Aujourd'hui c'est mercredi et mercredi, c'est... ?
« Les histoires à Berni ! »
Pour cette reprise des contes du mercredi, les enfants ont crié à l'unisson ces quelques mots comme un cri de ralliement.
Sandrine la maîtresse d'école a fait entrer les élèves qui jouaient dans la cour de récréation. Ils étaient tellement heureux de retrouver ce rituel hebdomadaire qu'ils sont entrés dans la classe à la queue leu leu en se dandinant et en chantant : ♫ Il en faut peu pour être heureux ♬ vraiment très peu pour être heureux... ♩ ♩ ♩
Je suis entré dans le cercle qu'ils venaient de former.
« Bonjour les enfants, moi aussi je suis très heureux de vous retrouver pour notre premier mercredi de l'année 2023. J'espère vous apporter joie et étonnement grâce à ces histoires insolites. Alors je compte sur vous pour votre écoute bienveillante et participative.
- Aie confianssse... » C'était la petite Chrystèle qui venait de s'exprimer en ondulant devant moi ses mains et en me lançant un regard aux yeux exorbités. Tout le monde a ri, même moi, enfin j'ai ri avec une certaine angoisse cependant.
« Ce matin, les enfants, je vais vous raconter une histoire d'amour.
- Youpi !
- Yep !
- Cool !
- Ah ?
- Oh ! »
Chacun a exprimé avec sa propre émotion et beaucoup d'éloquence l'annonce du programme.
« Oui, mais voilà c'est une histoire d'amour très compliquée, comme parfois beaucoup d'histoires d'amour... Vous allez le comprendre très rapidement et je tenais à vous le dire pour qu'il n'y ait pas de déception parmi vous... »
Alors le petit Pat s'est avancé au milieu du cercle que formaient les élèves, a simulé un micro avec son poing et s'est mis à chanter dans un swing endiablé :
♫♪ Les histoires d'A
Les histoires d'amour ♬
♫♪ Les histoires d'amour finissent mal
Les histoires d'amour finissent mal en général ♪♪
♪ ♫ Yeah, yeah, yeah
Ho, ho ♬
Le petit Pat a été ovationné comme il se doit par tout l'auditoire y compris évidemment par Sandrine la maîtresse d'école et moi-même.
« Oh ! Pat ! Tu es notre jukebox préféré ! s'est alors écrié la petite Anna serrant les mains contre son coeur. »
J'ai poursuivi mon récit en essayant de me concentrer, ce n'était pas facile.
L'histoire s'appelle
La promesse et c'est aussi le thème de ce récit.
Déjà le format du livre correspond totalement à l'histoire racontée : on tourne le livre à 90° dans le sens horizontal de façon à avoir la page de gauche en haut et celle de droite en bas. Dès lors, cela fait apparaître deux mondes délimités par la couture centrale : en haut, celui de la chenille, la terre, l'air et en bas celui du têtard, l'eau.
Un têtard et une chenille tombent amoureux l'un de l'autre. Sans réfléchir, le têtard fait
la promesse à la chenille de ne jamais changer... L'histoire commence ainsi dans un langage très poétique...
« Là où le saule rencontre l'eau, un têtard rencontra une chenille. Ils se regardèrent dans les yeux, de tout petits yeux...
... et tombèrent amoureux. Elle était pour lui son joli arc-en-ciel...
... et ils était pour elle sa belle perle noire.
- J'aime tout chez toi, déclara le têtard.
- J'aime tout chez toi, déclara la chenille. Promets-moi de ne jamais changer.
- Je te le promets, répondit le têtard. »
Alors, j'ai demandé aux enfants : « À votre avis, qu'adviendra-t-il de leur amour ? Que s'est-il passé ?
- Elle n'a pas tenu sa promesse la chenille, s'est écrié le petit Paul, elle a fini par partir.
- Ben voyons, quel préjugé ! s'est exclamé indignée la petite Isa. Pourquoi ce ne serait pas le têtard qui n'aurait pas tenu sa promesse.
- Ils ont grandi, a dit la petite Fanny.
- Ils ont changé, a dit la petite Doriane.
- Ils se sont perdus de vue, a dit la petite
Anne-Sophie.
- Elle est partie avec un autre, a proposé le petit Pat.
- Il est parti avec une autre, a renchérit la petite Domm. »
Vraiment, ils ne manquaient pas d'imagination et je sentais déjà que la relève était déjà assurée.
- Moi je dis que les coups de foudre, c'est jamais bon, dit la petite Nico.
- Faut pas généraliser, lui a répondu la petite Chrystèle.
- Ils sont trop différents, ça ne pouvait pas marcher, a dit la petite Marie-Caroline.
- Mais ce n'est pas parce qu'on est différent l'un de l'autre qu'on ne peut pas s'aimer, s'est exclamée la petite Anna.
- Oui mais là ils sont VRAIMENT différents, insista la petite Francine, si tu vois ce que je veux dire. »
Alors j'ai poursuivi pour raconter la fin de l'histoire.
Mais la fois suivante, le têtard se présente avec deux pattes, bien malgré lui, puis quatre pattes, et enfin sans sa queue.
La chenille, se sentant trahie, remonte dans son arbre, et après un long sommeil, elle réapparaît… en papillon.
Le têtard, lui, est devenu grenouille, et comme il est dans la nature des grenouilles de manger les papillons, ils se retrouvent d'une bien cruelle façon... Aïe ! Aïe ! Aïe ! »
Je craignais que les enfants m'en veuillent de la fin cruelle de cette histoire, car oui la fin est terrible :
« Et, posé sur son nénuphar,
l'ancien têtard attendait patiemment...
... qu'un jour lui revienne son joli arc-en-ciel. Il se disait que la vie était décidément bien cruelle envers lui.
... Mais c'est la vie, petit ! »
Quelqu'un parmi l'auditoire a murmuré « Gloups ! ». La petite Fanny a fait du mieux qu'elle a pu pour contenir ses larmes, tandis que la petite Romileon essayait de la consoler du mieux qu'elle pouvait. La petite Gaëlle s'est avancée dans le cercle vers moi : « Elle est belle ton histoire, camarade, ce n'est pas grave si elle finit mal, c'est vrai, c'est comme ça un peu la vie parfois... »
Voici en effet un conte qui tourne en dérision le traditionnel happy end des histoires d'amour.
Ce récit est un régal d'humour pour dire que la vie est parfois cruelle. le texte de Jeanne Willis et les illustrations de
Tony Ross rendent ce propos à la fois poétique et désopilant.
Avec Sandrine, nous avons cependant relativisé par rapport à la cruauté du texte, il ne fallait surtout pas faire d'amalgame. L'amour accepte
la différence, mais la nature est un autre monde, avec ses règles qu'il faut accepter et qu'on ne peut pas transférer dans le monde des humains.
- C'est quoi un amalgame ? a demandé la petite Domm.
- C'est comme faire des parallèles, ai-je répondu.
- Oh Non, pitié ! a fait le petit
Jean-Michel qui se souvenait d'un exercice de géométrie la veille et qui lui avait donné du fil à retordre. »
La petite Sylvie s'est avancée vers moi, ses poings posés sur les hanches en me jaugeant de son regard perçant. « Bon, Berni, tu veux en venir où ? C'est quoi la morale de cette histoire ? Venons-en aux faits... »
Sandrine la maîtresse d'école a répondu que l'idée était simplement de montrer que tous les contes ne finissent pas toujours bien.
Puis elle a invité à revenir au thème principal du livre et a proposé un échange avec les enfants sur ce qu'est une promesse. Chaque enfant a pu exprimer son point de vue sur
la promesse. Qu'est-ce qu'une promesse ? Doit-on respecter la parole donnée ? Pourquoi est-ce parfois difficile ? Qu'est-ce qu'une promesse non tenue ? À quoi la reconnaît-on ?
Sur ce dernier point la petite Doriane a dit que pour elle, une promesse non tenue c'était un magnifique calendrier de l'Avent sans chocolats.
« Et toi, Berni-Chou, tu nous fais
la promesse de revenir tous les mercredis nous raconter une histoire, hein ? demanda la petite Nico d'une voix étranglée par l'émotion.
- Non, je sais que je ne pourrai pas tenir cette promesse, mais je reviendrai le plus souvent possible. »
Puis le caméléon du petit Paul a commencé à lorgner étrangement une mouche qui commençait à l'agacer sérieusement. Je sentais qu'une nouvelle histoire cruelle allait se reproduire sans tarder dans la classe.
Et Sandrine la maîtresse d'école a conclu la matinée en promettant qu'ils étudieraient bientôt la croissance des têtards en allant en observer quelques-uns dans leur milieu naturel. Tous les élèves ont applaudi à cette annonce.
C'était une promesse et je savais qu'elle la tiendrait...