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Robert Latour (Traducteur)
EAN : 9782221102084
532 pages
Robert Laffont (01/03/2005)
4.02/5   274 notes
Résumé :
April et Frank Wheeler forment un jeune ménage américain comme il y en a tant : ils s'efforcent de voir la vie à travers la fenêtre panoramique du pavillon qu'ils ont fait construire dans la banlieue new-yorkaise. Frank prend chaque jour le train pour aller travailler à New York dans le service de publicité d'une grande entreprise de machines électroniques mais, comme April, il se persuade qu'il est différent de tous ces petits-bourgeois au milieu desquels ils sont ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (55) Voir plus Ajouter une critique
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Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce roman à l'origine de l'excellent film "Les Noces Rebelles" mérite une nouvelle traduction ! Dommage qu'à l'occasion de sa réédition, Robert Laffont n'ait pas rafraîchi le mot-à-mot maladroit datant de 1962, comme il l'a fait pour l'élégante couverture à l'effigie de Leonardo DiCaprio et de Kate Winslet.

Au-delà de cet inconfort de lecture, le récit s'avère bien construit et extrêmement prenant. Dans l'Amérique des années 50, Richard Yates dissèque les codes de la vie en banlieue et la complexité des relations de couple, surtout quand il s'agit de devenir parents.

A l'aube de la trentaine, Frank et April Wheeler forment un séduisant couple avec deux enfants. Dans leur jolie maison avec fenêtre panoramique sur Revolutionary Road, ils se considèrent différents de leurs voisins tels que les Campbell ou les Givings. le travail assommant de Frank au siège social des machines Knox à New-York ne sert qu'à subvenir aux besoins des enfants. Leur routine de parents en banlieue n'a pas entamé leurs ambitions de jeunesse. Ils refusent d'avoir des pensées étriquées. Ils sont d'ailleurs prêts à tout plaquer pour aller vivre LA vraie vie en Europe... Mais si tout ceci n'était qu'un mirage ? Si, finalement, leur vraie vie était celle-ci ?

Avec l'histoire de Frank et April Wheeler, Richard Yates offre une vision sans concession de la société américaine. Sous le vernis de la modernité ou de la réussite, les mentalités évoluent peu et, par exemple, rares sont les femmes mariées qui travaillent. Dans cette société typique des années 50, on discute, on s'amuse et on boit beaucoup : bière, whisky, martini et autres cocktails. Pour ces "ménagères désespérées" et ces maris insatisfaits, c'est une manière comme une autre de combler la solitude existentielle, le « vide sans espoir » et de taire l'indicible. Celui ou celle qui ose dire la vérité ou transgresser les codes établis ne rencontrera qu'hostilité et incompréhension. Or certains mots blessent plus sûrement que des armes...

Roman subtil et bouleversant, La fenêtre panoramique est le miroir des illusions perdues.
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Ce roman de Richard Yates retrace l'histoire d'un couple, les Wheeler.
Nous suivons Frank et April, tous les deux élégants, ayant réussi, et habitant depuis peu la banlieue new-yorkaise. Ils se retrouvent dans une jolie maison blanche, d'où ils observent leur environnement depuis la fenêtre panoramique de leur salon. Ils ont renoncé à la grande ville pour une vie plus pépère et familiale, mais ils sont persuadés de valoir mieux que leurs voisins qu'ils côtoient avec courtoisie, voire hypocrisie, sans réels liens d'amitié.
Frank s'ennuie au travail mais il a une bonne situation et s'est résigné depuis longtemps. April, comédienne du dimanche, passe ses journées à la maison et s'occupe des enfants.
Le contexte est très intéressant. J'ai aimé lire la description de leur petite vie de banlieusards des années 60 et le quotidien des employés de bureau de cette grande entreprise new-yorkaise. le tout est plutôt étriqué, malgré leurs rêves de grandeurs.
Ils sont amoureux et sont enviés des voisins. Mais de violentes disputes éclatent entre eux, mettant en péril leur lien et leur union. Ils sont dans l'incapacité de communiquer, pris en étau entre leurs envies profondes d'un côté et le confort matériel et ce que l'on attend d'eux de l'autre.
Pour moi, un superbe roman ! C'est la vie d'un couple, de la rencontre magique à l'effritement du mariage, tout simplement. C'est somme toute banal, mais l'auteur m'a tenue en haleine. le roman est long, certes, mais je l'ai lu comme un thriller. La tension est palpable, les psychologies très fines. L'auteur nous emmène au coeur de ce couple avec brio. C'est un roman universel et intemporel, qui touche à une certaine vérité.
Ne vous attendez ni à une histoire d'amour, ni à de beaux sentiments, ni à un roman feel-good ! Ici, l'âme humaine est sondée, et quand l'on creuse un peu, la médiocrité n'est pas loin.
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Amateurs d'Happy Endings et de tendres histoires d'amour s'abstenir : le très grinçant roman « La fenêtre panoramique » de Richard Yates (adapté très brillamment au cinéma, il y a quelques années, sous le titre « Les noces rebelles ») n'est pas pour vous. Tout commence pourtant de la façon le plus classique du monde par un coup de foudre entre Franck Wheeler, jeune homme plein d'entrain au brillant avenir professionnel, et April, belle jeune femme cultivée. Ils s'aiment, ils s'admirent, ils sont chacun « l'être le plus intéressant » que l'autre ait jamais rencontré. Touchante illusion mais que quelques années de mariage et deux enfants plus ou moins accidentels ne tardent pas à ternir...

Huit ans plus tard, les Wheeler sont toujours un couple charmant, installé en banlieue new-yorkaise dans une coquette petite maison et grandement apprécié de leurs voisins, mais le ver s'est insinué dans la pomme. Dissimulés derrière les murs de leur joli foyer et leurs murailles de faux-semblants, les Wheeler se déchirent, ponctuant leur vie conjugale de disputes de plus en plus violentes : April méprise Franck et Franck craint April. Dans un ultime effort pour sauver leur mariage et se prouver l'un à l'autre qu'ils sont toujours les êtres exceptionnels qu'ils pensaient être huit ans plus tôt, ils prennent une décision aventureuse : quitter l'Amérique et partir en France, terre de culture et de civilisation (oulah !) où leurs potentialités pourront enfin s'épanouir. Mais, comme disait l'autre, il y a loin de la coupe aux lèvres et, loin de stabiliser les choses, ce projet hasardeux va jouer le rôle d'événement déclencheur, précipitant la crise.

Avec « la fenêtre panoramique », Richard Yates réussit l'exploit de livrer un roman à la fois profondément dérangeant et curieusement touchant. Dérangeant car il offre une image du couple bien éloignée de celle des romances habituelles : une relation fondée sur le mépris mutuelle, la passion des apparences et du conformisme (si notre vie n'est pas un conte de fée, elle ne vaut pas la peine d'être vécue…) et la peur névrotique de la solitude. Mais touchant également, car si Franck et April rivalisent souvent de puérilité et d'aveuglement – même si Franck remporte à plusieurs reprises la palme de la médiocrité, à mon avis – ils n'ont restent pas moins très humains : ils nous répugnent un peu, nous dérangent, mais nous les comprenons tout de même. Dans leurs faiblesses, leurs petites veuleries, leurs craintes infantiles, il y a un peu de nous. Un roman fort, triste et vrai que l'on referme avec au coeur une pointe de pitié glacée et de crainte : prions le ciel de ne jamais être comme eux…
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Dans les romans de Richard Yates, et celui-ci ne fait pas exception, il ne faut pas s'attendre à une fin heureuse, à des personnages joyeux et heureux de vivre mais au contraire à des personnages perdant pied dans leur vie, malheureux en amour et parfois aussi dans le travail, le tout sous couvert d'une belle petite vie bien rangée avec la maison en banlieue, le mariage heureux, le travail épanouissant et permettant de gagner confortablement sa vie ; en somme la vie de bourgeois bien conformistes.
Malvina Reynolds en son temps avait très bien illustré cette situation avec sa chanson "Little Boxes", et dans le Domaine du Mont de la Révolution il en va de même, seul le bonheur a droit de résidence : "Le Domaine du Mont de la Révolution n'avait pas été conçu pour abriter une tragédie.".

Ici nous avons donc April et Frank Wheeler, un couple bien comme il faut, habitant une grande maison dans la banlieue de New-York, parents de deux enfants, Frank travaillant à New-York dans une grande entreprise fabriquant des machines électroniques tandis qu'April est femme au foyer.
Mais passé la fenêtre panoramique de leur maison, ce conte de fées n'est plus qu'apparence : ils sont malheureux tous les deux, se disputent assez souvent et de façon violente, Frank méprise son travail tout comme il méprise par moment sa femme : "Troisièmement, il se trouve que le rôle d'un mari de banlieue muet et insensible ne me convient pas; tu as tenté de me le faire jouer depuis que nous sommes arrivés ici; mais je préférerais crever plutôt que l'assumer." et noie ses désillusions dans l'alcool ; quant à April, n'ayant jamais eu de modèle familial elle ne sait pas toujours comment se comporter avec ses enfants et fait montre d'une psychologie fragile tout en s'ennuyant ferme toute la journée dans sa belle maison de banlieue.
Ce roman n'est pas un pamphlet contre la vie en banlieue, c'est plus un pamphlet contre la volonté de conformisme des individus, de ne surtout pas sortir des sentiers battus et de chercher la sécurité à tout prix : tout le monde se marie, tout le monde a des enfants, tout le monde a sa maison en banlieue et va travailler quotidiennement en ville.
A ce sujet, le titre original "Revolutionary Road" est plus évocateur que la traduction en français puisqu'il fait référence à la révolution de 1776, année de la déclaration d'indépendance aux Etats-Unis.
Ce qui est remarquable dans ce propos, c'est que ce qui était vrai dans les années 50 l'est toujours autant aujourd'hui : gare à celui qui dévie de la norme dans sa vie, une âme bien pensante viendra vite lui signifier qu'il est anormal et qu'il devrait vite retourner sur le droit chemin sous peine de brûler dans les flammes de l'enfer.
Là où il devient amusant, c'est qu'il ne faut surtout pas pour les Wheeler et leur couple d'amis et voisins les Campbell être comme tous ces petits bourgeois qu'ils passent leur temps à critiquer lorsqu'ils se voient.
Ils se croient et se revendiquent différents, ils sont juste exactement comme eux.
La vie est un perpétuel spectacle dans lequel il faut faire bonne figure et choisir le bon costume et le bon masque, ce n'est d'ailleurs pas un hasard que ce livre s'ouvre sur une représentation théâtrale.

Je n'irai pas jusqu'à dire que je me suis attachée aux personnages, Frank est trop orgueilleux pour s'attirer ma sympathie et April trop soupe au lait pour que je puisse envisager un instant de m'identifier à elle.
Néanmoins, le propos sous-jacent à ce roman m'a vivement intéressée et j'ai été interpellée par cette dissection au scalpel de la vie d'un couple.
S'aiment-ils ou jouent-ils à s'aimer : "Prouver, prouver ... Et pour prouver encore, il avait épousé une femme qui s'était plus ou moins arrangée pour le maintenir constamment sur la défensive, qui l'aimait quand il était gentil, qui vivait selon ce qu'elle avait envie de faire, et qui pouvait à n'importe quel moment (c'était bien le comble !) à n'importe quel moment du jour ou de la nuit avoir envie de partir et de le quitter." ? Se détestent-ils et se sont-ils uniquement mis ensemble pour ne pas finir seul ? Frank est-il le plus manipulateur dans le couple : "Il avait triomphé, mais il ne se sentait pas l'âme d'un vainqueur. Il avait dirigé avec succès le cours de sa vie, mais plus que jamais il se sentait victime de l'indifférence du monde. Cela ne lui semblait pas juste." ou bien est-ce l'inverse ?
Autant de questions qui restent sans réponse, les Wheeler me font penser à des enfants qui auraient voulu grandir trop vite ou qui auraient mal grandi.
Ils ont encore des rêves plein la tête et un petit côté égoïste, leur décision de partir en Europe en est un bel exemple, à aucun moment ils ne se sont posés la question de savoir ce qu'il adviendrait de leurs enfants ni comment ils vivraient ce départ.
Néanmoins, il y a aussi quelques vérités dans ce récit : la vie de couple est difficile, il y a des hauts et des bas, mais c'est quelque chose qui se construit à deux, par le dialogue et sur la confiance.
Je n'envie pas ce couple, c'est une certitude, mais je n'ai pas non plus ressenti de dégoût pour eux à la lecture du roman.
Je les voyais se débattre dans une toile d'araignée sans réussir à s'en sortir, plutôt un modèle à ne pas retenir mais pas non plus un modèle que je condamne.
La construction du roman est également intéressante : une pièce de théâtre en ouverture avec une April comédienne ratée, un découpage de l'histoire en parties avec une alternance dans les points de vue : majoritairement celui des Wheeler mais aussi celui des Campbell et des Givings.
Ils ont un petit côté pathétique mais amusant tous ces couples à s'observer derrière la fenêtre, à épier le moindre faux pas du voisin pour se rassurer et se dire que soi-même on est différent et que cela ne pourrait jamais nous arriver.

"La fenêtre panoramique" est un roman mordant comme Richard Yates sait si bien en écrire, découpant et mettant à nu la vie d'un couple pour dénoncer le conformisme des années 50 aux Etats-Unis.
Une oeuvre intéressante sur bien des aspects dont je ne m'explique pas pourquoi il aura fallu tant d'années pour qu'elle traverse l'Atlantique.
Lien : http://lemondedemissg.blogsp..
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J'avais auparavant vu le film tiré de ce roman, « Les noces rebelles ». Que j'avais plutôt apprécié et depuis, je garder en tête l'intention de lire le roman. Pour autant, je n'aime généralement pas lire un roman après avoir regardé l'adaptation cinéma. Cela interfère ma lecture, en quelque sorte. Mais le film avait quelque chose de si intéressant que j'ai voulu voir si le roman creusait l'idée. Les idées.

Le roman débute par un soir de première d'une pièce de théâtre qui s'avère être un fiasco. April, jeune épouse américaine des années cinquante, abandonne ce soir là tout espoir d'une carrière de comédienne.

Son mari Franck tente de la consoler en vain sur le chemin du retour, mais cette tentative se solde par une violente dispute, très assassine, ou chacun crache au visage de l'autre ses rancunes anciennes.

Ce jeune couple avec deux enfants se débat dans son pavillon de banlieue, doté d'une fenêtre panoramique. Leurs relations sont en effet très complexes.

Ils se considèrent supérieurs à leurs pairs et voisins, méprisant la bourgeoisie de banlieue qui ne s'intéresse à rien, qui ne réfléchit pas. Paradoxalement, leur vie est assez similaire à celles de tous les autres: un pavillon, deux enfants, Franck est employé de bureau, emploi qu'il juge idiot, qu'il a toujours détesté, qu'il considère comme une grande perte de temps. Une emploi alimentaire et sot, ne lui procurant aucun épanouissement en somme.

Ainsi, ils vivent dans une sorte de fausseté, dans la mesure où ils ont la même vie que celle de tous ceux qu'ils méprisent. Franck et April ne s'aiment pas: ils luttent l'un contre l'autre, chacun des deux se débat à sa manière pour un semblant d'intégrité malgré les convenances du mariage.

Afin de mettre fin à cette vie terne et monotone, l'esprit d'April s'allume un jour d'un grand projet: partir pour l'Europe, continent que Franck avait découvert durant la guerre, et dont il gardait un souvenir vif. April y travaillerait, laissant à Franck le temps de trouver enfin sa voie, de savoir ce qu'il aimerait vraiment faire pour s'accomplir. Il ne s'agit pas là d'abnégation : April éprouve une sorte de besoin d'admirer enfin son mari.

Le projet les porte alors tout à fait, donnant un nouveau souffle à leur couple. Ils s'élèvent ensemble, se montrent l'un à l'autre leur supériorité commune sur les autres, qu'ils méprisent ensemble, heureux à la perspective de quitter cette vie absurde. Tout va pour le mieux, la perspective du départ pour l'Europe leur fait l'effet d'une grande libération, d'une cohérence : enfin un choix, une décision, un acte à leur hauteur! Ils valaient bien mieux qu'une vie entière passée dans leur maison de banlieue, la même que leurs voisins méprisables, et qu'une carrière à un poste minable. Eux, ils oserait! Ils quitteraient tout au nom de la grande liberté, de l'audace, de la grandeur.

Si leurs amis et voisins ne comprennent pas leur décision, seul un fou, John, les approuve.

April organise le voyage et est tout à fait décidée au départ, mais Franck, peu à peu, commence à douter. Premièrement parce que sa compagnie lui propose une promotion. Mais aussi parce qu'il a quelque mauvaise conscience à déraciner leurs enfants tout à fait. Sans doute a-t-il peur, également.

On sent peu à peu le glissement de Franck. D'abord la légère angoisse à l'idée du départ, puis le doute qui s'immisce en son esprit. L'homme libre qui déteste son travail voit soudain une opportunité dans le fait d'y faire carrière avec une promotion, comme la certitude du confort, la promesse d'une vie certes morne mais respectable et commode.

Et puis April tombe enceinte. Ne voulant pas renoncer à l'Europe, elle a dans l'idée de s'avorter, mais Franck y répugne. Ou bien il voit en sa grossesse l'opportunité de renoncer au projet qui le fait douter à présent, sans devoir se rétracter personnellement. S'engage alors une lutte entre eux deux, ou chacun représente une valeur contraire: une bataille entre la morale et la liberté, entre le conventionnel et l'audace. Une guerre psychologique et presque idéologique. Très intéressante et bien décrite et menée. Bientôt, Franck veut convaincre April que son envie de mettre un terme à sa grossesse est une sorte de tare, une faiblesse psychologique à soigner. L'aplomb, l'audace, l'affranchissement deviennent soudain autant de vices dont on doit guérir. Et qui doivent amener à consulter un psychiatre.

Franck gagne la partie. April renonce à avorter et à l'Europe par la même occasion. Bientôt, il obtient son augmentation, et pense que le cours normal de leur vie va reprendre. Mais April ne peut s'y résoudre.



Un personnage m'a particulièrement interpellée. Il s'agit de John, le fou. C'est le fils de leurs amis et voisins, hospitalisé dans un hôpital psychiatrique, qui en sort le dimanche et vient déjeuner avec ses parents chez Franck et April. Ce « fou » est intéressant, parce que, sans filtre dans ses discours, il dit des vérités dérangeantes. Et on se demande souvent s'il n'est pas finalement le seul sain d'esprit entouré d'aliénés, de gens qui construisent toute une vie sur des faussetés, comme des robots incapables de révolte ou même de s'interroger sur leur propre condition, qui n'ont finalement jamais fait le moindre choix courageux. John, au contraire, est libre, et se fiche bien d'avoir une maison ou une situation, se fiche des conventions, des apparences, d'une sécurité financière et de tout ce qui tient les gens dans leur vie pourtant dérisoire. John veut aller au fond des choses, pose des questions gênantes, aussi intéressantes que pertinentes. Il est perspicace, et met le doigt sur des questions embarrassantes pour Franck, comme le vide insupportable de leur vie. John est cynique mais tombe juste. Il met le couple devant leur propre vacuité et leurs lâchetés respectives. Par ailleurs, l'évolution de la manière dont Franck perçoit le fou est révélatrice de son propre état d'esprit, comme par effet miroir. Lorsque John approuve leur projet, Franck, galvanisé par cette perspective, fier de son choix, le trouve intelligent et sensé. Plus tard, lorsque Franck ne compte plus partir, il voit à nouveau John comme un malade mental, comme pour se conforter dans son choix d'avoir renoncé.

J'ai aimé également les représentations de l'adultère. Qui, elles aussi, sonnent très juste. L'un et l'autre trompent sans l'avoir cherché vraiment, par des concours de circonstances plutôt, et sans fausse mauvaise conscience, sans tout ce tapage moral habituel. L'adultère est pour Franck une manière de s'assurer de sa puissance, de se donner de la vitalité. Et pour April, c'est plutôt un acte de dépit. Cette sexualité hors mariage est décrite de manière anecdotique presque, naturelle et j'ose même « saine », très loin d'une morale doucereuse et entendue.

Le personnage d'April m'a plu également. April, qui s'est toujours sentie infiniment seule, qui a toujours eu l'espoir d'un ailleurs meilleur, est illusionnée et blasée à la fois. April, femme lucide, réalise soudain que toute sa vie n'est qu'une hypocrisie, un mensonge, une fausseté. Qu'elle s'est trompée de vie, trompée de mari, et s'est menti à elle-même des années durant, en se persuadant qu'elle aimait.

Franck, lui, est lâche. Je n'aime pas Franck. Et c'est peut-être parce qu'il me balance à la figure mes propres incohérences. Il aurait voulu être libre, audacieux, différent. Franck et son beau mépris pour ses voisins se vautrent pourtant dans le confort conventionnel. Il est finalement si conformiste qu'il travaille dans la même société que son père auparavant. Franck, sous des airs arrogants et fiers, est frileux et peureux. Malgré un dédain affiché pour les artifices et le convenu, il optera pour la continuité de sa vie ordinaire et fade, dans son pavillon et banlieue et dans son emploi minable.

Globalement, le roman est très bien construit. Et bien écrit. Sans pathos. Chaque personnage est scrupuleusement décrit, et psychologiquement crédible. Ils ont tous une grande profondeur. C'est une sorte de drame psychologique, qui pousse à la réflexion sur ses propres choix, logiquement. Une belle découverte. Et c'est très intéressant, dans la mesure où il est très facile, avec un peu de recul, de s'identifier à ces deux personnages. On a beau, nous aussi, avoir de belles théories sur la liberté et un certain mépris pour une catégorie de gens conformistes et à la vie bien rangée mais dans tout en apparence, il s'avère... que notre vie ressemble pourtant à la leur en beaucoup de points: confort, sécurité de l'emploi, accès à la propriété, enfants sages, apparence de couple idéal... et c'est sans doute cette frilosité, cette peur de « perdre », qui nous pousse à protéger ces acquis aux dépens de toute audace, ou de plus grande ambition ou encore de belle liberté. L'époque et le pays n'y changent rien: c'est universel et intemporel. Et il est si rare de lire un roman contemporain qui permette une réflexion profonde sur des questions existentielles, qui permette enfin de mesurer sa propre petitesse, sa propre banalité en actes. Tout comme il est rare de trouver le mariage ainsi décrit, sans mièvreries ni sucreries habituelles et fausses.

Cette lecture peut conduire à une réflexion, puis à une vraie révélation, si l'on accepte seulement de s'en imprégner rien qu'un peu, de se regarder avec un recul suffisant et sans complaisance sur sa propre existence.
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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
Et dire que je ne désirais même pas un bébé ! pensait-il tout en creusant le sol. N'est-ce pas le plus extraordinaire de toute l'affaire ? Pas plus qu'elle je ne désirais un bébé... Mais n'était-il pas vrai que dans sa vie, depuis ce moment-là, tout s'était déroulé sous la forme d'une suite de choses qu'il ne désirait nullement faire ? Il avait pris un emploi désespérément ennuyeux pour prouver qu'il pouvait assumer des responsabilités autant que n'importe quel chargé de famille ; il s'était installé dans un appartement coquet mais cher pour prouver qu'il croyait enfin dans les principes fondamentaux de l'ordre et de l'hygiène ; il avait eu un deuxième enfant pour prouver que le premier n'avait pas été une erreur ; il avait acheté une maison à la campagne parce que c'était l'étape suivante normale et qu'il avait voulu prouver qu'il était capable de l'entreprendre. Prouver, prouver...
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Les années passant, il avait découvert de légères distinctions entre ce quinzième étage et tous les autres du building ; non qu'il fût plus, ou moins, agréable, mais il était différent puisque c'était « son » étage, c'est-à-dire son épreuve quotidienne dans la sécheresse et les lumières, sa mesure personnelle de l'ennui. Il y avait appris de nouvelles manières pour chiffrer les heures de la journée : c'était presque l'heure du café ; presque l'heure de sortir pour déjeuner ; presque l'heure de rentrer à la maison. Et il en était arrivé à s'accommoder de ces sinistres gaspillages de temps entre ces plaisirs, tout comme un infirme parvient à s'accommoder de la certitude que ses souffrances vont revenir. Son quinzième étage était une part de lui-même.
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Les psychiatres ne s'embêteraient peut-être pas avec lui ; mais Dieu seul savait quelles délectations April leur procurerait !
À travers les rares anecdotes qu'elle lui avait rapportées sur ses propres parents, ceux-ci lui avaient paru aussi étrangers à sa compréhension et à sa sympathie que n'importe quel personnage des romans d'Evelyn Waugh. Se pouvait-il que des êtres pareils eussent réellement existé ? Il se les représentait comme des caricatures scintillantes des années 20, l'oisif à belle prestance et la pucelle à petite tête, mystérieusement riches, désœuvrés et cruels, mariés par le capitaine d'un paquebot en plein milieu de l'Atlantique et divorcés moins d'un an après la naissance de leur unique enfant.
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La pluie avait cessé ; mais c’était néanmoins une journée grise, humide, où on se sentait bien chez soi. La radio jouait doucement du Mozart, et une ambiance de calme gentil, parfumé de sherry, s’installa dans la cuisine. Voilà comment il aurait aimé que son mariage fût toujours : pas de nervosité, une bonne camaraderie, de la tendresse mutuelle, un soupçon d’idylle…

La Fenêtre panoramique de Richard Yates, Ed. pavillons Poche, p. 284.
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Les Machin et les Chose, tous les idiots qui sont chaque jour mes compagnons de train. Il y en a des millions. C’est une maladie. Personne ne pense plus, ne sent plus, ne s’occupe plus de rien. Personne ne s’intéresse et ne croit à rien, en dehors de sa propre petite médiocrité confortable.
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Quel écrivain américain a dépeint avec un réalisme cruel l'enfer pavillonnaire et les naufrages intimes de la classe moyenne ?
« La fenêtre panoramique », de Richard Yates, c'est à lire en poche dans la collection Pavillons chez Robert Laffont.
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