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Arlette Pierrot (Traducteur)
EAN : 9782070388226
514 pages
Gallimard (03/11/1995)
3.74/5   19 notes
Résumé :
Épopée familiale, chronique couvrant l'histoire de six générations, Monsieur Mani est composé de cinq conversations remontant progressivement dans le temps, du début des années 80 à la moitié du XIXème siècle.

Dans un kibboutz du Néguev en 1982, pendant l'occupation allemande de la Crète en 1944, en 1918 dans une Jérusalem contrôlée par l'armée britannique, dans un village polonais au tournant du siècle dernier, à Athènes en 1848, des conversations, d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Pour ne pas rester sur la legere deception que m'avait procure “La fille unique”, j'ai relu “Monsieur Mani”. Pas de surprise: j'ai retrouve la fascination de ma premiere lecture. Ce livre restera pour moi le chef-d'oeuvre de Yehoshua.
Ce n'est pas un livre leger. Pas une lecture facile. Ce sont des dialogues ou l'on n'entend qu'une seule voix et c'est au lecteur d'imaginer les interventions de l'autre interlocuteur, ses questions, ses remarques, ses reactions, sa surprise, son emotion, ses sourires ou sa colere. Mais c'est tout l'art de Yehoshua, ont les ressent comme de reelles conversations, pas comme des monologues.


Cinq conversations. Chacune d'elles met en scene des causeurs differents, chacune en un endroit different, chacune a une epoque differente. La premiere entre une jeune femme et sa mere, dans un kibboutz, en 1982. La deuxieme entre un soldat allemand et sa mere, en Crete, en 1944. La troisieme entre un procureur militaire de l'armee anglaise et son superieur, a Jerusalem, en 1918. La quatrieme entre un medecin juif et son pere, au manoir de Jelleny-Szad en Pologne, en 1899. La derniere entre un juif sepharade et son rabbin, son maitre a penser, a Athenes, en 1848.


Des dates au hasard? Voyons! 1848: le printemps des peuples; 1899: 3e. congres sioniste; 1918: 1ere guerre mondiale et conquete de la Palestine par les britanniques; 1944: 2e. guerre mondiale; 1982: guerre civile libanaise et envahissement du Sud-Liban par Israel.
Mais Yehoshua les prend a rebours. Il inverse le cours de l'histoire. Est-ce parce que, comme le disait un poete, ebahi devant la celebre horloge aux caracteres hebraiques de Prague, “le temps des juifs avance a reculons”? Peut-etre, les poetes etant souvent ceux qui comprennent le mieux notre monde. Mais ce que fait Yehoshua c'est inoculer dans chaque conversation des elements qui nous font mieux comprendre la precedente, les precedentes, ajoutant des eclaircissements a ce qui a ete raconte 30, 70, ou 100 pages en amont, une, deux, trois generations en amont.


Des interlocuteurs au hasard? Qu'ont-ils en commun? Chacun de ceux dont on entend la voix raconte une rencontre qui l'a marque. La rencontre avec un certain monsieur Mani. A chaque fois le Mani d'une autre generation. Un juge suicidaire de Jerusalem (dont le fils refuse de reconnaitre l'enfant qu'il a fait a l'interlocutrice). Un patre qui sert, entoure de ses chevres, de guide touristique a Heraklion. Un drogman au consulat britannique de Jerusalem accuse de trahison en faveur des turcs. Un medecin, gynecologiste, qui se suicide par amour. Et dans la derniere conversation, qui est chronologiquement la premiere, c'est un Mani, le premier de cette lignee, qui parle directement, qui se confesse a son maitre, le seul qui puisse le juger, le rabbin Hedayah.


On decouvre donc l'histoire d'une famille a travers ce qu'en racontent d'autres? Si on veut, mais je ne caracteriserais pas ce livre comme une saga familiale. Parce que, s'il y a des femmes, et dont l'intervention est des fois importante, c'est une histoire d'hommes. Ou plutot differentes histoires d'hommes. Des hommes fatidiquement seuls. Abandonnes par leurs peres. Sacrifies par leurs peres. Et, voulant suivre la trace de leurs peres, par amour ou par haine, chacun d'eux s'inventant ses chimeres personnelles, qui deviennent dereglements funestes. Yehoshua laisse un de ses protagonistes discourir longuement sur Heraklion et sur la naissance – en Crete – de l'Europe, mais ce livre est empreint surtout de mythes bibliques. L'opposition aux voies, aux croyances du pere (Abraham). le sacrifice du fils (Abraham et Isaac). le va-et-vient incessant d'un endroit a un autre, a chaque generation (Abraham de Chaldee a Canaan, Isaac vers le desert du Neguev, Jacob et ses fils vers l'Egypte, Moise de retour a Canaan). La transgression des codes sexuels (Judah et sa belle-fille, Boaz et Ruth, Amnon et sa soeur Tamar). le deicide (le veau d'or). Tous mythes qui se regenerent et revivent a travers les cinq generations des Mani exposees ici. Chaque generation veut continuer la precedente justement en l'immolant, en refutant tous ses acquis, depuis ses convictions jusqu'a son mode de vie. En partant ailleurs dans tous les sens de ce mot. Et cela ne fait qu'approfondir le desarroi de chacun, qu'accentuer leur sensation d'etre les seuls a combattre des forces fantomes, fourvoyes dans un labyrinthe malefique (un des Mani sert de guide dans le labyrinthe cretois, mais justement, il mourra dedans). Trainent-ils une malediction originelle? La derniere conversation, la confession du premier des Mani, permet de le conjecturer. C'est lui qui, par amour, par un amour exacerbe mais qui ne peut etre ni partage ni assouvi, et obnubile par le desir de perpetuer son nom, trangressera les plus importants commandements du Decalogue, et ira jusqu'au deicide dans sa confession, qui ne sera qu'une bravade jetee a la face de son maitre, son rabbin, son dieu. Il lui dira, sans trembler, a haute voix, les mots qui le tueront. Parce qu'en faisant semblant de demander a etre juge, en fait c'est lui qui juge son maitre.


A travers cette saga, ou cette non-saga, Yehoshua ventile des questionnnements sur les notions d'identite, d'appartenance, que ce soit a une famille, a une ethnie, une nation, une histoire (un des Mani soutiendra que les arabes de Palestine sont en fait des juifs qui ont oublie leur judeite). Et qu'est-ce qu'une patrie? Des juifs ont reve pendant des siecles a Jerusalem comme patrie, ancienne patrie toujours promise. Les Mani aussi. Ils y viennent et ils la quittent et ils y reviennent. Quelle Jerusalem? Une ville appelee sainte, suintant une saintete deprimante qui ne produit que haine et folie, une ville fermee derriere ses murs, enfermee, “une ville de desert tenace et de pierres butees". On y vient pour s'y perdre, pour y mourir. Une ville cimetiere. Et la ville semble poursuivre les Mani partout, a Istamboul, a Athenes, a Beirout ou l'un d'eux se suicidera, en Crete, jusqu'en Suisse. Elle est le pendant de leur delire familial. Meme pour Agar, la kibboutznike de la premiere causerie, meme en 1982, Jerusalem est une ville gelee et glacante, une ville d'exiles depressifs et suicidaires, une ville ou l'on ne peut vivre, une ville pour morts-vivants.


Mais Yehoshua sait que des hommes de bonne volonte peuvent rever a faire tomber les vieilles pierres des murailles, et il envoie un des Mani proposer a des cheikhs bedouins un plan de partage des terres, ce qui lui vaudra d'etre juge pour trahison par les anglais. Yehoshua le sait. Il a fait lui-meme exactement pareil. Il sait que si d'aucuns l'ont taxe de traitre a l'epoque, c'est pour ce genre d'actions qu'on le venerera demain. Il faut depasser, surpasser, les attributs se la saintete.


Yehoshua a ecrit la un livre complexe et subtil. Il veut associer le lecteur a sa tache, a l'ecriture meme du livre. Au lecteur d'imaginer des reponses, a lui de remplir des blancs. A lui de rearranger le puzzle, de remettre en bon ordre les epoques dispersees. Yehoshua espere que cela amenera le lecteur a s'approcher plus intimement des personnages, a mieux les comprendre, a mieux les juger, a rever une suite de leur histoire la ou lui s'est arrete. Je crois pouvoir dire qu'il a reussi son pari.


Comment terminer ce billet si ce n'est en me repetant: pour moi, c'est le chef-d'oeuvre de Yehoshua. Un des grands chefs-d'oeuvre de la litterature israelienne. Et bien que j'ai appuye sans cesse sur sa complexite, n'ayez pas peur, il est fascinant.
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Ce livre est un ensorcellement.
Il faut, pour le lecteur, accepter le postulat de l'auteur : "Monsieur Mani" se présente comme des dialogues dont une seule voix est audible, à travers une remontée dans le temps des années 80 au XIXème siècle. Dialogues d'une fille et sa mère, d'un père et son fils, conversation d'où émerge à un moment ou un autre un Mani, fil conducteur, catalyseur de destin, témoin de l'histoire, non seulement celle d'un pays et d'une partie du peuple juif, mais de l'humanité...
Le thème principal traité est celui de la transmission, comme dans beaucoup d'oeuvres de la littérature israélienne.
Ce tour de force de ne faire entendre qu'une voix permet à l'auteur de rendre captif le lecteur, qui par la force des choses crée par sa lecture la répartie manquante. Autant dire que pour le modique prix d'un livre de poche vous vous offrez une petite séance de psychanalyse...
Toutefois, et la grande réussite du livre est là, l'auteur sait très bien où il veut nous emmener avec son Monsieur Mani omniprésent, tour à tour attachant, énervant, aimable ou haïssable. Nous avons tous un jour ou l'autre rencontré notre Monsieur Mani, un être pas forcément proche qui a influé sur notre destin, un choix à faire, une décision à prendre, une présence presque occulte dont nous réalisons la prégnance bien plus tard.
Ce livre m'a hantée longtemps. J'ai voulu le partager avec nombre de mes amis, mais la plupart ont été réticents au procédé du dialogue à une voix connue. Si vous arrivez à l'accepter, ce qui personnellement ne m'a demandé aucun effort, vous ne regretterez pas le voyage rétroactif avec Monsieur Mani qui vous interrogera sur vous-même, votre passé, vos origines, votre déterminisme supposé ou non, ce que vous transmettez à vos enfants ou à ceux que vous aimez, la trace que vous laisserez.
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« Monsieur Mani » d'A. B. Yehoshua ressemble beaucoup de « Cent ans de Solitude » de Gabriel Marquez dans le sens que les deux romans relatent l'histoire d'un pays en parallèle avec l'histoire d'une famille qui y vit. Dans le cas de « Monsieur Mani » qui commence en 1982 et qui finit en 1848 la période est plus exactement 132 ans. Marquez raconte l'histoire Colombie tandis que Yehoshua nous donne le récit du parcours de la nation juive.
Le roman de Yehoshua est composé de cinq conversations ou plutôt cinq monologues car Yehoshua présente les paroles de seulement un des deux participants aux dialogues. le procédé de Yehoshua souligne la solitude des protagonistes et leur incapacité de communique effectivement avec leurs proches.
Yehoshua choisit de raconter son histoire à rebours afin de souligner que les racines des maux contemporaine ont des racines très profondes. Son roman est très noir.
La première conversation a lieu en 1982. La guerre de Liban est en cours. On entend les paroles d'une jeune kibboutzim enceinte. L'amant de l'interlocutrice est le dernier des Manis mais le lecteur ne peut pas être certain. L'amant trouve tous les moyens d'éviter la jeune femme qui devient obsédé par les tendances suicidaires du père de l'amant. le lecteur se met à penser que la guerre crée des tensions psychologiques chez les Israéliens. Au fur et à mesure que le roman s'avance on constate que les mêmes problèmes psychologiques sont toujours présents.
La deuxième conversation qui est la moins bien réussi des quatre a lieu sous l'occupation allemande de Crète (1941 – 1945). Un jeune policier allemand raconte son expérience avec le grand-père de l'amant de la première conversation. Ce M. Mani prétend qu'il a révoqué son statut de juif. L'allemand trouve l'idée intéressant car il trouve qu'il existe un « juif au fond de chacun ». Alors au lieu de les exterminer, on peut simplement leur demande de renoncer leur statut de juif. Yehoshua croit clairement que l'allemand est fou. Parce qu'Icare est tombé dans la mer près de Crète Yehoshua introduit aussi le thème de l'hubris dans cette conversation ce qui constitue une digression qui semble manquer de pertinence.
La troisième conversation a lieu en Palestine sous l'occupation Britannique. Celui qui parle est un juif de l'Angleterre qui le procureur de responsable de traduire en justice le Mani qui est agent des forces d'intelligence Britanniques. On apprend que M. Mani s'oppose à la politique de permettre les juifs d'immigrer en Palestine car les arables seront lésés. Cette opposition le mènera à passer des secrets Britanniques aux Turques. Au lieu de l'exécuter, le procurer l'envoie en exile à Crète.
La quatrième conversation a lieu au troisième congrès sioniste de Bâle en suisse (1899). Ici, Yehoshua introduit le thème des vue divergentes des ashkénazes et sépharades. Un ashkénaze polonais et sa soeur appuie son réserve le projet sioniste. Ils rencontrent au congrès un autre Mani qui est sépharade et médecin. Ce Mani est déchiré entre le désir de créer un état hébreu et son désir d'aider tout le monde. Il opère une clinique de maternité ouverte à tous. Il ne trouve pas de manière à réconcilier ses deux aspirations et se suicide.
La cinquième conversation se passe en 1848 l'année des Printemps des peuples. Un Monsieur M. Mani commence à perdre patience avec son qui a l'idée fixes musulmanes de Palestine vont devenir des juifs. « Ce sont des juifs, papa, qui ne savent pas encore qu'ils sont juifs. » Grace à cette idée fixe, le fils néglige son devoir d'engendrer. Quand le fils excentrique meurt son père fait un enfant à sa bru. le moins que l'on puisse dire c'est que la manière don Yehoshua termine son roman dérangent énormément.
« Monsieur Mani » est un roman très puissant mais je préfère finalement rejeter toutes sa grand thèse que l'histoire d'Israel et le "récit d'une perdition qui se répète de génération en génération." (p. 399)
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
C'est une lumière, père dans laquelle s'affrontent deux lumières, la jaune pâle qui coule librement du désert, et la bleue pâle née de la mer, qui monte lentement sur les collines et recueille la lumière des oliviers et des rochers jusqu'à ce qu'elles s'imprègnent l'une l'autre à Jérusalem, se dominent mutuellement et se mêlent à l'heure vespérale en une couleur de vin clair, qui tombent des arbres de branche en branche et prend un ton de cuivre rouge qui, en touchant le bord de la fenêtre enflamme toute l'assemblée et la dresse d'un bond sur ses pieds pour rugir la prière de clôture qui inonde l'onde et se coagule dehors dans une grande oraison.
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Eh bien, par exemple, si quelqu'un, par exemple, monte l'escalier des Arditi, il peut atteindre le toit de Bechor Genio et descendre en passant par leur cuisine sans difficulté jusqu'à la cour du patriarcat grec et de là directement par la chapelle, sans ressortir dans la ruelle, en ouvrant seulement une petite porte, il est déjà chez Saltiel, dans son salon, si Saltiel est chez lui, il boira une tasse de café et demandera la permission de continuer son chemin, et si Saltiel est absent, ou même s'il dort, il n'est pas du tout obligé de retourner sur ses pas, mais il continue sans bruit jusqu'au petit couloir sans regarder dans la chambre à coucher, il trouvera là cinq marches, reste d'une vieille maison que les maudits croisés ont détruite, et qui conduisent droit à l'entrepôt du magasin de légumes de M. Béchar, là il n'aura qu'à écarter les pastèques et les sacs en se courbant un peu, et il arrive déjà derrière l'arche sainte de la petite synagogue des gens de Ribline avec lesquels, s'ils sont en train de prier, il pourra prier un peu, bien qu'ashkénazes, et s'ils étudient la Mishna, il marchera comme s'il allait aux lavabos qui servent aussi au gardien du Wakf musulman, qui même s'il semble endormi, prendra un demi-medjidi et le laissera passer sans difficulté par la grande salle des maîtres du Coran, le fera sortir tout de suite dans la ruelle, et le laissera stupéfait devant la maison de vos parents, qu'ils reposent en Paradis, la maison de votre jeunesse, madame ...
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De place en place, d'un pied léger, attentif, j'étudie la ville et j'approfondis sa nature. Les distances sont extraordinairement courtes. De notre mur, ce vertige de la muraille jusqu'à la grande mosquée, avec ses deux coupoles, il faut quelques enjambées, et quelques pas de là au Saint-Sépulcre, et de là chez les Arméniens et vers les synagogues, les Pravoslaves et les protestants, le tout entassé l'un à côté de l'autre, comme si tu entrais dans un grand magasin d'articles religieux où sont étalés sur les rayons toutes les richesses, le croyant n'a plus qu'à choisir et prendre selon son désir ...
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