L'histoire de
Thérèse Raquin est toute simple.
Thérèse est une orpheline recueillie par sa tante, madame Raquin, qui tient un commerce de broderie en province. Thérèse va vivre aux côtés de son cousin Camille, enfant chétif, malingre, souffreteux. Les enfants jouent comme ils peuvent dans la joie sereine d'une campagne morne, grandissent. Quand Thérèse a vingt-et-un ans, elle épouse Camille, c'est une simple formalité à laquelle elle consent comme si c'était dans le cours des jours, comme si elle ne pouvait pas s'y dérober. Une chose nécessaire et fatale... C'est ainsi, ils se marient sans amour, sans joie... Plus tard, la famille s'installe à
Paris où madame Raquin va déplacer son commerce de broderie au passage du
Pont-Neuf. Thérèse y travaille également, tandis que Camille trouve un emploi dans un bureau aux chemins de fer. Au contact d'une nouvelle clientèle, l'activité de la broderie va prospérer.
Ils mènent tous trois une existence monotone, où il ne se passe rien, se retrouvant le soir dans ce lieu sombre, humide et âcre, jusqu'au jour où la tranquillité de leur existence va se fissurer avec l'arrivée dans le cercle familial de Laurent, un ami d'enfance de Camille...
Thérèse est une jeune fille effacée, pourrait-elle cacher longtemps encore au fond d'elle les fougues d'une nature étouffée ? Laurent, dans une sorte d'animalité débridée n'est pas indifférent à cette jeune femme qui ne semble pas heureuse. Il revient à la boutique de plus en plus souvent, encouragé par l'amitié de Camille. Il évoque une passion ancienne, la peinture, passion qui ne l'a jamais quitté. Il propose à Thérèse de lui faire son portrait. Autant frotter une allumette devant un bidon d'essence...
Thérèse Raquin, c'est la rencontre d'un homme puissant et d'une femme inassouvie.
Thérèse Raquin, c'est l'itinéraire d'un désir à fleur de peau capable de tout faire voler en éclats, emportant dans sa trajectoire fatale deux êtres aimantés pour en faire des monstres possédés d'animalité et de folie.
Possédé je l'ai été aussi par l'écriture percutante d'
Emile Zola.
Oh ! Il ne brode pas de la dentelle, notre cher ami Émile.
Ce roman est d'une noirceur abyssale. On y dégringole comme dans un puits sans fond.
Ici, point d'émotion, sauf celle qui étreint le lecteur, qui voudrait jeter dans ce récit vertigineux et cruel ses propres représentations de l'âme humaine, mais
Zola s'en moque, joue de cela.
Zola a ce talent inouï pour nous entraîner avec jubilation dans la crasse et le sordide d'une histoire implacable qui nous étouffe peu à peu et l'on s'en réjouit.
Ici les personnages principaux ne nous inspirent aucune sympathie, aucune compassion. Même souffreteux et malingre, Camille nous déride à peine d'une moue dédaigneuse. À la limite, il y aurait bien la vieille madame Raquin et aussi le chat François...
Zola peint à gros traits le travail souterrain des passions pour les faire jaillir à ciel ouvert, comme un volcan.
Autant vous l'avouer, Thérèse et Laurent sont des brutes humaines, où l'âme est absente.
Dans les gestes d'un drame violent, dans les amours cruelles de Thérèse et de Laurent,
Zola nous invite à chercher en eux la bête qui sommeille.
L'humanité est absente du tableau, sauf si c'est cette face cachée de l'humanité que veut nous montrer
Zola. L'âpre humanité...
C'est une peinture de clair-obscur où le clair est une lumière ténue qui ne cesse de vaciller comme un crépuscule éteignant le jour... où l'obscur ouvre dans ce paysage sans horizon un dédale de ténèbres prêt à nous faire vaciller dans l'infinie folie...
Aurais-je dû lire
Thérèse Raquin avant d'aborder l'oeuvre vertigineuse des Rougon-Macquart il y a de cela quatre ans ? Tout était là déjà... Tout est là comme un prélude à l'oeuvre future des Rougon-Macquart. Quand
Zola écrit ce court roman, il n'a que vingt-sept ans.
Le déterminisme, la dégénérescence, le malheur implacable, l'égarement, la bassesse des personnages, l'obsession, la folie et toujours en filigrane une victime qui sera broyée par cette déferlante effroyable où se faufilent les tares de l'humanité... Tout était déjà là. Plus tard
Zola y posera une trame sociale, qui manque peut-être encore ici, mais dans ce récit ce n'est pas le propos.
On pourrait croire le texte redondant, mais c'est une variation, un boléro infernal qui monte d'un cran chaque fois un peu plus loin. Cela pèse.
Zola nous met les nerfs à vif, nous éprouve.
Oui dans ces scènes fiévreuses, toutes les variations se déplient, celles que peuvent éprouver deux amants que l'adultère a conduits à passer dans l'enfer du paysage... Dans cette palette de couleurs qui deviennent de plus en plus sombres, on voudrait chercher un trait de lumière, cueillir des sentiments dans l'inconscient qui les transforme. Mais le clair-obscur s'assombrit comme des volets qu'on referme sur une pièce au lit défait et vide. Ici le remords est un simple désordre organique.
Zola ne les juge pas, n'implore aucune compréhension.
Il les observe, les met en scène et se retire en nous laissant sidéré devant le tableau.
Une fois encore, la force de l'écriture de
Zola m'a transporté. J'avais l'impression d'être là, dans la crasse de cette boutique obscure du passage du
Pont-Neuf, où tout près de là coule la Seine... Et dans cette saleté lugubre, j'ai adoré être là...
J'ai adoré être là dans le rythme incandescent et haletant de ces amants maudits. J'ai adoré être là, même si cette ambiance est glauque, oppressante, de plus en plus...
J'ai adoré être là... effleurant la fatalité des chairs qui brisent, qui brûlent, qui broient...
J'ai adoré être là, tandis que
Zola déployait son texte jusqu'au point final, qui....
Dans cette lecture commune, je remercie mes compagnes de voyage, Dominique (Domm33), Francine (Afriqueah), Fanny (Fanny1980) et Sandrine (HundredDreams), qui m'ont donné l'envie d'aller vers ce texte et dont les regards croisés ont été si inspirants.