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EAN : 9782818040379
688 pages
P.O.L. (08/09/2016)
3.3/5   71 notes
Résumé :
Vous vous réveillez dans un aéroport.

Vous ne savez pas qui vous êtes ni où vous allez.
Vous avez dans votre sac deux passeports et une lingette rince-doigts.

Vous portez un diadème scintillant et vous êtes maquillée comme une voiture volée.

Vous connaissez par coeur toutes les chansons d’Enrico Macias.

Vous êtes une fille rationnelle.

Que faites-vous ?


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Critiques, Analyses et Avis (24) Voir plus Ajouter une critique
3,3

sur 71 notes
Une jeune femme amnésique se réveille à l'aéroport de Roissy avec, dans son sac à main, deux passeports et deux trousseaux de clefs et guère davantage. Par contre, dans sa besace cognitive, elle retrouve aussi deux langues bien maîtrisées et l'aptitude à mener sa quête (double-)identitaire sur un plan éminemment dialectique, observée par un narrateur à la deuxième personne du pluriel – ce qui place instantanément le récit sous l'égide ou dans la filiation du grand roman de Butor, La Modification. Clin d'oeil adressé au lecteur ? Distanciation entre l'auteure et la protagoniste ? Dans l'un ou l'autre cas, il n'empêche pas le narrateur de renoncer à une posture surplombante, pour se faire le simple rapporteur d'un flux de conscience au cheminement non-linéaire, contradictoire même, où les synthèses sont rares et la progression parfois lente, hésitante, quaternaire, parfaitement structurée. le côté enquête d'amnésique, tel qu'on le connaît chez Modiano, est relativement moins important dans ce roman de taille pourtant considérable qu'une série de réflexions extrêmement pertinentes sur la condition du binational, du descendant d'immigrés, sur le nationalisme dans deux pays de cette Europe contemporaine héritière de la géopolitique bipolaire et confrontée à la Grande migration, mais aussi sur le bilinguisme, ainsi que sur la profession de traducteur-interprète. Les adeptes de l'enquête peuvent être déçus par la relative rareté des rebondissements mais aussi par une étonnante pénurie de descriptions matérielles – des lieux parcourus dans les deux villes (hormis deux plaques commémoratives), des objets présents dans les deux appartements, des fichiers des deux ordinateurs et même des archives familiales placées sous le lit ; même de sa propre image, Rkvaa (qui à l'évidence ignore l'invention ancienne du miroir...) ne retiendra que le traumatisme de ses grands pieds !
Mais regardons plutôt ce qui est là. Une double structure quaternaire. Non pas deux pays mais quatre : la France et la Lutringie la Yazidie et la Hongrie ; ce ne sont pas les doubles imaginaires des pays réels, mais l'expression de la différence entre ces pays vus d'ici et vus de là-bas. Ontologisation de la perception selon la position de l'observateur dans l'analyse géopolitique. Très perspicace. Quadruple posture identitaire : d'ici, puis de là-bas, puis des deux, puis de ni ni, avec plein de retours en arrière. Très juste. Quel est le point de rupture dans l'adhésion à la communauté nationale ? Ce poison qui (vous) unit à faible dosage et (vous) rejette à forte dose (voire qui vous tue) : le nationalisme. Quatre formes d'icelui et deux épisodes de franchissement du seuil, dans ces deux lieux. Très bien vu. C'est joli aussi qu'il en prenne pour son grade, le nationalisme, dans toutes ses déclinaisons.
Et d'autres choses également, au hasard de celles qui m'ont donné le plus de matière à réfléchir, ou à m'identifier. La dialectique du flux de conscience a besoin de dialogue. Pour plusieurs raisons – choix narratifs – celui avec les personnages secondaires humains est frustrant. Avant que le cahier hongrois où sont enregistrés les pensées (en quelle(s) langue(s) ?) ne soit le plus fertile, il faut Petite Taupe. Objet transitionnel, fétiche de re-conjonction à l'enfance. Une très belle trouvaille. L'on souffre de sa disparition prématurée, brutale, en cela assez symétrique avec celle du cahier. Laquelle est fonctionnelle à une chute vraiment bien menée.
Problématique du bilinguisme vs diglossie. Impossible décision entre les deux types idéaux. Incessante réversibilité des compétences absolue et relative dans la condition de polyglossie. Impossibilité de la spontanéité de l'acte de langage chez le plurilingue, qui se différencie en cela du monolingue, et en même temps aspiration identitaire du premier à « ressembler » au second pour se faire accepter de lui... L'angoisse de l'accent...
Problématique de la mémoire comme condition de l'identité, mémoire comme permanence, identité dans ses rapports à l'identique et au changeant, avec des références très prononcées à Paul Ricoeur et une qui m'a semblé absente : au fameux séminaire sur l'identité de Claude Lévi-Strauss. [Mais à moi aussi, dans un contexte plus grave, il avait été reproché d'avoir fait l'impasse sur cette référence.]
Enfin, je voudrais faire quelques considérations d'ordre stylistique. Sans verser dans un expérimentalisme per se, le plume toujours attentive et professionnellement perfectionniste de la traductrice est très évidente. J'en veux pour preuve le détail suivant : pour la première fois, à ma connaissance, la faute de français (erreur de grammaire) est utilisée en littérature comme morphème signifiant : c'est à la p. 21, où il est question de dysorthographie de la ville d'Iassag, qu'apparaissent les deux seules fautes sur 685 pages : « s'écrive » - subjonctif au lieu d'un indicatif, dans la phrase même ; et « les mêmes raisons qui vous ont conduites » - faute d'accord, deux phrases plus bas. C'est subtil. Il y a aussi des fausses lourdeurs syntaxiques çà et là, mais dont la signification est tout à fait évidente.
En outre, j'ai beaucoup aimé la foison des métaphores mathématiques ; j'ai adoré l'actualisation des jurons à la Capitaine Haddock, avec une préférence pour « espèce de salicorne des marais putrides » (p. 650) ; j'ai goûté à la présence constante d'un humour de type hyperbole absurde, notamment sur les ambitions nuptiales de l'héroïne (qui au demeurant pâtit d'une vie sentimentale et sexuelle assez lamentable) ; j'ai apprécié un usage minimaliste de la virgule (que j'ai interprété comme une réaction aux abus de ponctuation post-L.F. Céline), ainsi que l'astuce de la plus petite police pour suggérer le susurrement intérieur...

Comment mesurer la jubilation que m'a provoquée cette lecture alors que le temps seul dira le degré d'influence qu'elle aura eue ? En me ruant sur les deux autres oeuvres de l'auteure ? En multipliant les citations que j'aurais envie de transcrire ? En comptant (les doigts d'une main me suffisent) les romans que j'ai qualifiés uniquement d'intelligents ? En tentant un classement hiérarchique : top combien de l'année ? sur cinq ans ? sur dix ? sur cent livres ? sur mille livres (si j'en suis déjà à ce nombre-là) ? sur combien d'années lectorales restantes eu égard à mon espérance de vie et de vue ? À relire tout de suite ? une fois encore à l'avenir ? plusieurs fois ? autant de fois que les quelques trucs que j'ai moi-même commis ?
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Imaginez que vous avez perdu la mémoire, que vous vous réveillez au beau milieu d’un aéroport avec une valise et un diadème sur la tête. Vous êtes une femme, vous avez une trentaine d’années, de très grands pieds, et vous ne savez plus du tout ce que vous faites dans cet endroit. Vous ouvrez votre sac et vous y trouvez deux passeports, deux jeux de clés et une petite lingette rince-doigt.
Tel est le scénario de départ de Double nationalité , une épopée de de deux fois vingt trois jours passés d’abord en Lutringie (comprendre la France) et ensuite en Yasigie (comprendre la Hongrie) dans lequel l’héroïne va, non pas recouvrer sa mémoire, mais mener une auto-perquisition, découvrir qu’elle appartient à une double culture : née en France de parents hongrois, elle maîtrise les codes et la langue française de façon professionnelle –son ordinateur lui révèle qu’elle est traductrice-interprète – mais aussi le hongrois que ses parents lui ont appris, et conserver une attirance forte pour ce tout petit pays appelé à tort pays de l’Est.


« Au final, quelques heures après être entrée dans votre appartement, vous êtes toujours célibataire, vous êtes toujours une Française née de parents immigrés, toutefois votre vision de votre existence s’est grandement affinée – c’est une chance que d’avoir été frappée d’amnésie dans une société scripturale, nul besoin d’aller voir le chamane du village afin qu’il vous révèle la vérité de votre existence, vos quittances de loyer et vos relevés de points de retraite parlent d’eux-mêmes.
Vous êtes traductrice-interprète de profession. La chose est assez claire, votre curriculum vitae, vos notes d’honoraires, vos e-mails professionnels, tout concorde. Bon. Au moins vous savez pourquoi vous êtes si bien renseignée sur la vie des prostituées et des mules : vous êtes spécialisée dans le domaine juridique et vous travaillez régulièrement sur des affaires de proxénétisme et de trafic de stupéfiants. Vous exercez surtout en France, mais vous avez quelques clients en Yazigie, vous y aviez justement une mission il y a trois jours, cela explique donc votre voyage récent.»

Mais rien n’est simple, puisqu’ici tout est double.

Avec beaucoup d’humour, beaucoup de sincérité aussi, notre héroïne ou plutôt vous, – le lecteur est aussi un double du narrateur –, parce que l’auteur utilise dans tout son récit la deuxième personne du pluriel, mène l’enquête : rencontrant ceux qui sont censés être ses proches (sa meilleure amie hongroise, ses copines traductrices, sa grand-mère hongroise), fouillant dans les e-mails de son ordinateur, elle découvre de sa part un double discours.
Car au centre des deux cents premières pages, il y a la question : a-t-elle consciemment choisi d’habiter Budapest ? Et dans ce cas, les voyages à Paris ne sont-ils que des allers-retours professionnels – comme elle l’indique à ses amis en hongrois – ou bien, à l’inverse, vit-elle à Paris et rentre-t-elle de temps à autre dans sa patrie hongroise pour entretenir le mythe d’une hongroise ayant réintégré son pays d’origine, bien que dans une situation économique plus défavorable ? Mène-t-elle une double vie ? Via Internet s’est-elle déguisée en hongroise (c’est si facile via Internet) ?
D’où son trouble et les questions qu’elle ne manque pas de se poser : Qu’est-ce que le bilinguisme ? Dans laquelle des langues trouve-t-on son identité ? Sa citoyenneté ? Sa nationalité ?
La quête identitaire menée par l’héroïne au fil des pages et de ses 23 jours passés successivement à Paris, puis à Budapest va tenter de le préciser.

En même temps qu’un récit plein de rebondissements, ce roman est écrit dans une langue parfaitement maîtrisée, mais aussi parfois étrange (sortes de lapsus dans l’autre langue, comme traduite), – à l’image de ses jurons : « crotte d’astéroïde elliptique ! » –, elle nous offre surtout une quadruple vision du monde, plus ou moins lacunaire selon le point de vue, point de vue français, « lutringien », hongrois, « yasigien ». L’auteur peut ainsi désamorcer nombre de poncifs – « les Hongrois n’écriraient pas en cyrillique » ; « les Français seraient sales, incultes, malpolis » ou stigmatiser certaines attitudes nationales – « la culture française s’autodéfinierait comme meilleure que toutes les autres […], à tel point que les Français seraient métaarrogants, ils se féliciteraient de se penser supérieurs tout en enrobant la chose dans un discours mielleux ». De même du côté hongrois, avec sa nostalgie du « grand pays » et ses territoires perdus, ses bains d’eau chaude et son lac Balaton.

Au passage, c’est une langue parfaitement maîtrisée qu’elle nous sert : qui en effet parmi les locuteurs français pourra donner la définition sans sourciller de déictique, d’irrédentisme (ce terme là étant cité néanmoins par Emmanuel Macron sur France Culture) de collocation (si si avec 2 L, pas celui de l’étudiant parisien, mais l’autre, celui qui accole systématiquement deux mots ensemble) ou arriverait à placer généricité et biocénotique dans le même paragraphe ? Ou bien citer Paul Ricœur (cité abondamment aussi par notre actuel Président de la République) pour expliquer :

« Votre avocat, il vous regarde avec ses yeux bleus, vous êtes bien contente d’avoir mis une jolie robe, et il poursuit, Paul Ricœur, le récit comme opération de mise en concordance, vous voyez où il veut en venir ? Non ? Ne vous inquiétez pas, c’est assez simple. Raconter une histoire, vous explique-t-il, c’est prendre des faits et les combiner, les agencer, les organiser, ce qui équivaut à impulser des intentions, à proposer une interprétation, à suggérer une chaîne causale. »


Ce qu’il y a aussi de très amusant dans ce récit, c’est la façon dont vous ou elle observe ses pensées comme sous un microscope, comme si elles avaient une vie indépendante. Il y a par exemple une pensée d’elle qui est partie à New York, et dont on a de temps en temps des nouvelles. Ou bien des pensées qui s’affrontent dans une mise en scène dialectique, chacune s’avançant tour à tour pour exprimer son point de vue. Ou bien encore des états d’âme qui se succèdent par différentes techniques, comme celle-ci pour apaiser la colère : « Toutefois votre colère, qui est laide comme toutes les colères dictées par l’amertume, qui imprime à votre esprit des plissures et des froncements, ne s’est pas encore pleinement déployée que déjà surgissent dans votre paysage mental de petites pensées bienveillantes, qui bientôt se rassemblent et entreprennent de lisser la colère, de défroisser l’amertume, c’est la compassion humaine qui arrive, une sincère compassion douce et chaude et un peu triste, les Yaziges sont un tout petit peuple avec de grandes frustrations, un tout petit peuple rongé d’être un tout petit peuple, un jour ils apprendront à s’accepter tels qu’ils sont et ils iront enfin de l’avant, comme vous et vos pieds, on n’est pas toujours conforme à ce qu’on aimerait être. »

Mais en France il y a une menace qui plane sur son parcours : une loi devrait interdire la double nationalité et les biculturels devraient choisir … On y verra bien sûr des échos avec l’actualité politique sur la déchéance de nationalité.

Il faudra attendre les pages 600 pour que le champ de vision s’élargisse et que notre héroïne se trouve confrontée à l’actualité dans toute sa brutalité : amnésique, coupée du flux quotidien d’informations, elle n’était pas au courant de l’afflux de migrants dans son pays – difficile pourtant de passer à côté lorsqu’elle va à la Gare de l’Est et qu’elle voit ses groupes en quête de traversée à destination de l’Allemagne, vers l’Occident, vers l’un des pays du G7. Mais pourquoi diable ne pas rester en Hongrie, sa « patrie-chérie » ? Celle-ci serait –elle devenue inhospitalière ? Théorie impossible aux yeux de celle qui se croit redevenue hongroise par choix.
Comment peut-on être hongrois ? Réflexion sur la langue, le bilinguisme, l’identité, la nationalité et le rapport au pays, ce roman est tout cela à la fois et quelque chose de plus encore.
Dense et plein d’humour, brillant sans être pesant, les 684 pages ne sont pas du tout un pensum, ni un essai sociologique d’analyse comparée, ni un traité de pensée unique bien-pensant. Tout au contraire, Double nationalité se lit d’une traite en s’amusant beaucoup des tribulations de notre traductrice-interprète en quête d’elle-même.
A l’image de ses jurons : nom d’une crosse frigorifique !
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Attention , cette fille est folle! Mais délicieusement et intelligemment folledingue ! Si vous ouvrez ce livre, persévérez car vous serez projetés dans la quatrième dimension de son cerveau et bringuebalés comme dans un tambour de machine à laver programme textiles mélangés et essorage 1 600 tr/mn avec fous rires assurés.
Au-delà de la loufoquerie assumée et du style déjanté ( les meilleurs amis de son héroïne, Rkvaa, sont un basilic en pot ...et une taupe en peluche, re...) , l'inventivité de l'écriture se trouve dans chaque page, chaque phrase et l'intelligence de ses disgressions fait mouche. Nina Yargekov interroge sa double culture, sa place dans deux sphères, la paranoïa possible qui en découle et la recherche de son identité , par la voix de Rkvaa étourdissante de drôlerie.
Je suis sortie complètement rincée, mais ravie, de cette aventure littéraire à part, culottée, parfois irrévérencieuse .
(tiens, je vais aller m'acheter un petit pot de basilic ; il me tiendra compagnie et on discutera tous les deux...)
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D'habitude j'aime bien ça la masturbation intellectuelle mais il se trouve que ces temps-ci, je traverse une période d'abstinence intellectuelle, que vous pouvez requalifier de paresse intellectuelle si ça vous chante - ce qui fait que je refuse de me plonger dans l'histoire de la Hongrie, ou de l'Ukraine, ce qui serait plus pertinent en contexte de guerre, que je ne m'intéresserai pas à la guerre d'Algérie en bonne "Lutringueoise que je suis" ( suis-je vraiment Lutringueoise ?) et je ne prends plus non plus aucun plaisir à la lecture de livres sur la linguistique, les langues étrangères, alors même qu'il s'agissait de mes sujets de prédilection. Il semblerait que je ne sais plus ce qui me plaît, que je ne prends plus de plaisir à la lecture de Nina Yargekov que j'avais pourtant adorée dans Tuer Catherine, en fait il semblerait que je ne sais même pas si je suis vraiment Lutringeoise, ou Française, mais je suis à peu près sûre de ne pas être Yazige ou Hongroise - reste à savoir si je ne serais pas Québécoise ou Portugaise comme la morue ou la sardine de la citation.
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"Double nationalité" est un délice composé d'humour, de réflexion et d'un regard profondément troublant sur l'identité.
684 pages, c'est énorme mais on ne se doute pas à quel point il se dévore en une bouchée.
Sincèrement, j'ai été bouleversée.
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critiques presse (3)
Bibliobs
13 août 2018
Derrière la fantaisie échevelée de ce roman schizophrène entièrement écrit à la deuxième personne du pluriel, la Franco-Hongroise Nina Yargekov s'empare de la question hautement inflammable de l'identité et dynamite par l'absurde toutes les polémiques usantes autour de l'immigration.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LaLibreBelgique
15 décembre 2016
Une franche rasade de vérité sous couvert de burlesque.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Lexpress
28 novembre 2016
Une allégorie vertigineuse sur l'identité (...) un roman-fleuve passionnant, phénoménal - 700 pages de quête autobiographique.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (36) Voir plus Ajouter une citation
Ah la Roumanie. Bon la Roumanie c'est compliqué, présentement vous n'avez pas le temps de vous étendre, vous avez encore une pile de documents à examiner, mais quand même la Roumanie, oui la Roumanie est l'exemple paradigmatique, s'il fallait choisir un pays pour symboliser l’asymétrie des relations entre la France et les pays pourris du monde ce serait la Roumanie, vos excuses aux Algériens qui probablement avaient également présenté leur candidature, vous avez une réflexion trop européenne sûrement, cependant la Roumanie c'est tellement, comment le formuler, c'est l'amour unilatéral dans toute sa splendeur, les Roumains, les élites roumaines, sont exceptionnellement francophiles, il n'y a pas de mots pour décrire leur attachement à la culture française, et en échange en France on est même pas capable de citer trois écrivains roumains, on connaît Ionesco parce qu'il a écrit en français, on connaît Cioran parce qu'il a écrit en français, et ? et ? et c'est tout. (Lucian Blaga !) (Ouf.).
(p. 227-228 de l’édition de poche folio)
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« Une naissance en France est toujours un accident. C'est juste que vos parents étrangers rendent plus visible le caractère non nécessaire de la vôtre. Tous les Français de naissance sont des privilégiés. Pas uniquement vous. Pas uniquement les enfants d'immigrés. Pourquoi ne vous a-t-on pas prévenue ? Pourquoi n'est-ce pas inscrit sur votre passeport ? Les autres Français sont-ils au courant ? Chacun le sait mais personne ne s'en rappelle, voilà qui est étrange, mais c'est, mais c'est, mais c'est. Mille milliards de monocytes. C'est un privilège drapé dans une cape invisible ! […] La France est super-maligne, elle a tout prévu. Si elle est une terre d'accueil, c'est aussi parce qu'elle a besoin des immigrés et de leurs enfants sur un plan philosophique. Craignant que certains Français, par exemple des Français qui seraient très pressés et qui auraient beaucoup de soucis, ne prennent pas toujours le temps de bien réfléchir, de bien distinguer les pays et les gens, et que partant de là ces certains Français vraiment tête en l'air se mettent à croire que lorsqu'un État est inférieur à la France, ses habitants pourraient ne pas être des humains absolument égaux aux Français, ce qui serait rudement idiot mais parfois quand on vient de perdre son travail ou qu'on est en plein divorce, on fait des raccourcis de ce type, elle a décidé de prendre les devants en invitant chez elle des étrangers de basse extraction. Parce qu'elle sait qu'eux n'oublient pas. Quand on est d'origine pourrie on n'oublie jamais. Jamais. Grâce à eux, grâce à vous puisque via vos parents vous en êtes aussi, toujours en France on se souviendra du fait que personne n'a de mérite à être né où que ce soit. » (pp. 140-141)
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« Vous fermez les yeux.
Très fort : paupières serrées, crispées.
Bientôt ils seront triés.
Réfugiés, migrants économiques.
Bientôt ils seront triés.
Gentils persécutés, vilains parasites.
Bientôt ils seront triés.
Tendres agneaux, sangsues dégueulasses.
Il y aura des erreurs : certains qui réellement étaient dans une situation d'urgence n'obtiendront pas l'asile. Il y aura des rejets juridiquement corrects : à ceux qui ne correspondent pas aux critères, on dira de retourner vivre leur existence pourrie dans leur pays pourri. Tous ces refusés, la plupart de ces refusés, ont beaucoup risqué pour venir en Europe. Ils n'avaient pas de Lada, ils n'avaient pas de visa de trente jours pour l'Ouest. Ils ne se sont pas contentés de partir en vacances et d'oublier de rentrer. Ils vous regardent, ils vous demandent : et pourquoi pas nous, et pourquoi pas nous ? Vous n'avez rien à leur répondre, parce que rien ne justifie que vos parents, qui n'étaient pas persécutés, qui ne mourraient pas de faim, aient obtenu le droit de vivre à l'Ouest tandis qu'aujourd'hui ce même Ouest rejettera des personnes ayant un dossier identique. » (pp. 607-608)
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Face au retournement qui se profile vous freinez des quatre fers, vous en avez assez de changer sans cesse d’avis sur vous-même, à chaque fois il faut vous réagencer, vous réacclimater, c’est éreintant à la fin, vous n’aviez pas encore cicatrisé de la blessure de ne pas être une immigrée que vous vous transformiez en traductrice psychopathe avant de devenir une délinquante sans crime et maintenant vous êtes de nouveau yazige mais pas immigrée sauf que vous n’êtes plus si certaine, et en attendant, vous n’avez ni le temps de vous réconcilier avec vos pieds ni celui de vous chercher un mari. Cependant c’est comme les nœuds sur les ficelles, plus on tire dessus et plus on les resserre, et déjà vous êtes partie, et déjà vous redevenez Française.
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« […] mais précisément parce que vous n'êtes pas attentive au fond de son propos, vous êtes progressivement happée par les inflexions de sa voix, par ses silences, par ses scansions et par ses rythmes, qui charrient comme, c'est dans le ventre c'est dans la poitrine c'est dans le cœur, qui charrient comme, c'est l'exil c'est le retranchement c'est la brûlure, est-ce vraiment ce que vous y entendez, c'est la mésaventure de n'être pas soi de n'être pas l'autre soi de n'être qu'un seul soi d'avoir perdu arraché l'autre voie présent non advenu version pliée de l'histoire c'est le renoncement, et dans les modulations de cette prosodie vous décelez également comme une complicité naissante entre vous, comprenant ou croyant comprendre, vous ne pouvez jurer de rien dans votre état, qu'il ne lui déplairait pas de rencontrer chez vous un écho approbatif, la marque d'une communauté de destin, qu'il lui agréerait que vous lui signifiiez que oui, vous faites comme lui partie du groupe des immigrés qui viennent d'un pays tout pourri comparé à la France.
[…] Ce que vous partagez présentement avec le chauffeur de taxi, cette appartenance au Nous des gens de peu d'importance, des perdants, des minables, des désargentés, des mal sapés, des arriérés en jogging, des restés sur le quai, cette connivence des ploucs de la planète, des laissés-pour-compte, des sans voix, des sans poids, des qu'on oublie de prévenir, des qu'on n'écoute pas, des vaincus perpétuels, jamais vous ne le partagerez avec votre mari. […] La hiérarchie géopolitique ronge votre communication de couple, vous êtes mariée mais profondément seule. » (pp. 28-29)
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