende ce chef d’œuvre de la littérature anglaise. Ses dessins sont envoûtants et scandent à merveille les pages de Wilde tout en restant fidèle au texte, aux ambiances et aux sous-entendus évidents. Les couleurs ont elles-aussi un rôle majeur dans l’émotion qui surgit des illustrations.
Lire la critique sur le site : LigneClaire
Citations et extraits (1557) Voir plus Ajouter une citation
Quand j'aime immensément quelqu'un, je ne dis jamais son nom. Je craindrais de livrer une part de lui-même. Vous savez comme j'aime le secret. C'est la seule chose qui puisse nous rendre la vie moderne merveilleuse ou mystérieuse. Pour peu qu'on le dissimule, le plus banal devient exquis.
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Vous vous êtes mis vous-même en musique. Vos jours sont vos sonnets.
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- La décadence me fascine plus.
- Que pensez-vous de l'art ? demanda-t-elle.
- C'est une maladie.
- L'amour ?
- Une illusion.
- La religion ?
- Un substitut élégant pour la foi.
- Vous êtes un sceptique.
- Nullement ! Le scepticisme est un début de croyance.
- Qu'êtes-vous donc ?
- Définir, c'est limiter.
- Donner- moi un fil conducteur.
- Les fils cassent. Vous vous perdriez dans le labyrinthe.
- Vous me désorientez.
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L’artiste est créateur de belles choses.

L’art a pour but de rendre l’art manifeste et de cacher l’artiste.

Le critique est celui qui sait traduire autrement ou dans un nouveau matériau l’impression qu’il éprouve devant de belles choses.

La critique, dans sa forme la plus élevée comme la plus basse, est une forme d’autobiographie.

Ceux qui voient dans les belles choses des significations laides sont corrompus sans être charmants. C’est une faute.

Ceux qui voient dans les belles choses de belles significations sont cultivés. Pour ceux-là, il y a de l’espoir.

Ils sont les élus pour qui les belles choses ne signifient que Beauté.

Il n’existe pas de livre moral ou immoral. Les livres sont bien ou mal écrits. Voilà tout.

L’aversion du XIXe siècle pour le Réalisme, c’est Caliban enrageant de se voir dans un miroir.

L’aversion du XIXe siècle pour le Romantisme, c’est Caliban enrageant de ne pas se voir dans un miroir.

La vie morale de l’homme n’est qu’une partie de ce dont traite l’artiste alors que la moralité de l’art consiste en l’usage parfait d’un médium imparfait. Un artiste ne désire rien prouver. On peut tout prouver, même des choses vraies.

Un artiste n’a pas de préférences éthiques. Chez un artiste, une préférence éthique est un maniérisme impardonnable.

Un artiste n’est jamais morbide. L’artiste peut tout exprimer.

La pensée et le langage sont pour l’artiste les instruments de son art.

Le vice et la vertu sont pour l’artiste les matériaux artistiques de son art.

Du point de vue formel, l’art du musicien est l’archétype de tous les arts. Du point de vue de l’émotion, cet archétype réside dans le métier d’acteur.

L’art est à la fois surface et symbole.

Ceux qui vont au-dessous de la surface le font à leurs risques et périls.

Ceux qui interprètent le symbole le font à leurs risques et périls.

L’art est en réalité le miroir non de la vie mais du spectateur.

La diversité des avis sur une œuvre d’art signifie qu’elle est nouvelle, complexe et essentielle.

Là où les critiques diffèrent l’artiste est en accord avec lui-même.

On peut pardonner à un homme de faire une chose utile tant qu’on ne l’admire pas. On n’a d’autre excuse lorsqu’on fait une chose inutile que de l’admirer intensément.

Tout art est parfaitement inutile.
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Dorian ne répondit pas. Il passa nonchalamment devant le tableau, puis se retourna. Quand il le vit, il se rejeta en arrière et sa joue se colora un instant de plaisir. une expression de joie surgit dans ses yeux comme s'il s'était reconnu pour la première fois. Il se tenait là, immobile, stupéfait, vaguement conscient que Hallward lui parlait, mais sans saisir le sens de ses paroles. le sentiment de sa propre beauté lui était venu comme une révélation. Il ne l'avait jamais éprouvé auparavant. les compliments de Basil Hallward ne lui avaient semblé être que les exagérations charmantes de l'amitié. Il les avait écoutés, en avait ri, les avait oubliés. ils n'avaient pas influencé sa nature. Et puis était apparu Lord Henry Wotton, avec son étrange panégyrique (discours louangeur) de la jeunesse, dont la brièveté lui inspirait ces terribles avertissements. Cela l'avait ému sur le moment, et maintenant qu'il contemplait l'ombre de se propre beauté, il découvrait en un éclair que la description en était vraie. Oui, un jour viendrait où son visage serait ridé et rabougri, ses yeux faibles et décolorés, sa silhouette gracieuse cassée et difforme. L’écarlate quitterait ses lèvres et l’or disparaîtrait de sa chevelure. La vie qui forgerait son âme abîmerait son corps. Il deviendrait affreux, hideux, insortable.
Tandis qu’il y pensait un vif élancement de douleur le transperça comme un couteau et fit vibrer chaque délicate fibre de sa nature. Ses yeux s’approfondirent en améthystes et se couvrirent d’une brume de larmes. Il sentait une main de glace posée sur son cœur.

- Il ne te plaît donc pas ? s’écria enfin Hallward quelque peu blessé par son silence et ne comprenant pas ce qu’il signifiait .
- Bien sur qu’il lui plait, fit lord Henry. A qui ne plairait-il ? C’est l’un des plus grands chef-d’œuvre de l’art moderne. Je t’en donnerai tout ce que tu voudras. Il faut qu’il m’appartienne.
- Il n’est pas à moi, Harry.
- A qui est-il ?
- A Dorian bien sûr, répondit le peintre.
- Comme c’est triste ! murmura Dorian Gray, les yeux toujours fixés sur son propre portrait. Comme c’est triste ! Je deviendrait vieux, horrible, hideux. Mais le portrait restera toujours jeune. In en sera jamais plus vieux qu’il ne l’est en ce jour de juin… Si seulement c’était le contraire ! Si c’était moi qui resterais toujours jeune et que ce fût le portrait qui vieillît ! Pour cela… Pour cela je donnerai n’importe quoi. Oui, il n’y a rien au monde que je ne donnerais ! Je donnerais mon âme pour cela !
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Attention !!! Nouvel horaire pour l'émission "Le coup de coeur des libraires" sur les Ondes de Sud Radio. Valérie Expert et Gérard Collard vous donnent rendez-vous chaque samedi à 14h00 pour vous faire découvrir leurs passions du moment ! • Retrouvez leurs dernières sélections de livres ici ! • • • Ce que je sais de toi de Eric Chacour aux éditions Philippe Rey https://www.lagriffenoire.com/ce-que-je-sais-de-toi.html • La promesse de l'aube de Romain Gary, Hervé Pierre aux éditions Folio https://www.lagriffenoire.com/la-promesse-de-l-aube-premiere-partie.html • le jongleur de Agata Tuszynska aux éditions Stock https://www.lagriffenoire.com/le-jongleur.html • a fille d'elle-même (Romans contemporains) de Gabrielle Boulianne-Tremblay aux éditions JC Lattès https://www.lagriffenoire.com/la-fille-d-elle-meme.html • Les muses orphelines de Michel Marc Bouchard et Noëlle Renaude aux éditions Théatrales 9782842602161 • Oum Kalsoum - L'Arme secrète de Nasser de Martine Lagardette et Farid Boudjellal aux éditions Oxymore https://www.lagriffenoire.com/oum-kalsoum-l-arme-secrete-de-nasser.html • le pied de Fumiko - La complainte de la sirène de Junichirô Tanizaki , Jean-Jacques Tschudin aux éditions Folio https://www.lagriffenoire.com/le-pied-de-fumiko-la-complainte-de-la-sirene.html • Amour et amitié de Jane Austen et Pierre Goubert aux éditions Folio https://www.lagriffenoire.com/amour-et-amitie-1.html • L'homme qui vivait sous terre de Richard Wright et Claude-Edmonde Magny aux éditions Folio https://www.lagriffenoire.com/l-homme-qui-vivait-sous-terre.html • Maximes et autres textes de Oscar Wilde et Dominique Jean aux éditions Folio https://www.lagriffenoire.com/maximes-et-autres-textes.html • • Chinez & découvrez nos livres coups d'coeur dans notre librairie en ligne lagriffenoire.com • Notre chaîne Youtube : Griffenoiretv • Notre Newsletter https://www.lagriffenoire.com/?fond=n... • Vos libraires passionnés, Gérard Collard & Jean-Edgar Casel • • • #editionsphilipperey #editionsfolio #editionsstock #editionsjclattes #editionstheatrales #editionsoxymore
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