Intrigant, troublant et dérangeant (dans le bon sens, si c'est possible), palpitant, mystérieux. C'est ainsi que je décris
Décompression, ce thriller de
Juli Zeh. Tout commence de façon anodine. Sven est un Allemand qui a tourné le dos à ses études en droit et a tout abandonné pour ce coin de paradis, l'île de Lanzarote, quelque part dans l'Atlantique. Il approche la quarantaine et se la coule douce à s'occuper des touristes et à faire de la plongée. Avec sa compagne Antje, ils forment un couple « down to earth » assez sympathique, nonchalent, qui jouissent d'un mode de vie que certains qualifieraient de quasi-idyllique. Puis arrivent Jola et Théo. « Ils n'avaient pas l'air de vacanciers » (p. 13) Déjà on sait que rien ne sera ordinaire.
D'autres diront que le début est plutôt lent, j'en conviens. Les descriptions du paysages, mêmes si elles occupent plusieus pages, servent surtout à mieux (essayer de) cerner les quatre personnages, qui formeront un genre de huis-clos dans l'immensité de ce coin de paradis. J'aime l'attention portée aux détails par
Juli Zeh, toujours juste assez pour titiller le cerveau.
Parfois, la narration passe à Jola. Ou plutôt à son journal intime (des entrées qui dépassent rarement dix pages, mais qui permettent d'en apprendre beaucoup). Toutefois, plus on avance dans le temps, plus il est nécessaire de se demander si ce qu'elle y consigne est la vérité. Dans tous les cas, ça permet d'entrer un peu mieux dans le psychée de cette femme complexe. Parlant d'elle… Jolante von der Pahlen est une femme dans la trentaine. Fille d'un producteur de cinéma célèbre, riche, mariée à Théodore Hast, un écrivain obscur, désabusé et plus âgé qu'elle. Ce qu'elle veut, elle l'obtient. Presque toujours… Là, ce qu'elle veut, c'est une vraie carrière. Depuis trop longtemps elle interprète un rôle dans un téléfeuilleton et elle souhaite faire le saut au grand écran dans un rôle mémorable. Ce rôle, c'est celui de Lotte Hass, une plongeuse des années 1950. D'ailleurs, c'est la raison de sa venue à Lanzarote : effectuer un nombre illimité de plongées pour faire l'acquisition d'un certificat et d'un brevet.
Certains diront que le thème de la plongée est omniprésent. Moi, au contraire, je le trouve à sa place. D'abord, c'est la passion de Sven et la raison de venue de Jola sur l'île. C'est un point de rencontre, un élément de mystère et d'intrigue (ce qu'il peut s'en passer, des choses, sous l'eau !). Aussi, ça rend l'intrigue beaucoup plus réaliste. Ce n'est pas une histoire qui aurait pu se passer n'importe où et qu'on a transplanté à Lanzarote pour que ça fasse pittoresque, non. Tout est essentiel au déroulement.
Ce que j'ai aimé de ce roman, c'est cette ambiance, ce sentiment que quelque chose peut se produire à tout moment. D'où le fait que je classe parmi les thrillers, n'en déplaise à certains. Un accident en pleine mer, lors d'un plongée, un accident de voiture. Tout devient propice à une catastrophe qui semble éminente, à un mystère. « Les essuie-glaces luttaient fébrilement contre les paquets d'eau. La lumière des phares ne portait pas à cinquante mètres. Un renard dégoulinant se tapit au bord de la route. Il avait l'air misérable. Pour autant que je sache, il n'y a pas de renards sur l'île. » (p. 70). Par de simples courts paragraphes, parfois inutiles à l'intrigue,
Juli Zeh réussit à nous faire entrer dans son univers étrange, malaisant, mystérieux. Plus on avance, plus le couple Jola-Théo semble fragile, on dirait plutôt deux êtres vivant côte à côte que des amoureux. D'ailleurs, les liaisons extraconjugales ne semblent pas un problème pour aucun des deux. L'important, c'est les projets professionnels de la femme mais, lorsqu'ils semblent compromis, tout se désintègre. Et le malaise qu'on a ressenti tout le long, il se transforme en angoisse.
Toutefois, ce que j'ai aimé de
Décompression, c'est que
Juli Zeh réussit à me surprendre comme lecteur. Elle me tient tout le temps sur mes gardes, un rebondissement apparaît là où je ne m'en doutais guère et, celui que j'attendais, il ne survient pas. Ou pas au moment que j'imaginais. Et que dire de cette finale ! Un autre auteur aurait terminé son roman sur une note dramatique, avec un coup d'éclat.
Zeh, non. On croit que tout finit par se dissiper, même si plus rien n'est pareil (en tout cas pour Sven), et en même temps on en doute. C'est troublant et, en même temps, très intelligent. Vraiment le genre de livre que, si on s'en rend jusqu'au bout, on en reste imprégné. Wow !