Charlie Salter, tome 11 : La Dernière Main

Quand il se regardait dans le miroir sans ses lunettes de lecture, il se trouvait encore plutôt pas mal ; il était même capable d’occulter le fait que les collégiennes bien élevées, surtout les Noires, lui offraient maintenant à l’occasion leur place dans le métro. Bien sûr, il se disait que pour ces jeunettes, on est gâteux dès qu’on a plus de trente ans, de toute façon.

Quand vous êtes en politique, vos amis organisent des événements en partie pour recueillir des fonds, et en partie pour vous faire connaître. Selon un principe bien établi, quand on serre assez de mains et qu’on embrasse assez de bébés, on est élu.

Tatti avait l’air d’une gamine de quatorze ans toute mince, avec ses seize pouces de tour de taille. Son visage avait la teinte crème d’une peau de chamois, à l’exception de deux touches de rose aux joues. Ses cheveux raides et courts étaient couleur de bambou, et ses dents étaient légèrement de travers. Avec son menton fuyant et ses joues rebondies, elle ressemblait à un tamia. Quand elle souriait, ses joues remontaient, lui fermant les yeux. La première fois qu’il l’avait vue, Salter s’était dit qu’elle était la plus laide des jolies filles qu’il avait rencontrées – ou la plus jolie des laiderons. Quoi qu’il en soit, il reconnaissait que cette jeune fille quelconque était, sinon séduisante, en tout cas pas désagréable à regarder et d’une compagnie plutôt plaisante.

Mon père était flic, vous voyez. Ça, c’est notre tradition la plus vivace : être flic de père en fils. Ça a commencé pendant la Dépression, à l’époque où l’on ne recrutait pas de candidats qui n’avaient pas de relations avec la police. Comme dans votre club, j’imagine. Mais les choses ont changé, dernièrement : certains de nos collègues se sont penchés sur vos honoraires et ont encouragé leurs enfants à faire leur droit, eux aussi. Un peu comme des travailleurs de la construction qui ne veulent pas que leur progéniture malaxe du mortier.

Elle voulait un foyer, et lui, il voulait une partenaire. Il n’aurait jamais dû se marier. Après ça, il a eu un certain nombre de partenaires, mais pas ces dernières années. J’ai supposé qu’il commençait à être en perte de vitesse, ce qui ne l’aurait pas inquiété de toute façon : il n’aurait pas recouru aux services d’une prostituée pour essayer de regonfler sa libido. Pour lui, le sexe était une de ces activités soumises à des saisons, tout comme la Ligue des vieux croûtons.