AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,83

sur 2304 notes
Clarissa est d'un tel ennui… le début du roman nous montre un personnage assommant dont l'esprit semble seulement mobilisé à songer à l'organisation de sa soirée mondaine. Et les fleurs, et l'ambiance, et les invités… Vite, une ballade à l'extérieur pour se changer les idées ! Malheureusement, la vue du paysage alentour n'apporte pas plus de réconfort au lecteur. Et tel détail rappelle tel souvenir anodin, lorsqu'il ne conduit pas à un déchaînement d'impressions lyriques sans aucun rapport avec leur motif. Ridicule de s'enthousiasmer pour si peu. Cela sonne faux. A quoi donc se dope Clarissa ? Peut-être à rien, finalement… Tout reste tellement terre-à-terre, pragmatique… Est-ce cela la vie de l'esprit ? Se tourner vers des détails, tout analyser, tout observer, créer sans cesse des liens entre tel élément de l'extérieur qui rappellerait tel souvenir passé, telle projection future, qui ferait écho à tel sentiment présent ? La conscience ne serait-elle vraiment qu'une stimulation incessante de la pensée ? L'esprit qu'on presse comme un citron pour en extraire jusqu'à la dernière goutte d'insignifiance ?

Les premières pages sont vraiment indigestes. On se prendrait presque à détester la nature humaine qui se sent obligée de décortiquer le moindre geste insignifiant sous prétexte de rentabiliser sa cervelle. Dans un sens, c'est fait exprès, et Virginia Woolf délaisse intentionnellement l'intrigue au profit de l'introspection et de la valorisation de la vie intime de l'individu. Reste maintenant à savoir si cette vie intime, telle qu'elle nous est présentée, ne relève pas à son tour de l'affabulation pure. Pour moi, la réponse est claire : oui. L'essai n'est pas concluant. Sans révolutionner particulièrement la narration, la volonté de faire évoluer parallèlement six consciences différentes au cours d'une seule journée de juin 1923, à Londres, rend le récit inutilement alambiqué. Les sauts entre les différentes consciences sont suggérés et le va-et-vient incessant entre réalité extérieure et pensée intime se traduit par des procédés lourds, qui ont au moins le mérite de représenter de manière réaliste la difficulté de passer d'un monde à un autre. Ceci mêlé au style de Woolf, déjà suffisamment pompeux à la base, rend la lecture ennuyeuse et inutilement compliquée. Des ambitions d'écriture aussi élevées présentent-elles un quelconque intérêt lorsqu'on s'attarde seulement à décrire une rue animée, la composition d'un bouquet de fleurs ou un ciel étoilé ?

Heureusement, les thèmes abordés par Woolf ne se limitent pas à cette multiplication de détails. Dans son désir de saisir la complexité de l'être, partagé entre superficialité mondaine et profondeur psychologique, les consciences subissent elles aussi des décorticages minutieux qui dessinent un maillage étroit de liens entre les personnages. L'évocation des souvenirs, des sentiments passés et présents, des conceptions différentes, les rapprochent ou les éloignent sans cesse. On s'approche d'eux de manière sincère, avant d'être étourdi par le gouffre qui se creuse entre ce que l'on sait d'eux, intimement, et ce qu'ils souhaitent montrer en spectacle, dans leurs rapports quotidiens avec les autres. Ce n'est sans doute pas une grande découverte de réaliser que le jeu des conventions nécessite de dissimuler certains de ses aspects et d'en faire ressortir d'autres, mais il est intéressant, dans ce livre, de lier la nature première des personnages avec ce qu'ils décident de révéler d'eux lorsqu'ils évoluent dans la mondanité. Dans cette manière de se dérober aux yeux des autres, on peut quand même deviner certains aspects de leur véritable caractère. Seul Septimus, engoncé dans sa folie, semble échapper à ce jeu de mascarades, et c'est pourquoi il effraie : sa femme, les médecins, les passants… Psychologiquement anéanti par l'expérience de la guerre, il retrouve une part de quiétude en hallucinant. Tout lui parle : les arbres, les oiseaux, la lumière lui font des signes et lui confirment qu'il est sur le bon chemin. le médecin veut l'envoyer en maison de repos, sa femme le hait, partagée entre terreur et pitié, mais Septimus est détaché de tout cela et s'embarque dans des passages magnifiques qui font jaillir en lui une foi et des espoirs que la réalité ne lui avait jamais permis de connaître. Dans la même lignée que Septimus, Clarissa offre aussi des réflexions lumineuses et inspirées qui essaient de s'imposer face au monstre qui accapare trop souvent sa quiétude.

Mrs Dalloway est à l'image de ses personnages : il engourdit le lecteur dans de longues phrases ampoulées qui soulignent le paraître mais, au milieu d'une torpeur qui n'est ni agréable, ni désagréable, l'illumination apparaît. Des passages lumineux et limpides se défont de la masse compacte du reste du livre. Ces moments justifient à eux seuls la lenteur et l'ennui du reste du texte. L'ambition de retranscrire le sentiment d'une journée ordinaire est accomplie : au milieu d'un immense ennui qui porte soit au mépris, soit à la lassitude, surgit soudain un évènement qui s'inscrit hors du temps et qui colore l'esprit pour lui donner la force de poursuivre son calvaire monotone.

Lien : http://colimasson.over-blog...
Commenter  J’apprécie          150
Je ne connaissais rien de Virginia Woolf lorsque j'ai entrepris de lire ce livre.
Ma première impression a été qu'il fallait s'accrocher pour suivre le récit, que celui-ci partait un peu dans tous les sens. Cela m'a fait penser à Proust et ses phrases longues.
Ensuite, l'impression que les idées de la narratrice papillonnent, comme si nous suivions le fil de ses pensées, comme un courant d'air qui visiterait les branches des arbres alentours et où chaque branche effleurée serait la description d'un nouveau personnage.
Nous passons des pensées de l'un aux pensées de l'autre, le style change et nous tissons peu à peu une toile qui révèle non seulement les doutes de Mrs Dalloway sur sa vie amoureuse, mais peint également un décor typique de l'Angleterre des années 30.
J'ai aimé la poésie de cette oeuvre, perdre le fil et me laisser porter par les mots jusqu'à y retrouver du sens. C'est une expérience plaisante.
Commenter  J’apprécie          140
Second livre que je lis de Virginia Woolf après le Paradis est une lecture continue, Mrs Dalloway m'a enchantée ! Je m'attendais à un texte difficile d'accès, mais j'ai pris un réel plaisir à me laisser porter par la plume de l'autrice.

Nous sommes à Londres, cinq ans après la fin de la Première Guerre mondiale et nous suivons la journée de Clarissa Dalloway, qui a décidé de donner une soirée le soir même, ainsi que celle des personnes qu'elle croise. le roman se déploie, au gré des pensées des personnages et de leur promenade dans Londres, une galerie de portraits. Nous faisons ainsi la connaissance de Peter Walsh, ancien prétendant de Clarissa tout juste revenu d'Inde, et de Lucrezia italienne mariée à Septimus qui souffre de stress post-traumatique depuis la fin de la guerre. J'ai été particulièrement touchée par la détresse et la solitude de Lucrezia, dont les pensées retournent souvent à ses soeurs, restées en Italie.

J'ai été totalement immergée dans les rues londoniennes et j'avais l'impression que c'était mon propre regard qui se posait sur les yeux des passants. L'écriture de Virginia Woolf convoque les sens du lecteur et ajoute à cette impression : j'entendais Big Ben sonner et je sentais l'odeur des fleurs. le texte, comme les personnages, est en mouvement et se tisse avec une grande fluidité, touche par touche, impression par impression. Car, comme l'écrit Virginia Woolf, les choses sont liées par « un fil d'araignée », lien invisible, mais bien présent qui tient ensemble toutes choses.

Virginia Woolf dépeint une société mondaine très fermée, dans laquelle apparence, mépris et snobisme sont rois. Clarissa évolue dans un cercle où l'on se connait et se reconnait. Sa soirée en est d'ailleurs l'apothéose, chaque invité est annoncé et Mrs Dalloway, car elle n'est plus Clarissa à ce moment-là, elle revêt son costume social, navigue entre eux.

J'ai été agréablement surprise de trouver certains sujets que je ne m'attendais pas à trouver dans le roman. Il y est question de santé mentale et d'homosexualité. Les personnages ferment les yeux sur ces sujets, mais malgré cela, Virginia Woolf nous les donne à lire et ne les cache pas. Elle évoque également la place des femmes et j'ai eu beaucoup de sympathie pour Lady Bruton qui ne peut pas être une dirigeante comme les hommes de sa lignée et pour Clarissa qui, à 52 ans, est vue comme une vieille femme.



Les souvenirs tiennent une grande place dans Mrs Dalloway, les pensées des personnages y revenant immanquablement. Les personnages songent à leurs amours anciennes, qu'est-ce qui aurait pu être autrement ? et la nostalgie occupe leur coeur. La guerre est passée par là, des mariages ont été célébrés, le monde a changé, pourtant, certains personnages restent ancrés dans le passé. Dans cet univers, quelle part de ce que l'on a été reste dans ce que l'on est aujourd'hui ?

Mrs Dalloway met un avant un thème que j'aime trouver dans la littérature : celui de l'identité. Les personnages ne s'appartiennent pas à eux-mêmes, ils sont sans cesse soumis au regard des autres, et c'est celui-ci qui les définit. Cependant, la multiplicité des points de vue ne garantit en rien un portrait véritable. le temps et les événements façonnent également les personnages : la jeune et impétueuse Sally du passé est une tout autre personne que Lady Rosseter, celle du présent, mariée et mère de cinq garçons. À cela s'ajoute nos émotions que l'on calque invariablement sur les autres. Il est ainsi difficile, voire impossible, de saisir les personnages. On croit en faire une esquisse puis ils se meuvent dans une autre direction.

Je n'ai pas encore dit de mot concernant l'édition illustrée que j'ai lue (Editions Tibert 2018). le livre objet est très beau et c'est un plaisir de parcourir le texte de Virginia Woolf ; celui-ci n'est pas découpé en chapitres mais la mise en page, très aérée, ne le rend pas lourd du tout. Nathalie Novi développe dans ses illustrations un univers onirique et coloré, dans lequel les fleurs s'épanouissent en majesté. Je m'attendais cependant à ce qu'elles soient plus nombreuses.

J'ai lu Mrs Dalloway comme une succession d'impressions. C'est un roman du sensible qui parle de ce qui fait l'intimité de l'être avec une telle acuité qu'il nous parle encore aujourd'hui.
Lien : https://monrockingchair.word..
Commenter  J’apprécie          140
cela fait deux semaine que je traîne ce livre comme un boulet.
j'adore l'écriture de virginia wolf et j'ai toujours aimé ses livres (celui là y compris me semblait il).
mais là.... ça traîne , ça traîne... les multiples pensées des personnages se traînent malgré une écriture toujours époustouflante!
j'ai attribué cela a la fatigue, mais,ayant changé de livre, je peux voir qu'il n'en est rien: ennuyeux tout simplement!
Commenter  J’apprécie          140
"Qui a peur de Virginia Woolf ?" Eh bien, c'était mon cas, car j'avais essayé de lire "To the lighthouse" en anglais (La promenade au phare) et le style superbe mais difficile de cette grande écrivaine m'avait résisté, bref j'avais abandonné...
Intriguée par la lecture récente du roman de Michael Cunningham "The Hours", et par l'hommage rendu à V. Woolf et à son roman "Mrs Dalloway", je n'y ai plus tenu et entamé la lecture, d'abord en anglais, pour apprécier les qualités de l'écriture, puis en français, pour vérifier ma compréhension...

Maîtrise d'un style de grande classe, allégresse, élan poétique, voilà les premières impressions que j'en ai retirées. La fluidité des impressions, le flux de conscience, le fameux "stream of consciousness" qui traverse les quelques personnages du roman, relatent "vingt-quatre heures de la vie d'une femme", Clarissa Dalloway, une élégante quinquagénaire londonienne de la grande bourgeoisie.

La technique romanesque est entièrement novatrice. Tout se passe dans la tête des personnages, que nous ne découvrons pas par le biais d'une analyse psychologique, mais par le flux d'impressions, de pensées, de sentiments dont ils sont le réceptacle, le tout écrit à la 3ème personne, sans presque jamais utiliser le « je ». Le roman se déroule en une seule journée, sans pauses ni chapitres, dans une évocation impressionniste du ressenti des personnages gravitant presque tous autour de Mrs Dalloway. Seuls Septimus Warren Smith et sa femme Lucrezia, qui se promènent eux aussi dans Londres, n’appartiennent pas à l’entourage de l’héroïne. Mais entre la mondaine un peu snob, à l'esprit d'observation satirique bien aiguisé, aux souvenirs nostalgiques, et le jeune employé revenu indemne et marié de la 1ère guerre mondiale, mais de plus en plus fragile mentalement, quoi de commun ? Rien, si ce n'est de vivre dans la même ville et de se croiser fortuitement.

Clarissa est le versant lumineux du livre, avec ses interrogations sur ses amours et ses choix passés, ses doutes sur l'homme qu'il lui aurait fallu, le raisonnable Richard, qui la rend pourtant très heureuse, ou le fantasque et original Peter Walsh, un gentleman certes, mais un peu raté, un peu puéril, avec ses amours déraisonnables, la nostalgie aussi de son amitié amoureuse de jeunesse pour Sally, si vive, si brillante. Elle est à un âge où elle séduit encore, mais où la relève des générations est incarnée par sa fille Elizabeth, dix-sept ans, à la beauté naissante. Cette belle journée de juin s'ouvre sur l'agréable perspective de la réception du soir, mais elle est aussi, avec le passage des heures, le moment d'un bilan sur sa vie passée, rappelée par le retour de Peter.

Septimus, quant à lui, en est le côté sombre et tourmenté. Frappé par un délire de plus en plus envahissant, à la consternation de sa femme amoureuse et attentive, il représente la souffrance de l'instabilité mentale, du monde mouvant des hallucinations et des angoisses, des fantômes et des hantises, nées en partie du traumatisme de la guerre, avec les apparitions de son lieutenant mort au front. Les soins qui lui sont dispensés par deux redoutables praticiens dépourvus de toute empathie et prônant la normalité et l'isolement, réparateur selon eux, mais qui couperait Septimus de l'amour et de la présence de Lucrezia, vont s’avérer plus que néfastes.

Tout autour bruit la vie londonienne dont on sent l'auteur amoureuse. La beauté des parcs, les cérémonies et monuments, les aéroplanes dans le ciel et les sommités dans leur automobile privée, les beaux quartiers et ceux plus ordinaires où vivent les gens simples, les jolis magasins où s'étale le luxe, les défilés martiaux, mais aussi les gens, les jeunes, qui sortent le soir dans une atmosphère de fébrilité heureuse, sous le timbre grave des heures de Big Ben qui retentissent par cercles successifs sur toute la capitale, tout un monde citadin épanoui et attirant est ainsi évoqué, non sans que soient critiqués certains aspects politico-militaires de l'Empire britannique, comme on le remarque dans les portraits satiriques de Hugh Whitbread ou de Lady Bruton.

La soirée voit les deux personnages de Clarissa et de Septimus croiser virtuellement leur problématique de l'existence : faut-il embrasser la fuite hors du monde, étreindre dans la mort ce centre intérieur inaccessible que les futilités et distractions mondaines font oublier, ou faut-il continuer ? Avoir confiance surtout dans l’importance du sentiment ? Le roman se conclut sur ce questionnement, qui est celui sur le sens de la vie, du temps et de la mort.

Il serait erroné, à mon sens, et d'interpréter cette œuvre à la lumière des éléments biographiques connus de la vie de Virginia Woolf. Certes elle a une connaissance intime de la maladie mentale, mais son opus dépasse de beaucoup cette analyse réductrice. L'intelligence, la sensibilité, l'humour, la poésie, la splendide beauté du style sont là, et ce sont tous ces atouts qui rendent "Mrs Dalloway" inoubliable et superbe.

Il ne faut pas hésiter à lire les grands auteurs, Cervantès, Tolstoï, Gogol, Svevo, Pirandello, Woolf. Les classiques, c'est la grande classe !
Commenter  J’apprécie          142
J'ai une tendresse particulière pour Mrs Dalloway, pour le personnage et pour le roman que j'ai relu récemment, 30 ans après l'avoir étudié à la fac. Non seulement parce que je pense que c'est le livre le plus abouti de Virginia Woolf mais aussi parce qu'il préfigure d'une façon prémonitoire la fin dramatique de l'auteur dans la description des hallucinations de Septimus et son geste de désespoir à la perspective d'être enfermé. Ces passages sont d'autant plus poignants quand on sait que Virginia Woolf a connu elle-aussi des hallucinations, a été enfermée plusieurs fois, a subi le discours savant de médecins bien attentionnés et a fini par se jeter dans l'Ouse pour échapper à la folie.
Commenter  J’apprécie          140
Les heures sonnent. Big Ben donne son rythme à Londres. Une femme élégante sort de chez elle pour acheter des fleurs. C'est Clarissa Dalloway. le soir de ce beau jour de juin qui s'annonce, elle et son époux, Richard Dalloway, membre de la chambre des communes, donnent une réception où se pressera le tout Londres. Et, de retour chez elle, dans le très huppé quartier de Westminster, tandis que Clarissa reprise une robe verte, un homme sonne à sa porte. Elle reconnaît Peter Walsh, son ami et amour de jeunesse, revenu des Indes pour régler certaines affaires à Londres. le temps d'une journée, des préparatifs de la réception aux frustrations et agacements d'une vie mondaine, Mrs Dalloway donne à voir le portrait d'une femme de la haute société londonienne à travers le flot de ses états d'âme. Roman de l'intime et roman de la sociabilité, Mrs Dalloway est aussi, en filigrane, un roman de ce Londres impérial où se croisent une certaine idée de l'empire et sa réalité.

Il ne s'agira pas ici de proposer un résumé du roman. D'une part, parce que cela serait inutile, car rien de ce que l'on pourrait en dire d'intéressant n'est lié aux événements qui y sont décrits : ni la visite de Clarissa chez le fleuriste, ni les pérégrinations de cette dernière, de sa fille Elizabeth ou de Peter Walsh dans les rues de la capitale britannique ne sauraient constituer quelque élément significatif. D'autre part, et ce deuxième argument explique le premier, parce que Virginia Woolf ne considérait pas l'intrigue comme un élément important, structurant, d'un roman. En cela, Mrs Dalloway se rapproche probablement d'un Ulysse, publié par James Joyce sous sa forme entière en 1922, soit deux ans à peine avant le roman de Virginia Woolf. Cependant, les oeuvres de Woolf et de Joyce diffèrent. le Londres de l'une n'est pas le Dublin de l'autre. La grande capitale du plus vaste empire du monde apparaît, dans sa réalité géographique, en second plan dans le roman de Virginia Woolf. Bien-sûr, il y a Big Ben, dont les heures sonnées rythment le roman, et qui auraient pu donner un titre au roman (Les Heures). A maints égards, Big Ben est un symbole, de Londres d'abord, sur laquelle il veille, pour laquelle il définit le juste temps, celui à partir duquel le monde entier s'accorde, des plus proches églises londoniennes jusqu'aux plus lointains confins de l'empire ; du temps qui passe, ensuite, puisque la mélancolie du passé et l'incertitude de l'avenir nourrissent les réflexions de Clarissa Dalloway. Londres se résume rapidement au seul quartier de Westminster, entre l'abbatiale éponyme et St James' Park, au plus près des lieux de pouvoir, du palais royal à la demeure du Premier Ministre en passant par le Parlement. Hormis Bond street, où Clarissa va acheter les fleurs, et le Strand où Elizabeth, la fille de Clarissa, s'aventure en prenant le bus à impériale, Londres est une rumeur, un arrière-plan. La géographie de la haute société anglaise s'accommode seulement des demeures de campagne, comme à Bourton, dans les Cotswolds, en ce qui concerne la famille de Clarissa.
f
L'originalité de Mrs Dalloway tient alors à la part tout à fait considérable, quasi totale, dédiée à l'intime, à ces flots de pensées, de souvenirs, de considérations propres à chacun des personnages, et à eux seuls. En ce sens, deux personnages, particulièrement, livrent au lecteur les secrets de leurs âmes. Il s'agit de Clarissa Dalloway, en premier lieu, et de Septimus Warren Smith, en second lieu, qui a servi sous les drapeaux britanniques lors de la Première guerre mondiale et qui en est revenu traumatisé. Ce personnage de Septimus apparaît d'abord en contrepoint avec celui de Clarissa, tant par son statut social que par son rapport au réel. Septimus se situe effectivement à la marge de la société, comme il l'est à la marge de la réalité qu'il ne perçoit qu'à travers ses illusions visuelles et auditives. Son ami, tué à la guerre, lui vient en visite tandis que son épouse, une Italienne rencontrée à Milan et nommée Lucrezia, désespère de le voir ainsi, ailleurs déjà, loin d'elle, guettant les moindres signes d'une amélioration de son état. Mais Septimus, plutôt que de parler à sa jeune épouse, converse plutôt avec les fantômes qui l'entourent. Son isolement - social et psychologique - étonne dans une ville aussi vaste et peuplée que Londres. de secours, Septimus n'en bénéficie pas, d'où qu'il vienne, y compris des plus éminents médecins qui nient son mal ou bien ne préconisent que du repos, et finalement ne le sauvent pas du suicide auquel le promettait son profond désespoir. C'est justement la nouvelle de cette mort qui, le soir venu, dans l'élégant quartier de Westminster, bouleverse Clarissa Dalloway, tissant finalement un lien intime entre Clarissa et Septimus. Clarissa ressent ainsi une intense sympathie à l'égard de Septimus, à l'opposé de l'aversion qu'elle éprouve à l'égard du docteur Bradshaw, sympathie par ce que Clarissa a elle-même pensé à sa propre mort. Cette évocation finale de la mort intervient alors même que la vie sociale de Clarissa connaît son acmé avec la réussite de la réception, à laquelle s'est même rendu le Premier Ministre. Pour la comprendre, il faut revenir sur la journée de Clarissa Dalloway.

Mariée à Richard Dalloway, Clarissa connut, dans sa jeunesse, une passion amoureuse avec Peter Walsh. Cette jeunesse se résume aux vacances d'été passées dans les Cotswolds, au sein d'une famille stricte à côté de laquelle détonnait son amie, Sally Seton. Pour elle, nous fait comprendre Virginia Woolf, Clarissa a ressenti une attirance, probablement purement physique. de ces deux éléments pour le moins originaux - l'attirance homosexuelle, la passion amoureuse pour un jeune homme en décalage avec les ambitions attendues d'un membre de la bonne société britannique -, Clarissa a choisi de se détacher, et d'épouser Richard Dalloway. Bien lui en a pris, pourrait-on penser : Richard a grimpé les échelons du cursus honorum britannique, et est désormais l'un des membres de cette démocratie monarchiste qu'est le Royaume-Uni. Pendant presque trente ans, Peter Walsh et Sally Seton ont disparu de sa vie. le retour inattendu de Peter ouvre donc les portes du passé, celles des regrets, ou plutôt de cette incertitude que laisse planer la question : et si elle l'avait épousé ? Peter, d'ailleurs, n'a pas changé. Il est toujours extrêmement sensible - il pleure lorsqu'ils se retrouvent ; mais les larmes sont-elles dignes d'un homme respectable ? -, et il a gardé cette manie de triturer son couteau de poche. Qu'espère-t-il ? On ne sait exactement, on se doute bien cependant, que la visite a pour lui quelque chose d'obligatoire, dictée par son coeur, son jeune coeur trahi trente ans auparavant, et qui vient constater l'horrible défaite amoureuse et espère imprudemment que l'amour, enfin, va triompher. Naturellement, il n'en est rien. Clarissa n'est plus, du moins en public, car dans l'intime, elle doute ; mais il y a la réception, ces invités dont on redoute qu'ils ne viennent pas, ces invités dont on déplore la visite improviste. Il y a aussi les silences, ceux de toute une vie, qui ont déjà tout dit, ont déjà choisi, ont parlé brutalement à Peter Walsh pour lui signifier que, non, Clarissa ne porterait pas son nom. Sous Mrs Dalloway, Clarissa revient à la surface. On l'apprécie, on la respecte, dans le monde feutré des salons londoniens. Mais sa fille, Elizabeth, est tombée sous l'influence de sa préceptrice allemande. Mais son mari, Richard, est seul invité chez Lady Bruton pour parler de l'émigration des jeunes filles au Canada. Mais entre ceux qu'elle envie et ceux qu'elle domine, et parfois qu'elle méprise (Mrs Kilman, Mrs Henderson), Clarissa peine à trouver un sens à sa vie, celle de Mrs Dalloway.

Il est remarquable que quelques heures à peine de la vie d'une femme dise tant. Tant de son époque, tant de son milieu géographique et social, tant de sa condition en tant que femme. de la condition de Clarissa Dalloway, il est donc loisible de construire un raisonnement plus large, relatif à la sociabilité londonienne, et à la place de la femme dans celle-ci. Peter Walsh l'observe : Clarissa est deux fois plus intelligente que son mari, Richard. Pourtant, continue Peter, Clarissa n'a d'autre choix que de voir le monde selon le regard de son mari. Subordination de l'épouse à son époux ; il n'est que les femmes seules, célibataires ou veuves, telle Lady Bruton, pour faire selon leurs souhaits. Encore Lady Bruton place-t-elle l'homme au-dessus de la femme. de par son genre, Clarissa n'a pas de métier dont elle toucherait quelque émolument. Sa fonction est pourtant publique : maîtresse des réceptions, elle est celle chez qui le tout-Londres doit se rendre le soir venu, le port d'attache pour ces dizaines de calèches qui emmènent leurs passagers, tels de menues barques sur les flots. Pour satisfaire à sa fonction, Clarissa fait montre du sens des conventions ; tout doit être réglé, et elle règne sur ses domestiques comme une reine sur son royaume. Les drames les plus douloureux sont les absences d'invitation, ces effacements du monde qui la condamneraient à l'isolement. Clarissa Dalloway est une fonction, elle est aussi un corps : un corps au port altier, élégant, dont tout le monde loue l'étonnante fraîcheur physique. Là aussi, le corps physique est un corps public : le corps intime n'est jamais évoqué, renfermé à jamais avec l'amour adolescent que représentaient Peter Walsh et Sally Seton. La visite impromptue de Peter Walsh fait cruellement ressentir à Clarissa la dichotomie extraordinaire qui existe entre son moi intérieur et sa personnalité extérieure. Mrs Dalloway, comme toutes les dames de son rang, de sa classe, cherche la collectivité, les rassemblements des plus hauts personnages de la société. Il y a, dans cet attrait de l'entre-soi, du prestige aussi que peut représenter la venue d'un Premier Ministre ou d'un membre de la famille royal, quelque chose qui traverse toute la société anglaise. La scène finale, où chacun se retourne discrètement, mais avec excitation, sur le passage du Premier Ministre, rappelle tout à fait l'une des scènes initiales, quand un carrosse peut-être royal provoque parmi la foule - le peuple - une liesse quasi identique. Si la visite du Premier Ministre donne lieu à quelques manifestations, certes discrètes, d'échauffement publics, la bonne tenue des convives ne cache pas les rancoeurs secrètes, ses drames, ses moqueries de bon aloi. Il en est ainsi de Hugh Whitbread, ami des Dalloway, qui tire son prestige de son travail à la Cour, mais dont on moque, dans des sourires cachés, la véritable fonction, qui est celle, véritablement, de domestique royal. Cette haute société a le sens des convenances, mais n'oublie pas les parcours de chacun, et sait mettre à nu les vulgaires et les parvenus.

De ce Mrs Dalloway, il demeure l'emprunte d'un style. Les monologues suivent les monologues, démontrant l'isolement de chacun, ses peurs et ses sentiments les plus intimes, ceux que personne n'oserait révéler en public, bien entendu. Page après page, Virginia Woolf s'applique à suivre les pensées des personnages, bondissant de subjectivités en subjectivités, d'âmes en âmes, pour en saisir la perception de la réalité. Accordant peu de pause au lecteur, et laissant peu de places aux dialogues, Virginia Woolf a livré là un récit très dense, aux phrases parfois très longues, peuplé d'impressions subjectives, et pourtant savamment rythmé, afin que toujours le mouvement demeure. de cette volonté que démontre Virginia Woolf à saisir toute la densité de chacun des moments de la journée, on pourrait dire qu'il s'agit là d'un des thèmes principaux du livre. Moments de jeunesse, moments de consécration sociale, moments de doutes intérieurs, chacun marqués par un événement précis - la rupture amoureuse avec Peter Walsh, l'arrivée du Premier Ministre, la révélation de la mort de Septimus Warren Smith -, ils surgissent un à un dans la journée de Clarissa Dalloway, banale en apparence et décisive en réalité.
Commenter  J’apprécie          133
Depuis le temps que je dois le lire, j'ai toujours eu peur d'être déçu par ce classique, déjà parce que j‘aime beaucoup l'auteure en tant que personne, mais aussi car ce livre fait partie des préférés de ma maman.
Le livre n'a pas de but précis, si ce n'est celui de suivre une femme du Londres des années 20, un peu comme dans Madame Bovary, le tout est de conter l'histoire de Mrs Dalloway, élégante, complexe mais avec un charme certain. C'est particulier comme roman, il mélange le social, la psychologie, et tout un tas d'autres concepts encore peu développés à l'époque de sa sortie, d'où son succès je suppose. Il faut s'accrocher pour le finir car il y a énormément de longueurs mais je l'ai quand même apprécié car il décrit une époque, une façon de penser désuète, avec des personnages singuliers mais indubitablement humain.
Pour être franc, je l'aurais abandonné si je n'avais pas une affinité avec l'auteure, ce n'est pas la littérature que j'aime côtoyer, surtout que je suis dans une période thriller, mais ça m'a quand même fait du bien de changer de registre. Il faut se laisser glisser dans la peau du personnage principal, comprendre son fonctionnement pour l'apprécier et ne pas être trop déprimé non plus car il n'est pas très joyeux. Ce que j'ai aimé c'est ce face-à-face avec soi, avec les autres, qu'il faut pour décrypter le roman, par exemple Mrs Dalloway est la face publique tandis que Clarissa est la face privée d'une même personne en pleine crise existentielle.
La plume est bonne, mais il faut s'armer de patience pour l'apprécier jusqu'au bout.
Commenter  J’apprécie          130
Merveilleux roman dont l'écriture nous entraîne dans la mécanique implacable d'une journée telle qu'elle est vécue par chacun des personnages. Les aiguilles de Big Ben scandent la marche du temps pendant que les fourmis humaines accomplissent à l'aveugle leur minuscule chemin de douleur et d'humanité.
Mrs Dalloway doit donner une fête le soir même dans sa confortable demeure londonienne. Elle est à la fois joyeuse et anxieuse. Elle aime recevoir, elle a des talents de société, elle oeuvre pour la carrière politique de son mari. Mais qu'est-ce qui sépare réellement son existence de la futilité, de l'inutilité voire de la douleur existentielle ? S'est-elle laissé prendre au piège des apparences au risque de perdre sa personnalité profonde ?
Son ancien soupirant, fonctionnaire aux Indes, fait un bref séjour en Angleterre. Il rend visite à Clarissa. Il ne peut s'empêcher de comparer la femme d'aujourd'hui, pour lui uniquement préoccupée de mondanités, épouse exemplaire et mère attentionnée, à la jeune fille d'autrefois, dont il comprenait le moindre changement d'humeur, la plus petite réticence. Il a perdu la Clarissa qu'il aimait et il a la fatuité de refuser celle qu'elle est devenue en se disant que si elle l'avait épousé, elle aurait donné une autre dimension à son existence. Il ne comprend pas que la nature profonde de Clarissa est inchangée, elle est maîtresse de ses choix car elle les assume avec la part de frustration que cela entraîne. Aujourd'hui, lui, à cinquante ans passés, est amoureux d'une jeune femme mariée, mère de deux enfants, qu'il a laissée en Inde. Il est un peu perdu face au défit que lui impose cet amour irraisonnable. Il a sans doute peur, car il a une médiocre idée de lui-même, c'est un homme blessé et en même temps attaché à ses principes qui l'ont conduit sur une voie très étroite, celle de la solitude.
Lucrézia est confronté à la folie de son mari, une folie qui le détache d'elle. Elle ignore qu'il l'a épousée pour fuir le souvenir de la guerre qui le ronge. L'image du bonheur se dilue dans la longue descente aux enfers de son époux. Un ultime acte de folie le jettera par la fenêtre.
Bien d'autres personnages entrecroisent leurs allées et venues, Richard Dalloway, le mari de Clarissa, sa fille adolescente, une amie de jeunesse, les relations politiques de Richard… Chaque personnalité est approchée dans le subtile mélange des faiblesses, des vanités et des blessures qui la constituent.
L'horloge universelle avance, faisant de la vie une mort et une renaissance, une fin et un recommencement.
Commenter  J’apprécie          130
Une journée de juin 1923, Mrs Clarissa Dalloway sort acheter des fleurs pour la soirée mondaine qu'elle organise le jour même. Nous allons passer cette journée en sa compagnie mais aussi avec de nombreux londoniens. Elle échangera avec certains qu'elle connaît comme Peter Walsh son amour de jeunesse et ne fera qu'en croiser d'autres et tel que Septimus Warren Smith qui ne se remet pas des horreurs de la première guerre mondiale.

Alors que d'ordinaire les paroles et les actes permettent de définir une personne Virginia Wolf va plus loin. Ses personnages croisent des personnes, ils pensent, ils ressentent, ils interagissent avec le monde qui les entourent et elle nous donne accès à toutes les facettes de leur personnalité. Qu'ils soient saints d'esprit ou non. C'est dans cette omniscience que réside le génie de cette oeuvre.

Dès les premières lignes nous sommes emportés au coeur d'une philharmonie humaine, un grand tourbillon de pensées, de petits détails, d'instants fragiles et Virginia Woolf bat la mesure tel un chef d'orchestre.
Elle convoque et ordonne le solo d'un personnage en un instant, il lui a suffit d'entendre Big Ben comme le personnage précédent, il a suffit qu'ils se croisent dans la rue et la bascule d'un personnage à l'autre le fait immédiatement.
Elle bat la mesure et nous invite à écouter l'âme humaine. Celle-ci ne se résume pas, nous sommes sans cesse en évolution, en mouvement, stimulés par le monde qui nous entoure. La réalité ne cesse de nourrir le flot de pensées qui nous habite continuellement. Et c'est ce flot qui est transcrit à la perfection dans ce roman.

Il est aussi vif et rapide que nos propres pensées, c'est un peu comme une danse, il demande une concentration extrême pour ne pas faire de faux pas. C'est pourquoi je conseille de prendre le temps de découvrir, je l'ai apprecié avec un peu de recul mais je le relirai probablement d'une traite pour en savourer encore plus le rythme.
Commenter  J’apprécie          121




Lecteurs (8294) Voir plus



Quiz Voir plus

Virginia Woolf

Virginia Woolf a grandi dans une famille que nous qualifierions de :

classique
monoparentale
recomposée

10 questions
196 lecteurs ont répondu
Thème : Virginia WoolfCréer un quiz sur ce livre

{* *}