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EAN : 9782070403141
320 pages
Gallimard (23/10/1997)
4.1/5   66 notes
Résumé :
Parmi les génies que compte la musique négro-américaine, Thelonious Sphere Monk est certainement le plus étrange, le plus singulier. Il se dresse dans le paysage du jazz comme un mégalithe énigmatique. L'homme et la musique sont ici clos sur eux-mêmes. Il faut, pour pénétrer cet univers si particulier, avoir la sensibilité de l'artiste et la rigueur de l'analyste.
C'est ce qu'a réussi Laurent de Wilde. Seul un musicien doublé d'un écrivain pouvait, de la faço... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Thelonious Monk est-il un jazzman noir américain de génie ? Un pianiste hors du commun ? Un névrosé introverti ? Un compositeur contemporain encore incompris ?

Qui mieux qu'un autre pianiste de jazz pouvait, non pas trancher, mais présenter les différentes facettes de Thelonious comme autant de thèmes développés dans une partition ?

Il faut dire que la vie de Thelonious est un vrai roman. Et que Laurent de Wilde traite sa biographie comme un roman, avec un personnage principal hors du commun.

Monk est en effet un des géants du Jazz du 20ème siècle qui côtoie tous les plus grands noms du jazz de l'époque. Où l'on voit défiler Art Blakey, Max Roach, Miles Davis, Charlie Parker, Sonny Rollins, John Coltrane, …

Avec l'histoire de Thelonious, c'est toute l'histoire du jazz new-yorkais du 20ème siècle qui nous est contée par Laurent de Wilde. Né en 1927, son enfance se déroule au coeur de New York, dans le quartier de San Juan Hill, où il est très bon élève, en particulier en maths et en physique. Et puis en musique il a le don, c'est comme ça, ça ne s'explique pas. C'est dans son quartier que tout va se jouer : ses débuts se font au Minton's non loin du mythique Apollo Theater, où venaient se produire également les orchestres de Duke Ellington, de Count Basie, de Cab Collaway…et c'est là aussi qu'il va rencontrer aussi celle qui deviendra sa femme et sa compagne toute sa vie, Nellie.
Dans les années 40, le Minton's est en effet un laboratoire de recherches musicales.
Il progresse donc dans sa musique aux côtés des plus grands, comme « Dizzy » Gillespie. Dizzy est celui qui s'exprime à la radio, devant les journalistes, mais avec Maw Roach, Art Blakey, Oscar Pettiford, ou encore Kenny Clarke, ce seront les premiers à exprimer leur critique d'un racisme officiel insupportable. Parce qu'avec le jazz des années 40, qu'on va bientôt appeler beebop, la donne change : les Noirs commencent à parler et à faire des discours.

Et Thelonious Monk avec ses étranges silences, ses sourires équivoques – n'oublions pas que « Monk » veut dire « moine » en français - , semble incarner plus que tout autre l'ironie et la contestation.
Autour de Thelonious, il y a plusieurs femmes. Pas de celles qu'on imagine – cliché classique autour des jazzmen qui passent une nuit avec une femme différente après chaque concert – mais des figures fiables.
« Une mère : Barbara. Une épouse : Nellie. Une protectrice : Pannonica. Une fille, encore Barbara. On a fait le tour. Ce sont elles qui montent la garde devant l'intimité, essentielle, de Thelonious. »

Nellie, peut-être avant tous les autres, a compris que son mari était un génie, et elle prend en charge tout ce qu'il ne fait pas : elle s'occupe de la maison, de sa belle-mère, de leurs deux enfants Thelonious et Barbara, et de gagner de l'argent pour faire vivre tout ce petit monde.

La baronne Pannonica de Koenigswarterissue de la famille Rothschild, nourrira une passion pour le jazz. Elle connaîtra tous les plus grands noms de l'époque. C'est par exemple chez elle que Charlie Parker – Bird pour les intimes- « trouvera la dernière porte qui lui fût ouverte, pour mourir ailleurs que dans la rue ». C'est aussi chez elle que Nellie et Thelonious finiront par s'installer pendant une dizaine d'années pour trouver un peu de calme, chose impossible à Manhattan. Monk écrira le célèbre « Pannonica » en hommage à sa bienfaitrice.

Complices, Pannonica et Nellie se complèteront parfaitement. Et Barbara, sa fille – Boo Boo – héritera directement des talents musicaux de son père. Après avoir tenté une carrière de danseuse, elle emboite le pas de son père avec autant de don. Mais un cancer l'emporte à l'âge de 29 ans, juste après la mort de son père.

Mais Monk n'est pas uniquement un compositeur hors pair, il est aussi un redoutable pianiste. Avec une technique qui lui est propre. « Si l'on regarde Monk jouer (pour cela, il faut absolument se procurer en vidéo l'excellent film de Charlotte Zwerin Straight, No Chazer), on est frappé par le fait qu'il semble constamment dominer de tout son poids le clavier, à l'inverse d'un Bill Evans ou d'un Glenn Gould qui ont quasiment le front collé aux touches.(...) Il frappe le clavier avec les doigts tendus, et non arrondis, comme des baguettes ; cela prive son jeu d'une certaine vélocité, notamment pour les passages de pouce, mais a ouvert en revanche la porte à des possibilités percussives nouvelles et innombrables. »

Plusieurs saxophonistes vont se succéder aux côtés de Thelonious. D'abord le grand Sony Rollins. Puis survient Coltrane. Et là c'est encore mieux que dans un roman : Monk agit comme un déclic ! le saxophoniste, accro à la drogue depuis des lustres, décroche de l'héroïne du jour au lendemain. Une « cold turkey » comme le disent les Américains, c'est-à-dire radicalement. Comme si la musique de Monk pouvait agir comme une nouvelle drogue…

Six mois plus tard c'est au tour de Johny Griffin. « Griffin constitue justement la combinaison médiane entre Newk (Sony Rollins) et Trane. Il a le son râpeux du premier, et toute la fougue inassouvie du second. L'autorité de l'ours et la fureur du lion. Johny Griffin, the little Giant. »
Griffin, qui lui ouvrira aussi la voie des albums « live » et ça changera tout.

Quand Griffin quittera le groupe de Monk en 58, Thelonious sera donc un personnage en vue. Et puis enfin Monk trouvera LE saxophoniste avec qui il jouera pendant 12 ans sans en changer : Charlie Rouse.

Il y a tellement d'anecdotes dans ce « Monk ». Rien qu'une : il va jouer avec le grand Miles Davis, mais quand on est un cuivre et qu'on a Monk derrière soi c'est comme si « on avait le diable en personne qui vous piquait le cul avec sa fourche. » comme l'explique Laurent de Wilde. Alors Miles préférera que Monk ne joue pas derrière lui dans ses solos quand ils enregistreront leur disque ensemble…

Et puis il y a ses chapeaux ! de toutes les formes, ses chapeaux : « des ovales, des ronds, des pointus, des feutrés, des feutrés, des poilus, des brillants, des moulants » toutes sortes de formes différentes. On connaît maintenant son goût pour les chapeaux et on attend à chaque concert de voir lequel il va porter.

Ensuite ? Eh bien la suite c'est le succès, une tournée triomphale en Europe en 1961, une invitation de Duke Ellington au Newport Festival, une place chez Columbia, 1964 : « It's Monk Time » et la Une de Time Magazine. Entre 64 et 68 : 4 tournées en Europe, une en Australie, et une au Japon.
Et la suite ? le déclin chez Columbia ? le trio de Blue Note en 71 à Londres, en guise de testament ? la transmission à son fils qui devient batteur avec son père ? le concert au Philarmonic Hall avec son quartet en 1975, où, jouant derrière Keith Jarrett il obtient un triomphe ?
Et la fin chez la Baronne Pannonica ?

Il y a tout cela et bien plus dans ce « Monk » de Laurent de Wilde. Celui-ci respecte une stricte chronologie, à une exception près : il omet volontairement d'évoquer les incidents cérébraux du jazzman pendant la majeure partie du livre.

Passionnant comme un roman policier, on suit les étapes d'une vie mouvementée pas à pas sans avoir envie de décrocher un instant. Laurent de Wilde réussit ce tour de force de nous expliquer la musique de Monk par le menu – on sent bien que c'est un pianiste qui parle d'un autre pianiste – sans nous lasser une minute par des détails de musicologie abscons. Une vraie réussite qui fait qu'on referme ce passionnant « Monk » en ayant l'impression d'avoir rencontré un génie de près : celui de Thelonious.

Lien : https://www.biblioblog.fr/po..
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Dans mes nouvelles découvertes musicales de l'an passé, Thelonious Monk fut au même titre que Grant Green, un sacré choc. Il ne faut pas se le cacher mais déjà, il faut aimer un peu le jazz pour pénétrer en ces lieux (ce livre) et surtout aimer le piano.

La manière dont Monk joue le piano est assez spéciale la première fois puisqu'on réalise d'emblée la dissonance, les notes décalées, les silences qui déparent pas mal aux côtés d'autres musiciens. Dire que Monk a été un continent à lui tout seul n'est donc pas ici un cliché vu qu'on est en face de quelque chose de nouveau qui, paradoxalement a des airs de déjà vus et pour cause. Déjà, le pianiste va livrer une tripotée de standards qui seront rejoués par nombres de musiciens tous aussi talentueux et prolixes. Citons Straight, no chaser; Round midnight ou Ruby my dear.

Et puis surtout le pianiste va constamment livrer des variations de ses titres. Jamais un morceau ne sonnera pareil d'un album à l'autre. Par exemple le Sweet and lovely du Mulligan meets Monk (1957), l'album de la rencontre entre Thelonious Monk et Gerry Mulligan au saxophone ne ressemble que par ses tons à celui de Monk's dream (1963) chez Columbia. Les notes sont différentes et quand on apprend dans le livre de De Wilde que le pianiste pouvait enclencher des notes en les jouant du coude (du coude, carrément !), on comprend bien toute l'originalité et le prix de la musique de Monk.


Du coup, à qui s'adresse ce livre ? J'aurais envie de dire, en premier lieu, aux fans de Monk qui aimeraient en savoir plus sur leur idole et ils seront plus que servis. Car de Wilde sait de quoi il parle (les anecdotes sont légion) et a l'avantage d'expliciter considérablement pour son lecteur de nombreux termes de musique et plus particulièrement de jazz, ce qui m'amène à dire en second lieu que le livre est aussi parfait pour le profane (et je peux m'en réclamer). D'autant plus qu'il donne vraiment envie d'écouter la musique de Monk, titres et albums cités directement. Une coffret peu onéreux de ce genre (ou bien celui-ci) pour accompagner la lecture ne sera pas de trop. Enfin, le romancier-pianiste a le bon goût de ne pas oblitérer la folie, les "fausses notes" et la fin (tragique on peut le dire... Comme beaucoup de musiciens de jazz je m'en aperçois. On fait pas de vieux os dans ce milieu, pas plus que dans le rock) de Monk, les gardant en toute logique pour la fin. Conclusion parfaite et inévitable en somme d'un vrai livre de passionné qui se savoure du début à la fin.


Suivant les sensibilités, on pourra trouver le style de De Wilde trop exubérant ou dans le ton juste, lyrique et chaleureux de celui qui semble commenter chaque session d'entregistrement comme on commenterait un match de boxe, les anecdotes racontées comme si l'on avait son pote plus vu depuis un moment en face de lui dans un bar fort gouailleur, l'humour pince-sans-rire qui varierait souvent dans l'ironie tendre. On pourra aussi apprécier finalement une biographie agencée comme une bonne fiction, ce qu'elle est en quelque sorte, la vie de Monk et ses coins secrets (ses brillants coins secrets) étant tellement riche à tout, même ce qu'on ne sait pas et qui est sujet à extrapolations et recherches diverses (la jeunesse de Monk par exemple) auprès de la famille... quand elle veut bien parler un peu plutôt que de respecter le souhait tacite de ne rien dire. Déjà que Monk n'était pas des plus loquaces de son vivant, on imagine sans mal ses proches qui avaient un immense respect pour lui, avec ses bons comme ses mauvais côtés. de par sa facilité d'approche et l'amour qu'il porte à la musique du pianiste mais aussi du jazz tout bonnement, je ne vous étonnerais pas en disant que ce livre est directement entré dans mes indispensables persos.
Lien : http://dvdtator.canalblog.co..
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Ce livre m'a été conseillé par une amie, malgré que je sois totalement néophyte en jazz. A vrai dire, je ne connaissais absolument pas cet artiste (un peu la honte tout de même). Et quelle découverte! je n'avais qu'une envie tout au long de ma lecture, c'était de courir sur le web pour écouter sa musique.
Thelonius Monk est un génie du jazz, qui n'a connu la célébrité qu'à partir de 39 ans. Auteur-compositeur, possédant une personnalité atypique, il a pu toujours faire la musique telle qu'il l'aimait, même en période de disette. Né dans une famille très simple à New-york, temple du jazz à l'époque, il a pu se construire une légende grâce à sa seule musique et non à ses frasques. Il est mort au début des années 80 atteint de démence (comme son père ?), qui aura été latente une bonne partie de sa vie. L'auteur parvient à expliquer relativement simplement la complexité de ses compositions, nous fait ressentir son génie et c'est remarquable pour des personnes comme moi qui n'ont aucune connaissance en musique.
En alternance avec cette exploration de l'oeuvre de l'artiste, on découvre tout au long de ce livre, des grandes figures de la musique : artistes, manager, maison de disques, mécènes ect.... Laurent de Wilde dans ce livre décrit et explique tout l'univers de la musique : du bar de jazz aux règles de maisons de disques, du fonctionnement d'un orchestre, du rôle du jazz et de la place des noirs dans la société de l'Amérique dans la première moitié du siècle...C'est passionnant, très documenté et remarquablement fluide grâce à un style vivant, dynamique et bourré d'humour.
Ce livre est donc bien plus qu'une simple autobiographie : c'est une véritable analyse de la société américaine, du monde du jazz et de l'oeuvre d'un génie. Une agréable surprise.
Lien : http://toshoedwige.blogspot...
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Imaginez un kaleidoscope qui pénètrerait dans votre intimité et la projetterait vers l'extérieur sous forme d'images en nombre infini, dont chacune serait une version de vous. C'est l'oeil de Laurent de Wilde sur Thelonious Monk, auquel il consacrera d'ailleurs son prochain album prévu pour l'automne.

Et quand un pianiste normalien bourré d'humour se penche sur un génie fantasque comme Monk, et bien ça donne un ouvrage de référence. Thelonious aura 100 ans le 10 octobre 2017. J'ai bien dit « aura », car Monk revit dans ce livre. C'est tout juste s'il ne va pas s'asseoir à vos côtés et vous grommeler quelques blagues en grinçant des dents à sa façon. Alors mettons trois des multiples lorgnettes de Laurent de Wilde pour entrer dans l'univers monkien.

Les femmes de Monk
Pas des minettes, des vraies femmes ! D'abord sa maman, une dame du nom de Barbara Sphere (Humph !). Puis sa femme Nellie (« Crepuscule with Nellie »), l'unique, qui fut le pendant terrien de Monk le lunaire. Elle faisait tout, sauf la musique. Sa fille, Barbara (ou Boo-Boo, d'où le morceau Boo Boo's Birthday), pianiste elle aussi, était si fusionnelle avec son père qu'elle ne survécut pas à son décès. Enfin, son amitié avec la baronne Pannonica de Koenigswarter (nom du morceau éponyme), mécène de plusieurs jazzmen, qui lui permit de vivre en paix ses dernières années.

Les saxophonistes de Monk
Il y eut bien sûr John Coltrane, Johnny Griffin, Sonny Rollins, mais aussi Charlie Rouse pendant douze ans et Paul Jeffrey Quand on s'adoube des trois premiers géants, il est surprenant de garder si longtemps un saxophoniste comme Charlie Rouse. Et là, Laurent de Wilde a une oreille de génie : c'est que les chorus de Charlie Rouse mettent l'accompagnement de Monk en valeur ! N'importe quel musicien de Jazz vous dira que c'est le monde à l'envers ! du Monk, en fait !

La folie de Monk
Il faut déjà être illuminé par la « Sphère » céleste pour écrire les merveilles que Monk a signées. Mais dans les années 50, celui qui s'amusait des silences musicaux s'enferme dans le silence de la folie. Laurent de Wilde l'accompagne dans cette descente, il lui tient la main. du début à la fin du livre émane l'amour que Laurent de Wilde nourrit pour Monk, ce génie de la musique, mais aussi pour Thelonious, l'homme, dont il se fait le confident et parfois même le double, jusqu'à parfois se transformer en Laurent de Monk !
Lien : https://www.lejazzophone.com..
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Pas besoin d'être un fin connaisseur du jazz et de la musique de Monk pour apprécier cette biographie.
En revanche, j'étais connecté en parallèle aux vidéos de concert et aux disques pour suivre et comprendre le génie du personnage.

Le style de l'auteur est agréable, on sent qu'il sait de quoi il parle et surtout, il centre son livre sur la musique de Monk, il ne s'attarde pas sur ce qui est le lot commun des bios d'artistes (la dope, les relations familiales et amoureuses, l'argent..); il les évoque mais n'en fait pas les raisons de l'attrait que ce pianiste a suscité tout au long de sa vie et encore maintenant.

Ce type a apporté quelque chose à la musique, il a modifié sa trajectoire.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
(...) Pourtant le concept est simple. En 1996, le morceau ne poserait pas trop de problèmes, on a vu plus tordu. Seulement voilà : on est en 1956 (le 15 octobre pour être précis, des jours comme ceux-là, ça se remarque). Monk, confie Keepnews, quitta la séance excédé de ne pas trouver des musiciens qui pouvaient jouer un morceau aussi évident. Aujourd'hui, quarante ans plus tard, on le comprend. Mais c'est dire l'avance qu'il avait sur son temps : véritable pionnière en la matière, cette composition ne trouvera d'équivalent conceptuel que bien plus tard, chez des Charlie Mingus ou des Ornette Coleman. Et encore. Car il s'agit d'un prédicat élémentaire dont l'exécution est tout simplement irrecevable. C'est pas de la musique, c'est de l'obstination. C'est ça qui est génial. On entend presque une voix off qui dirait : abandonne, Thelonious, ça ne va jamais marcher ! Mais Monk va jusqu'au bout de son idée, et le résultat est étonnant.

Car il faut être complètement cinglé pour écrire un morceau comme ça. Il ne faut douter de rien. Rollins à la rame, dans un océan de tempos changeants, avec comme cadre à son improvisation des harmonies pas du tout contigües, ou bien trop lentes ou bien trop rapides. Ernie Henry, terrorisé à l'idée de louper un rendez-vous, qui se contente de regarder passer les trains, l'oeil rivé sur sa montre. Max Roach qui n'arrive pas à se faire à l'idée d'un pont de sept mesures, et qui en rajoute une dans son solo, avec l'air de savoir ce qu'il fait. Et pourtant tous les trois, comme Monk, sont de vrais New-Yorkais... on est en famille, ça devrait être plus simple pour faire de la musique. Reste Oscar Pettiford en éclaireur, le sang-mêlé indien de l'Oklahoma, qui agite les bras pour tenter de regrouper la colo. Et Monk, imperturbable, fend la bise avec sa sûreté habituelle, et donne un petit coup de volant quand la machine est sur le point de verser... L'équipée fantastique ! On s'étonne qu'il n'y en ait pas un qui soit resté sur le carreau de l'aventure... un seul faux mouvement, et c'est l'accident... Jamais on ne comprendra mieux qu'à la lumière de ce morceau ce que Trane disait de la musique de Monk : si on rate un accord, c'est comme si on tombait dans une cage d'ascenseur vide... Et les musiciens de la séance qui s'efforcent, tout en crissant des pneus, de ne pas quitter la route ! Ça sent la gomme brûlée dans le studio... Le pauvre Orrin Keepnews, dans sa cabine, il devait s'arracher les cheveux ! Jusqu'à présent tout allait si bien ! Erreur système ! Calamitas ! Ai-je vraiment bien fait de signer ce type ? Pourquoi suis-je encore vivant ? Dans son livret d'introduction à la compilation Riverside, il commence ainsi, très british, son évocation de la séance : "A bien des égards, ceci fut le vrai début de mon travail avec Monk." Ha ha ! Le travail ! Comme dit Hegel, le travail, la patience et la douleur du négatif ! Avec en plus Monk et Pettiford qui s'engueulent (à l'issue de cette session, ils ne joueront plus jamais ensemble), quel bordel ! Thelonious qui le premier soir repère un célesta dans un coin du studio, et qui exige de jouer Pannonica dessus ! Max Roach qui quelques jours plus tard découvre à son tour des timbales, et les matraque furieusement tout au long de Bemsha Swing ! Qu'est-ce que c'est que cette maison de fous ? Vous appelez ça un disque de jazz ? (...)

(p. 166 à 169)
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Durant l'hiver 53-54, Henri Renaud, pianiste et compositeur confirmé de la première génération des boppers français, se rend à New York pour y effectuer des enregistrements et rencontre Monk. Choc. Venu pour se frotter aux jeunes Turcs new-yorkais, le voilà qui tombe sur le grand Mamamouchi en personne. Pas farouche, Monk lui ouvre les portes de sa maison, et ils se lient bientôt d'amitié. Un soir peut-être plus philosophique que d'autres, raconte Henri, voici nos deux pianistes sur les berges de Manhattan, assis face à l'East River qui se perd quelques milles plus loin dans l'Atlantique. Je me demande, fait Thelonious pensif, ce qu'il peut y avoir de l'autre côté de l'océan... La fréquentation de Monk ayant appris à Renaud qu'il ne posait jamais de questions pour rien, ce dernier lui fit savoir qu'il y avait peut-être un moyen de lui faire voir au moins la France.
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Imaginons une chèvre : on a les tripes pour faire les cordes, la peau pour les tambours, les os font des baguettes acceptables, et on mange le reste avec le sentiment de ne pas avoir perdu sa journée.
L’orchestre à quatre pattes ! En revanche, les autres instruments sont une affaire d’ingénieurs. Combien de pièces dans la mécanique d’un piano ? Combien de coudes entre l’embouchure et le pavillon de la trompette ? Et les clés du saxophone, comment ça marche tous ces tampons ? Difficile à dire ! Mais une basse ou une batterie, un enfant de trois ans comprend comment ça marche. On pince, on tire, on tape, et roulez jeunesse ! Poum poum ! Ca fait longtemps qu’ils traînent dans la musique, ces deux-là, on a tellement l’habitude de les voir depuis la nuit des temps, qu’on ne fait plus attention à eux, pensez-vous, la tripe et la peau, c’est la vieille paire, pas de quoi en faire un plat.
Avec le be-bop, les voilà seuls. Finis, les chauds accords de la guitare qui éclairent le bassiste et soulagent le batteur !
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New york, new york, new york,. 9a grouille, là-dedans. Le monde enter s'y concentre. Un grand, grand salon. Du verre, de la brique, du fric, du bruit, du néon, des pompiers, des trous, de étés moites. du jazz, plein.
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(...) Arrivé un soir au club avec ses trois grammes cinq de Thorazine qui lui ronronnent chaudement dans le sang, il s’approche du bar et commande un triple cognac. Il vide le verre, puis retourne dans sa loge où, aimablement sollicité par un admirateur, il s’enfile un gramme de coke dans le nez avant de monter en piste. C’est alors qu’a lieu la scène que j’ai évoquée plus haut : Monk assis, devant le piano, suant à grosses gouttes, qui enfonce les touches sans produire un seul son. À la pause, il retourne au bar où Eddie est accoudé, sourit sans desserrer les dents et lui dit : – Bon set, non ?
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Pour quoi vous levez-vous le matin ? Se construire et construire
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